L'observance des gestes barrières et le port du masque : la psychologie compte peu, les normes sociales sont déterminantes

Les données "open science" de datacovid.org (https://datacovid.org) sont précieuses, d'autant plus qu'elles sont partagées. Elles permettent de faire le bilan de l'observance des gestes barrières et, à ce jour, de rejeter l'hypothèse du relâchement dû à la moindre vigilance que justifierait la décrue de l'épidémie, au moins dans le cas français.

Un examen plus détaillé des corrélations entre les différents gestes de protection (par analyse factorielle) fait apparaitre 4 types de stratégies : le recours aux artefacts (gel et masque), le contrôle de son corps (lavage des mains, la toux dans le coude), la mise à distance physique, et retrait de l'espace public (rester chez soi).

Cependant l'enjeu principal est le port du masque dont l'efficacité dépend de sa performance de filtrage, de la permanence de son port, et de la proportion de la population qui l'adopte comme Stutt et ses collègues (2020) le montrent :

Quels en sont les déterminants ? D'abord des facteurs psychologiques, dont deux sont mesurés dans l'étude datacovid:

1. la perception de la gravité de la maladie qui décroît au fil du temps et accroît sa variance.
2. L'état de santé mentale (syndrome dépressif, manque de sommeil....) qui reste stable (et donc ne semble pas être affecté par l'épidémie)

Pour évaluer leur impact, en voici les relations linéaires pour chacune des vagues d'enquêtes, avec l'indicateur d'observance du port du masque : plus on pense l"épidémie comme grave et plus on tend à l'observance, et dans une moindre mesure plus on se sent en bonne santé et moins on tend à porter le masque.

Visuellement on s'aperçoit que l'effet des variables est petit au regard de l'accroissement de l'observance de semaine en semaine. Avec un modèle de régression linéaire, et même trois on peut en évaluer l'effet :

1. Un modèle de régression linéaire (mco) ne comprenant que nos deux variables et un terme d'interaction. Si les effets sont significatifs ou presque, la variance expliquée de l'observance est très faible(0.02 %).
2. Un modèle à composante fixe et aléatoire pour ajouter un contrôle par le temps, permet de monter à 23.8 %.
3. Le modèle précédent auquel on ajoute les variables de position sociale (hlm)  donne un gain marginal : la position sociale explique à peine plus que les variables psychologiques (0.07 %)

Pour mieux visualiser l'impact de nos variable on emploie des diagrammes d'effets qui consistent à appliquer les modèles pour calculer l'effet prédit des variables (en tenant compte de l'effet des autres) avec les intervalles de confiance à .95.

Les effets sont peu importants même s'il semble que les femmes on une meilleure observance que les hommes, que l'observance croît avec l'urbanisation, mais aussi avec l'exposition aux autres (Les PCS actives) et avec l'âge.

Ces effets sont faibles au regard de celui des vagues d'enquête qui sont la variable proxy de l'environnement général. Et ce qu'elle traduit c'est l'émergence d'une norme sociale.

Une norme sociale que les individus intègrent peu à peu par un mécanisme d'isomorphisme institutionnel dans l'esprit de Powell et di Maggio (1983) avec :

• Une part d'imitation : faire comme les autres là où on les voit le porter. L'usage n'est pas encore généralisé et la norme est sans doute conditionnelle aux situations (On porte plus volontiers le masque dans les supermarchés qu'à la terrasse des cafés)
• Une part de coercition imposée par les organisations qui définissent et régulent l'usage de l'espace qu'ils contrôlent, mais aussi par la puissance publique.
• Et une part normative, qui se développe dans les protocoles des associations professionnels, les formations à la sécurité, et prendra rapidement la forme de standards Afnor ou autres.

En conclusion ce n'est pas en étudiant la psychologie différentielle qu'on peut comprendre l'observance des gestes barrières. Porter le masque est en petite partie le fruit de nos croyances et de nos opinions individuelles, mais surtout largement déterminée par le surgissement et la construction des normes. C'est à l'analyse sociologique qu'il faut donc confier le soin de l'analyser.

Il reste à savoir si la norme du masque va devenir une convention au sens de l'économie des conventions (André Orléan , Préface à Analyse économique des conventions, P.U.F Presses Universitaires de France, collection « Quadrige », 2004)

La notion de convention ... désigne une régularité de comportement R au sein d’une population P telle que : 
(1) tous les membres de la population se conforment à R ; 
(2) chacun croit que tous les autres membres de P se conforment à R et 
(3) trouve dans cette croyance une bonne et décisive raison pour se conformer à R ; 
(4) par ailleurs, au moins, une autre régularité R’ vérifiant les conditions précédentes aurait pu prévaloir

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