REPORTAGEInformer, rassurer.. Au cœur de la plateforme de « contact tracing »

Coronavirus : « Les gens comprennent notre mission »... A Paris, au cœur de la plateforme de « contact tracing »

REPORTAGEJeudi dernier, une vingtaine de conseillers appelaient les patients zéro et les cas contacts sur la plateforme de « contact tracing » de l’Assurance Maladie de Paris
Sur la plateforme de la CPAM de Paris, une vingtaine de conseillers appellent les patients zéro et leurs cas contacts pour leur indiquer la marche à suivre.
Sur la plateforme de la CPAM de Paris, une vingtaine de conseillers appellent les patients zéro et leurs cas contacts pour leur indiquer la marche à suivre.  - O. Gabriel / 20 Minutes / 20 Minutes
Oihana Gabriel

Oihana Gabriel

L'essentiel

  • La CPAM de Paris s’organise pour faire face aux demandes grandissantes de recherches de cas contacts, avec l’augmentation de la circulation du virus dans la capitale.
  • Les conseillers, répartis sur trois sites, recherchent les cas contacts de chaque patient zéro.
  • 20 Minutes a pu observer le travail de l’une de ces équipes jeudi dernier, dans le 19e arrondissement. Par des informations précises et actualisées, ils expliquent à leurs interlocuteurs quand faire le test, comment s’isoler, et répondent à leurs questions.

«Bonjour, je suis Madame Bouttaz et je réalise une enquête qui vise à retrouver les cas contacts pour l’Assurance maladie. Auriez-vous une dizaine de minutes à m’accorder ? » Oriane, robe à fleurs et lunettes marron, ne chausse pas son casque à micro pour vendre quoi que ce soit à François*, au bout du fil. Car elle participe à la stratégie du gouvernement pour retrouver les personnes qui risqueraient de contaminer leurs proches ou leurs collègues, sur l’un des trois sites dédiés présents dans la capitale.

« Poser les bonnes questions »

On ne parle plus de « brigade », trop militaire, mais de plateforme. L’Assurance maladie a dû monter de toutes pièces ces équipes de contact tracing, chaînon clef dans la lutte contre le coronavirus, en faisant appel à des volontaires au sein de ses agents, en recrutant certains CDD et en transformant des salles de réunion en call center époque coronavirus.

Au rez-de-chaussée du bâtiment de la CPAM Paris (19e arrondissement), persiennes fermées, une vingtaine de conseillers s’activent au téléphone. Masques, distances, télétravail, des salles de 20 personnes plutôt qu’un open-space pour 100, tout à été pensé pour que si l’un d’eux devient à son tour patient zéro, tous ses collègues puissent continuer leur mission. Certains sont en formation, à deux devant l’ordinateur, pour que le tuteur explique le script des questions à poser.

Et la femme de ménage ?

Oriane Bouttaz est l’une des premières volontaires de la CNAM à avoir rejoint cette plateforme. Depuis le 11 mai, elle a eu le temps de mémoriser la démarche à suivre. Si c’est un patient zéro, l’objectif est de retrouver ses cas contacts. « Dans les premiers jours, j’ai repris un appel à un patient, raconte Pierre Albertini, directeur de la CPAM Paris. Qui pensait que son seul cas contact était sa femme. Mais au bout de quelques minutes, il s’est rendu compte que sa femme de ménage pouvait également être concernée. Le fait de poser les bonnes questions, c’est important pour remonter le fil. »

Ces agents doivent également suivre les évolutions rapides de la stratégie gouvernementale. « La grosse nouveauté cette semaine, c’est qu’on demande aux patients de s’isoler sept jours, contre quatorze avant », rappelle Moussa, un conseiller.

Informations précises et anonymat

Ce jeudi après-midi, Oriane doit prévenir François*, un cas contact. Assise devant l’ordinateur, elle rentre au fur et à mesure les informations sur la fiche de ce citoyen. Elle commence par vérifier avec l’intéressé nom, prénom, date de naissance et adresse. Et lui demande s’il est d’accord pour que ses données, évidemment anonymisées, puissent être sauvegardées pour des statistiques. François a passé son dimanche avec un ami, lors d’un mariage, testé positif ce matin… « Est-ce que vous présentez des symptômes ? » « Je pense avoir attrapé un rhume, j’ai mal à la gorge et le nez qui coule, mais pas de maux de tête. Si vous ne m’aviez pas appelé, je n’aurais pas pensé au Covid. »

Et Oriane de rentrer alors dans les détails : si les symptômes disparaissent ou restent minimes, il doit attendre cinq à sept jours pour faire un test. Si de nouveaux symptômes apparaissent, il doit se faire dépister en 24 à 48 heures. Une nuance de taille, car il semble que nombre de Français soient un peu perdus dans les délais à respecter pour se faire dépister.

La question des délais, une préoccupation courante

« Au niveau des courses, est ce que vous pouvez vous faire aider ? Car il faut que vous restiez sept jours en isolement. » Silence au bout du fil. « Ok. » Famille, télétravail, voyages, Oriane égrène ensuite les sujets importants. « Si je dois me faire tester, est-ce qu’il y a une procédure spécifique ? », interroge-t-il. « J’allais y venir, réagit la conseillère. Je vous invite à vous rendre sur le site santé.fr pour trouver un laboratoire près de chez vous qui propose des rendez-vous. Je vous envoie un SMS et un mail pour que vous expliquiez au laboratoire que vous êtes bien un "cas contact". Et que vous puissiez retirer quatre masques en pharmarcie sans frais. » Mais ce qui inquiète François, ce sont les délais pour recevoir les résultats de son test : « je sais que c’est assez tendu en ce moment », sonde-t-il. Une préoccupation courante ces derniers jours, nous confie la conseillère. Qui l’invite à se rendre au barnum devant la mairie du 19e, « pas encore surchargé ».

« Neuf minutes, je pense n’avoir rien oublié », souffle-t-elle en raccrochant. Dans la foulée, elle envoie un SMS pour que le cas contact ait une trace écrite… et un numéro de téléphone en cas de questions. La veille, elle avait mené une vingtaine d’appels « aboutis », c’est-à-dire quand l’entretien a bien lieu. « Quand on n’arrive pas à joindre la personne, on laisse un numéro pour qu’elle puisse rappeler quand elle le souhaite », explique Cécile Pereira-Coutinho, manager départementale du contact tracing à Paris. « Tous les soirs, on supprime l’historique des appels, car il faut qu’il n’y ait aucune trace », précise Oriane.

« Il suffit d’être pédagogue et bienveillant »

Pas évident de s’inviter dans l’intimité des gens… « On est amené à poser des questions personnelles, reconnaît Cécile Pereira-Coutinho. Mais on n’est pas là pour les réprimander, mais pour les accompagner et répondre à leurs questions. » Est-ce que certains s’offusquent ? Quand les conseillers sentent la personne récalcitrante ou hésitante, ils peuvent proposer de rappeler le lendemain. « Dans l’ensemble, ça se passe bien, les gens comprennent notre mission et il suffit d’être pédagogue et bienveillant, assure Oriane. J’ai remarqué que les gens étaient plus inquiets le dimanche, car ils craignent un appel frauduleux, pensant qu’une administration ne peut pas travailler le week-end… », souligne-t-elle avec malice.

« En juillet, quand je suis arrivé sur la plateforme, les gens étaient moins réceptifs. Mais avec l’augmentation des contaminations, aujourd’hui les Français connaissent les termes "cas contact" », assure Moussa, son collègue. Sans forcément maîtriser les contours de ce concept : est considérée comme cas contact une personne qui a passé au moins 15 minutes en face-à-face sans masque avec une personne positive au test.

« Entre 90 à 95 % des gens savent déjà qu’ils sont cas contacts quand nous les appelons », estime Moussa. Alors quel intérêt ? Quand on sait que la période d'isolement n'est pas toujours respectée, mieux vaut rappeler le b.a-ba. « On a une valeur ajoutée parce qu’on porte un discours scientifique, rigoureux, ajoute Pierre Albertini, directeur de la CPAM Paris. L’Assurance maladie a l’image d’un partenaire solidaire, je pense que l’accueil ne serait pas le même si on avait confié cette mission à un prestataire extérieur. »

Autre avantage : le SMS officiel aide certains à négocier pour télétravailler et pour obtenir un rendez-vous au laboratoire pour un test plus rapide, puisque les cas contacts sont prioritaires. Et le conseiller peut passer le relais à un médecin si l’interlocuteur a besoin d’un arrêt maladie.

Montée en charge

Cet été, la plateforme, répartie sur trois immeubles de la CPAM (10e, 12e et 19e), comptait une trentaine de conseillers. Aujourd’hui, il y a 100 postes 7 jours sur 7, dont cinquante personnes arrivées et formées cette semaine. Car la charge de travail ne fait que s’amplifier avec les contaminations qui explosent, autour de 600 à Paris chaque jour. Jean Castex avait d’ailleurs annoncé vendredi 11 septembre le renfort de 2.000 agents pour le « contact tracing ».

« Il nous fallait réarmer la plateforme, assure Pierre Albertini. On devrait arriver à 200 ou 220 postes fin septembre. Nous sommes capables, avec le rythme actuel de contaminations, d’assurer notre mission. »

* Le prénom a été changé.

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