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Ces jeunes qui ne veulent pas travailler à plein temps

Ils sont jeunes actifs mais ont décidé que le travail à plein temps n’était pas (ou plus) pour eux.

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39% des jeunes entre 18 et 29 ans cherchent avant tout un bon équilibre entre vie personnelle et professionnelle dans leur travail. (Shutterstock)
Publié le 16 déc. 2019 à 07:00Mis à jour le 16 déc. 2019 à 09:00

Il n’y a pas que le boulot dans la vie ! Voilà ce que semblent vouloir dire ces jeunes actifs qui font le choix de réduire leur temps de travail. D’après un sondage OpinionWay de 2017, 39% des jeunes entre 18 et 29 ans cherchent avant tout un bon équilibre entre vie personnelle et professionnelle dans leur travail.

Pour autant, ceux qui choisissent de passer à temps partiel au début de leur carrière restent encore rares et sont majoritairement des femmes. D’après l’enquête emploi de l’Insee de 2018, 18% des femmes salariées trentenaires étaient à temps partiel à leur initiative, contre 2% des hommes de la même tranche d’âge. Les motifs invoqués variaient aussi selon le sexe : raisons familiales (3 femmes sur 4, contre 2 hommes sur 5), reprendre des études ou exercer une autre activité professionnelle (3 hommes sur 10, contre moins de 1 femme sur 10) ou encore avoir du temps libre (moins de 1 salarié sur 10).

"Je ne débranchais jamais"

Parfois, un élément déclencheur peut être à l’origine de cette réduction du temps de travail. C’est le cas de Benoît, 29 ans, diplômé d’une école d’ingénieurs. Embauché en CDI il y a cinq ans par une société d’informatique à Nantes, Benoît a passé ses trois premières années à temps plein. "Je travaillais entre 40 et 45 heures par semaine, j’avais beaucoup de responsabilités. Je ne débranchais jamais. J’avais l’impression d’être au travail 90% de mon temps", témoigne-t-il, assis devant un burger en terrasse.

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Lorsqu’il est arrêté deux semaines pour surcharge de travail, il se rend compte à quel point il était "impliqué émotionnellement" dans son boulot. Il se pose la question de se mettre à son compte. Mais son chef veut le retenir. Les deux trouvent alors un compromis : ce sera un temps partiel, à 3 jours par semaine. Ce qui permet à Benoît d’avoir enfin du temps pour sa passion, la musique. "Auparavant, je n’arrivais pas à trouver du temps pour pratiquer, ça me frustrait beaucoup", confie ce passionné de musique électro. Désormais, il profite de son temps libre dans la semaine pour composer, mixer et, parfois, jouer dans des clubs.

Pour Karine Briard, économiste à la Dares, le service statistique du ministère du Travail, le temps partiel par choix "interroge les conditions et l’intérêt du travail. Il y a là une certaine idée qu’il faut peut-être se distancier de son travail", analyse-t-elle. Elle complète : "Ces personnes peuvent chercher à se réaliser dans d’autres sphères de leur vie, pour que leur travail ne soit pas central. Comme ça, si leur environnement de travail change et évolue défavorablement, elles auront une zone ressource."

"Je ne comptais pas mes heures"

A 28 ans, Louis aussi a décidé de décélérer. Son travail pourtant semblait être un "job de rêve", comme il le dit lui-même. Ce diplômé d’un master en développement durable a commencé sa carrière comme analyste crédits dans un fonds d’investissement spécialisé dans le microcrédit pour des ONG, à Bruxelles.

Après une année où il parcourt le continent sud-américain pour sa boîte, il se spécialise sur trois pays : le Guatemala, le Nicaragua et l’Equateur. Il est amené à se rendre dans ces pays tous les deux mois, pour une durée moyenne de 3 semaines sur place. "Il y a un truc un peu grisant car tu travailles pour la bonne cause et ça a du sens à fond, souligne-t-il. Mais en même temps, très vite, l’équilibre de ma vie pro et perso est devenu très compliqué : pour moi c’était impossible de planifier quoi que ce soit et je ne comptais pas mes heures lorsque j’étais en déplacement. Même si mon travail était chouette, il me changeait et absorbait toute mon énergie."

En juillet 2018, après avoir partagé son envie de démissionner avec sa cheffe, un compromis est trouvé : il travaillera désormais 3 jours par semaine, sur un poste créé pour lui à Bruxelles. Louis décide de mettre son temps libre à profit en étant bénévole un jour par semaine pour une association qui vient en aide aux sans-abris à Bruxelles.

Un sacrifice financier assumé

Quid des finances pour Louis et Benoît ? Les deux ont réussi à conserver un niveau de salaire très correct, eux qui sont célibataires et sans enfants à charge. Alors qu’il touchait 3.000 euros net par mois à plein-temps, Benoît est descendu à environ 1.700 euros à temps partiel. De son côté, Louis gagne désormais autour de 1.500 euros net par mois, au lieu de 2.000 euros auparavant. Les deux sont bien conscients de la chance qu’ils ont. "Si je gagnais 800 balles, c’est sûr que je ne ferais pas le malin, observe Louis. Honnêtement, je pensais que le manque à gagner serait beaucoup plus important en passant à mi-temps."

Ce qu’il n’avait pas prévu non plus, c’est le changement de regard de leur entourage. "Certains me font comprendre que je n’ai pas d’ambition, j’ai l’impression de baisser un peu dans leur estime, confie-t-il. Mais je me suis rendu compte très vite que lorsque tu souhaites à tes collègues un bon week-end le mercredi soir, tout le monde t’envie." Même constat pour Benoît, qui s’est aperçu qu’après lui, plusieurs de ses collègues étaient passés à mi-temps. "Comme le temps partiel est plus répandu, il est peut-être moins stigmatisé qu’il y a quelques années", observe Karine Briard de la Dares.

Mi-temps pendant la grossesse de sa compagne

Quand Romain, 31 ans, a annoncé à ses proches qu’il allait travailler à mi-temps pendant la grossesse de sa compagne et arrêter complètement au moment de la naissance de son fils, ses amis l’ont plus qu’encouragé. "Plusieurs de mes copains qui avaient déjà eu des enfants m’ont dit qu’un congé paternité de 10 jours, ce n’est vraiment pas assez, raconte-t-il. Et puis, je ne me voyais pas laisser ma compagne toute seule le premier mois gérer le bébé alors que c’est un projet à deux."

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Une pause complètement assumée, dans la carrière de ce gros bosseur qui a déjà eu plusieurs vies pro, entre commercial et patron de bar. Il était alors habitué aux semaines de 90 heures : "je passais 80% de ma vie sur mon lieu de travail. Dans ces conditions, c’est compliqué d’avoir une vie de couple." Depuis peu, il a repris un CDD de cuisinier dans un foyer de jeunes travailleurs, qui lui laisse tous ses après-midi libres pour s’occuper de son fils. S’il est bien conscient "qu’en France, on ne vit pas avec un SMIC", il sait aussi qu’il a "envie de travailler, mais pas trop".


Le chiffre : 60%, c’est la part des cadres de 30-35 ans qui estiment travailler trop, mais ils sont 8 sur 10 à se dire heureux au travail (étude Robert Walters, 2019).

Hélène Bielak

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