La santé mentale est toujours taboue en entreprise. Selon un sondage* OpinionWay réalisé pour l’association Psychodon qui œuvre pour une meilleure prise en charge de la santé mentale et publié ce vendredi 30 avril, seules 31% des entreprises ont mis en place des actions pour favoriser le bien-être au travail... Pourtant, en face, 76% des salariés du privé estiment aujourd’hui que l'employeur est le “garant de la santé mentale” de ses collaborateurs! Comment expliquer cette attente écrasante des employés vis-à-vis de leurs patrons? Le Covid-19 est passé par là.
“La crise, qui a éloigné les salariés de leur lieu de travail en créant des situations d’isolement propices à la dépression, a révélé la sensibilité des salariés à ce sujet”, analyse Luc Balleroy, directeur général d’OpinionWay, qui présentait les résultats de cette enquête, dans le cadre d’une table-ronde organisée par Psychodon, au ministre de la Santé Olivier Véran et au secrétaire d’Etat auprès de la ministre du Travail, en charge de la Santé au travail, Laurent Pietraszewski. Selon ce dernier, ce “malaise au travail” est nourri par plusieurs inquiétudes: “Les salariés sont tout d’abord inquiets pour leur propre santé et celle de leur famille, mais aussi pour l’avenir de leur emploi et de leur entreprise. Ils sont aussi confrontés à des changements qui les bouleversent du point de vue de l’évolution de l’organisation du travail, notamment avec le distanciel. Avec le télétravail, se pose enfin la question de comment recréer du lien social et du collectif.”
Table-ronde organisée par Psychodon, avec le ministre de la Santé Olivier Véran et le secrétaire d’Etat en charge de la Santé au travail, Laurent Pietraszewski
Troubles psychiques sous-estimés
Alors que la recrudescence des dépressions dans le contexte du Covid inquiète, jusqu’où les entreprises sont-elles responsables? Stéphane Roussel, directeur général du groupe Vivendi et président du réseau “Les entreprises pour la cité” (LEPC) refuse de voir les employeurs porter le chapeau. “Si les salariés ne sont pas bien, il s’agit souvent d’une combinaison d’un ensemble de facteurs, aussi bien privés que professionnels”, estime-t-il. “Les entreprises ne sont pas responsables dans le sens de la culpabilité, mais elles ont bien la responsabilité d’aider leurs collaborateurs.” Et de ce point de vue-là, elles ne sont pas toutes restées les bras ballants. Confrontée à une alternance usante de fermeture et réouverture de ses magasins depuis un an, l’enseigne Decathlon a vu la tension monter chez ses salariés. “Lors de la deuxième vague, nous avons mis en place des points de contact en permanence avec nos collaborateurs, afin de maintenir le collectif”, témoigne Jean-Pierre Haemmerlein, directeur de la Fondation Decathlon. Le groupe a développé une plateforme d’accompagnement de ses salariés -“du magasinier au vendeur, en passant par le responsable de rayon jusqu’aux managers et même au PDG!” égrène le responsable- qui prend la forme d’une cellule d’écoute renvoyant vers l’interne mais aussi vers des acteurs externes (assistants sociaux, psychologues, Croix-Rouge).
Reste qu’il faudra gérer les défis de l’après-Covid. Car, si les entreprises se convertissent déjà de plus en plus aux exigences de RSE et de qualité de vie au travail (QVT), la niche des troubles psychiques demeure très peu explorée. “Il existe une fracture entre les petites et les grandes entreprises dans la mise en place de ces dispositifs”, reconnaît Luc Balleroy. Surtout, les employeurs ont tendance à réagir en cas de crise, “alors que les salariés attendent beaucoup plus de prévention”. Un constat que partage Olivier Véran. “La santé mentale au travail est un défi qui est plus ardent avec la crise, mais il faut se doter d’outils de dépistage dans la durée”, réagit le ministre. Burn-out, harcèlement professionnel, épuisement… “Face à ces interactions entre le bien-être au travail et la santé mentale, il est important de s’appuyer sur la prévention, de savoir démêler des situations complexes”, ajoute Olivier Véran, qui annonce qu’après le déploiement des “chèques psy” pour les étudiants en mars et l’expérimentation de parcours de psychologues conventionnés dans certains territoires, d’autres pistes seront mises sur la table lors des prochaines Assises de la santé mentale en juin et juillet.
"Le rôle des managers a ses limites"
C’est justement le terrain de cet accompagnement pérenne qu’a investi Orpea-Clinea, le géant des cliniques privées et maisons de retraites. Après avoir créé il y a quinze ans une cellule d’écoute opérée par des psychologues cliniciens pour soutenir ses établissements face à des événements à risque, le groupe a récemment mis en place une cellule de prévention dont le but est de former ses cadres aux risques psychosociaux. “Nous sommes aussi en contact avec des entreprises pour les accompagner, et nous travaillons avec des collèges et lycées, notamment pour aider les familles à détecter des premiers signes de détresse chez les jeunes”, précise Patrick de Saint-Jacob, directeur général France RSE du groupe. Une chose est sûre, pour faire face à la détresse des salariés, l’entreprise seule n’y parviendra pas. “Le rôle des managers a ses limites, il n’est pas médecin”, pointe le secrétaire d’Etat, Laurent Pietraszewski, en rappelant que la France compte près de 8.000 professionnels de la santé au travail, qui doivent aussi bien être sollicités par les entreprises que par les employés en difficulté.
* Méthodologie : étude quantitative réalisée auprès d'un échantillon de 1.004 salariés, tiré d'un échantillon représentatif des salariés français du secteur privé. L'échantillon a été constitué selon la méthode des quotas, au regard des critères de sexe, d'âge, de région, de taille d'agglomération, de la taille d'entreprise, du secteur et de la CSP. Les interviews ont été réalisées du 22 mars au 2 avril 2021. Les résultats de ce sondage doivent être lus en tenant compte des marges d'incertitude: 1,5 à 3 points au plus pour un échantillon de 1.000 répondants.
