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Tribune

Opinion | Retraites : pourquoi la gestion des réserves doit être repensée

Les réserves globales de nos systèmes de retraite s'élèvent à 200 milliards d'euros. Comme l'ont montré d'autres pays, elles peuvent être un outil puissant d'équilibre des régimes, à condition d'être bien utilisées, écrivent dans une tribune aux «Echos» Didier Cossin et Philippe Mudry.

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(Fred Tanneau/AFP)

Par Didier Cossin (professeur de gouvernance et de finance), Philippe Mudry (ancien directeur général de « L’Agefi »)

Publié le 10 mars 2021 à 18:30

A l'heure où la réforme des retraites pourrait être relancée, il importe que des débats négligés trouvent enfin leur conclusion, dont celui de la gouvernance du système et son corollaire, la gestion optimale de la ressource financière existante, d'une importance cruciale.

La France consacre tous les ans 14 % de son PIB à financer ses retraites, sur une base quasi exclusive de répartition qui n'a pas empêché la constitution d'importantes réserves. Selon le dernier avis du Comité de suivi des retraites, elles atteignaient à fin 2019 quelque 8,2 % du PIB en chiffres bruts et environ 6,5 % en chiffres nets du passif relatif aux retraites de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades). Ces réserves restent essentielles à la résolution de l'équation financière de la réforme. Le Canada a pu réussir la sienne grâce à ses performances financières, plutôt qu'en réduisant les prestations, démontrant l'importance d'une bonne gouvernance des investissements.

L'Agirc-Arrco s'inquiète, elle, des initiatives de Bercy concernant ses 65 milliards de réserves.

Par l'importance des réserves, l'Agirc-Arrco, le régime complémentaire du privé, arrive bien sûr en tête (65 milliards), suivi des autres « poids lourds » catégoriels (professions libérales, agents non titulaires de l'Etat…) et du Fonds de réserve pour les retraites (34 milliards à fin 2019). Si on y ajoute logiquement la trentaine de milliards du régime de retraite additionnelle de la fonction publique, seul fonds de pension français, les réserves globales approchent 200 milliards. C'est là que gît le défi de gouvernance : quelle attitude l'Etat et les autres parties intéressées auront-ils vis-à-vis de ces atouts, vus par trop de décideurs publics comme de simples « cagnottes » ?

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La question n'a rien d'un faux procès. L'Etat, pour réduire le besoin d'emprunt de la Sécurité sociale (Acoss), a imposé en 2020 au Fonds de réserve pour les retraites (FRR) de verser d'un coup, et non sur plusieurs années, les 5 milliards de la soulte liée à l'adossement au régime général de la Caisse des industries électriques et gazières (CNIEG). Qu'il fût absurde de sacrifier ses réserves, au reste bien gérées et disponibles pour le financement de l'économie, à la réduction du besoin d'emprunts à taux négatif, est une évidence. Le FRR n'en a pas moins obtempéré sans délai au risque de déséquilibrer son portefeuille. Réduit à moins de 30 milliards, celui-ci reste l'objet d'autres convoitises, pour financer la Cades jusqu'à 2033, et demain sans doute la dette Covid ou le risque dépendance.

L'Agirc-Arrco s'inquiète, elle, des initiatives de Bercy concernant ses 65 milliards de réserves. La loi organique votée le 5 mars 2020 en première lecture par l'Assemblée prévoit d'intégrer toutes les complémentaires dans les futurs projets de loi de financement de la « Sécu ». Ce premier pas vers ce que les partenaires sociaux voient comme une étatisation du système en appellera-t-il d'autres touchant à la gestion des réserves ? La question est capitale. Pour jouer leur rôle d'amortisseur financier de la réforme, les régimes ont besoin d'une visibilité que l'Etat assure de moins en moins. Ils n'ont pourtant pas démérité : le FRR affichait un rendement de près de 10 % en 2019 ; à l'Agirc-Arrco, le rendement réel moyen annuel a été de 2,5 % sur quinze ans jusqu'en 2018, au niveau des fonds de pensions allemands, selon l'OCDE.

Reste que les premiers de classe, Hollandais, Canadiens ou Australiens, qui ont moins de contraintes, offrent à leurs constituants des rentabilités leur assurant à long terme des avantages sociaux déterminants. Dès lors, plutôt que d'imposer l'intégration d'un système qui, en soi, n'a pas failli, la réflexion devrait viser à des règles de gestion optimisant à long terme les performances, sans renoncer aux principes essentiels de prudence. La refondation de la gouvernance des retraites canadiennes il y a une vingtaine d'années a permis en moyenne 5 % de rendement net et de doubler les réserves sur la période ! De quoi changer, plus vite qu'on ne le croit, l'équation des retraites en France !

Didier Cossin est professeur à l'IMD (Lausanne), fondateur de l'IMD Global Board Center et président du conseil de BERG CM. Philippe Mudry, journaliste, est ancien directeur général de « L'Agefi ».

Didier Cossin, Philippe Mudry

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