Après les pavés, le béguinage. A 18 ans, Yves Rapin vivait Mai 68 à Paris. Alors, à 71 ans, ne lui parlez pas d’Ehpad. « Tout, mais pas ça ! » La moustache grise de l’ex-photographe de quartier en frémit. Depuis une bonne année, il loue avec sa femme l’un des seize appartements d’un immeuble frais bâti dans un écoquartier du nord de Tours. Immeuble bien particulier que cette Tourangelle, où l’on vieillit en béguinage, groupés et solidaires. « L’esprit communautaire, on y reprend goût, avec un peu moins d’utopies qu’en 1968 et beaucoup moins de substances ! », admet le retraité, chaussé pour la randonnée.
Béguinage ? Le mot évoque vaguement le tourisme en Belgique ou les cours d’histoire sur le Moyen Age. Pas franchement un habitat alternatif pour personnes âgées. Pourtant, cette innovation qui permet d’échapper à la maison de retraite (le plus longtemps possible) gagne du terrain.
Son principe est simple : inspiré des béguinages répandus dès le XIIIe siècle dans les Flandres et le nord de la France : pour se protéger, des femmes seules, laïques, occupaient des bâtisses mitoyennes autour d’un jardin, non loin d’une église. Version XXIe siècle : les chastes veuves et demoiselles sont remplacées par des seniors occupant des maisons ou appartements voisins mais indépendants dotés d’espaces intérieurs et extérieurs partagés, et d’un accompagnateur aux petits soins.
« Chaînon manquant »
C’est le rôle de Laurent Loridant, à La Tourangelle. « Gardien-veilleur. » L’avenant quinquagénaire, passé par moult métiers, tient à la fois de MacGyver (pour le bricolage) et de Véronique Jannot (l’assistante sociale de la série Pause-café). « Des cafés, j’en bois beaucoup, heureusement, j’aime ça », sourit l’ancien scout.
Chaque matin, à l’entrée de l’immeuble, près du coin bibliothèque et du panneau où se partagent les bons tuyaux, son local technique tient lieu de QG autour duquel papillonnent les locataires en quête de mains habiles ou d’oreilles empathiques. Laurent écoute, discute, surveille l’ouverture des volets chez telle dame dont la santé vacille, débouche les éviers, règle tout appareil, réexpliquant – patience héroïque ! – que, oui, pour entendre la sonnerie du smartphone, ce serait mieux de monter le volume.
Tous les quinze jours, Béatrice Baczkowski arrive en renfort. « Accompagnatrice » formée à la médiation, elle vient huiler les rouages de la petite communauté, aplanir les différends naissants, soutenir les initiatives collectives. Tous, ici, ont pensé puis signé une charte du vivre-ensemble, mais une petite réunion exutoire ne fait pas de mal. Rien de bien violent.
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