Loi Climat et Résilience : ce qui attend les entreprises en matière de justice environnementale

La loi traduisant les propositions de la Convention citoyenne pour le climat (CCC) a été présentée ce 10 février en Conseil des ministres. A côté des dispositions visant à lutter contre les passoires thermiques et l’artificialisation des sols, le texte comporte des mesures en droit pénal de l’environnement, susceptibles de s’appliquer aux entreprises du BTP.

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Loi Climat et Résilience : ce qui attend les entreprises en matière de justice environnementale
Loi Climat et Résilience : ce qui attend les entreprises en matière de justice environnementale


2021 pourrait être l’année de la justice environnementale. Complétant la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 qui y était notamment consacrée, le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite « Climat et Résilience », crée des infractions très attendues.

Si le crime d’écocide vivement réclamé par la CCC a été écarté au profit d’un délit d’écocide, le texte prévoit aussi dans son 6e et dernier titre (art. 67 à 69 ) un délit plus général d’atteintes à l’environnement – eau, air et sol – ainsi qu’un délit de mise en danger de l’environnement. Des infractions sévèrement réprimées mais qui pourraient être délicates à caractériser, le dispositif étant en l’état moins contraignant qu’il n’y paraît.

Des atteintes générales à l’environnement…


Le texte (art. 68) crée un article L. 230-1 du Code de l’environnement, réprimant le fait, « en violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, d’émettre dans l’air, de jeter, déverser ou laisser s'écouler dans les eaux superficielles, souterraines ou les eaux de la mer dans la limite des eaux territoriales, directement ou indirectement, une ou des substances dont l'action ou les réactions entraînent des effets nuisibles graves et durables sur la santé, la flore, la faune, à l'exception des dommages visés aux articles L. 218-73 et L. 432-2, ou des modifications graves du régime normal d'alimentation en eau ».

Et un nouvel article L. 230-2 réprime le fait d’abandonner, de déposer ou faire déposer des déchets en méconnaissance des dispositions du Code de l’environnement « lorsqu’ils entraînent le dépôt, le déversement ou l’écoulement dans ou sur les sols de substances dont l’action ou les réactions entraînent des effets qui portent une atteinte grave et durable sur la santé, la flore, la faune ou la qualité des sols ».

L’auteur de ces infractions encourt 5 ans d’emprisonnement et un million d’euros d’amende.

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… Manifestement délibérées


Concrètement, l’explosion d’une citerne sur un chantier dégageant des gaz nocifs, le bris d’une cuve se déversant dans des eaux, ou l’abandon de déchets sur un site – voire leur mauvaise gestion par un sous-traitant – seraient-ils susceptibles de faire l’objet de poursuites pénales sur le fondement de ces nouveaux textes ? Difficile de le dire aujourd'hui.

Ce que l'on sait, c'est que n’est sanctionnée que la violation d’un texte spécial, non une imprudence ou maladresse, évitant une dérive d’interprétations jurisprudentielles qui seraient sources d’insécurité juridique.

Plus avant, le gouvernement a choisi à ce stade de ne sanctionner, à l’article L. 230-1 du Code de l'environnement, que les violations « manifestement délibérées », écartant la simple négligence, qui concerne la majeure partie des cas de pollution. Une telle violation pourrait par exemple ressortir d’alertes préalables par audits, contrôles de l’administration et mises en demeure – et potentiellement d’alertes émises publiquement ou non par des associations.

Seuls les cas de pollutions majeures seraient réprimés


Mais c’est au vu des effets requis que ce délit s’avère restrictif : l’infraction ne sera caractérisée que dans le cas de dommages « durables », définis par le projet comme « les effets nuisibles sur la santé ou des dommages à la flore ou à la faune qui sont susceptibles de perdurer pendant une durée d’au moins dix ans ».

Outre qu’il soit permis de douter que même les nouvelles juridictions spécialisées issues de la loi du 24 décembre 2020 disposeront de moyens d’expertises suffisants pour analyser ces aspects purement scientifiques, cette durée de dix ans semble, dans les faits, rarement atteinte même dans certains des accidents les plus graves qui ont pu survenir (Erika, Lubrizol). Le délit ainsi créé d’atteintes générales à l’environnement, vivement critiqué par les associations environnementales, ne réprimerait que des cas vraiment majeurs de pollution.
La rédaction de ce nouveau délit s’approchant des délits de blessures et homicides involontaires, il est probable que cette infraction leur empruntera pour partie leur jurisprudence.

Notons néanmoins que les peines prévues sont très significatives – jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et un million d’euros d’amende – et que le projet de loi fait preuve d’une certaine originalité en prévoyant, à l’instar de ce qui a été voté pour la convention judiciaire d’intérêt public environnemental, que l’amende puisse être portée « jusqu’au quintuple de l’avantage tiré de la commission de l’infraction ».

Délit d’écocide


De plus, et lorsque ces faits seront « commis de manière intentionnelle » - sans que cette notion soit définie -, ce délit constituera un écocide puni encore plus sévèrement : dix ans d’emprisonnement et 4,5 millions d’euros d’amende (et jusqu’au décuple de l’avantage tiré de la commission de l’infraction).

En tout état de cause, et sous réserve des débats parlementaires, on imagine difficilement en l’état ce délit visant le « banditisme environnemental », terme du garde des Sceaux, s'appliquer aux entreprises du BTP, contre lesquelles il faudrait démontrer, en cas de pollution, qu’elles avaient en quelque sorte l’intention de nuire à l’environnement.

Une mise en danger de l’environnement aux contours très flous


Par ailleurs, le projet de loi crée un nouveau délit de mise en danger de l’environnement (art. 67) : à l’article L. 173-3 du Code de l’environnement, uniquement pour les faits prévus aux articles L. 173-1 et L. 173-2 du même code (activité sans l’autorisation requise) et à l’article L. 1252-5 du Code des transports relatif au transport de marchandises dangereuses.
Cette infraction sera caractérisée lorsque les faits « exposent directement la faune, la flore ou la qualité de l’eau à un risque immédiat d’atteinte grave et durable ». Les peines prévues sont « de 3 ans d’emprisonnement et de 300 000 € d’amende, ce montant pouvant être porté jusqu’au triple de l’avantage tiré de la commission de l’infraction ».
Le renvoi aux comportements précis susvisés facilitera certainement l’appréciation de cette nouvelle mise en danger par les magistrats, tout en limitant sa portée.

Pour autant, deux difficultés d’application paraissent d’ores et déjà identifiables :
- d’abord, la notion de risque « immédiat » dont l’appréciation en matière environnementale s’avère plus que délicate ;
- ensuite, la notion d’atteinte « durable », là encore définie d’au moins dix ans, ce qui pose une difficulté d’appréciation supérieure puisque le dommage matériel, qui ne sera pas même survenu, devra être évalué dans sa potentialité.
A quels cas ce délit pourrait-il être applicable ? Selon le ministère de la Justice, il pourrait s'appliquer à « un camion de 38 tonnes transportant des matières dangereuses, qui emprunte un pont supportant la charge maximale de 10 tonnes. Même si le pont résiste et que le camion ne pollue pas la rivière, il pourra y avoir sanction ».

Dissuader pour prévenir ?

Au-delà de l’applicabilité de ces délits, c’est la question même des moyens d’investigations et de jugement qui est en jeu puisque la création des juridictions spécialisées et des nouveaux officiers de police judiciaire environnementaux par la loi du 24 décembre 2020 se fait pour le moment à périmètre constant.
L’ambition poursuivie pourrait ainsi surtout être celle de la prévention par la dissuasion, les peines encourues pour ces délits étant très élevées. A noter que les condamnations pourront également imposer de restaurer le milieu naturel impacté par l’infraction.

Alors que l’Etat vient d’être condamné pour inaction climatique par le tribunal administratif de Paris et que le gouvernement dispose de deux mois pour revoir sa copie en la matière, les débats parlementaires sur le projet de loi - qui débuteront en mars 2021 à l’Assemblée nationale - promettent d’être riches.

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