En souvenir de mon père
Devoir N°1 DET de la MSA, de Robert Couderc, août 1927 - juin 2012

En souvenir de mon père

J'ai pu récupérer cinq devoirs faits par mon père au cours de l'année 1966 alors qu'il préparait un diplôme interne à la Mutualité Sociale Agricole (MSA) avant de réussir, à l'âge de 40 ans après 24 ans à la MSA de l'Hérault (il y était entré à 16 ans) le concours d'entrée au CNESSS (l'EN3S aujourd'hui).

J'adorais son écriture, à la limite de la calligraphie, si belle tant sur la forme que sur le fond. Je laisse aux lecteurs apprécier à la fois le décalage historique mais en même temps, les similitudes dans les situations et problématiques. Ce 1er devoir se terminait ainsi.

"Nous espérons avoir convaincu notre interlocuteur que la Mutualité agricole est un véritable exemple d'unité professionnelle, basée sur des principes toujours maintenus malgré l'intervention de l'Etat. Et que, fondée par des hommes comme lui, elle est avant tout au service del'homme, et comme lui toujours perfectible. Mais pour que la Mutualité agricole continue de vivre et de prospérer, il faut la défendre sans cesse pour éviter que soient réduits à néant plus de cinquante ans d'efforts solidaires. Car si l'on peut et doit réclamer la parité des avantages avec ceux consentis par un autre régime, il faut éviter d'être absorbé par lui, car les agriculteurs deviendraient alors une minorité. il s'agit donc en fait de maintenir, à travers la Mutualité agricole, l'indépendance de la classe paysanne, qui reste encore de nos jours, la plus défavorisée de toutes les classes de la Société".

Autre devoir du 3 septembre 1966 sur "La stabilité gouvernementale sous la Vème République" et la dernière partie du corrigé fourni par l'Union des Caisses Centrales de Mutualité Agricole.

"Bien qu'il soit sans doute encore trop tôt de porter un jugement valable sur l'œuvre de la Vème République, on peut dire toutefois que la stabilité gouvernementale a provoqué d'une part l'intéressement des français à la politique, d'autre part une action gouvernementale soutenue et enfin elle a permis à la France de retrouver un certain prestige face aux autres nations. Il est évident que la stabilité retrouvée est à l'origine de l'intéressement de l'opinion publique à la vie politique. Pour s'en convaincre, il nous suffit de constater que, l'approche des prochaines législatives provoque déjà de nombreuses réactions, notamment des syndicats. De même, lors des élections présidentielles de décembre dernier, on a pu voir la CGT et même la CFDT appuyer ouvertement tel ou tel candidat. Cette soudaine prise de conscience de l'électeur, l'effervescence qui règne lors des campagnes électorales, témoignent à coup sûr d'un renouveau, dû certainement à la stabilité gouvernementale. Les deux tours du scrutin de décembre 1965 sont très significatifs à ce sujet et en donnent la preuve éclatante (taux de participation 85%). De même du point de vue socio-économique, la permanence du Gouvernement lui permet de mener une action continue, indépendantes de toute combinaison des partis politiques. Sur le plan intérieur notamment, les prérogatives du <gouvernement lui ont permis de réaliser avec des chances diverses de succès, un certain nombre de réformes : réformes administratives (rôle du préfet - création de régions de programme), réformes judiciaires et de l'enseignement et surtout réformes de structures dans l'agriculture (organisation des marchés F.A.S.A.S.A. lois sur les calamités agricoles). Cependant si certaines de ces réformes ont donné lieu à de nombreuses polémiques, il convient de noter qu'elles ont été accueillies favorablement dans le secteur agricole. L'aire géographique des marchés notamment, a passé du stade local ou régional au stade national et même international (Marché Commun). Nous n'assistons plus à l'appel systématique à l'importation mais à l'expansion économique par l'exportation. Sur le plan social, il y a certes une amélioration assez sensible. Cependant, malgré les affirmations de M. POMPIDOU, le mécontentement des classes laborieuses grandit. Ce maintien du plan de stabilisation, la procédure Toutée [https://www.lemonde.fr/archives/article/1966/01/13/les-procedures-toutee-ne-sont-qu-un-systeme-de-blocage-des-salaires_2701661_1819218.html], les commissions Grégoire, provoquent dans le secteur des services publics de vastes mouvements de revendication ; notamment ces derniers mois. En effet, dans la course salaires-prix malgré le blocage de ces derniers, les salaires sont cependant souvent perdants. Enfin, bien que tout ne soit pas parfait du point de vue social, la stabilité a toutefois permis à la France de retrouver son prestige extérieur. Nul doute que la récente évolution de l'Algérie vers l'indépendance dans l'association avec la France a été très bénéfique pour notre pays, cependant cette évolution eut été très difficile à réaliser sans la stabilité gouvernementale. De même le récent voyage du Chef de l'Etat en U.R.S.S., l'accueil chaleureux qui lui fut réservé, témoignent à coup sûr d'un regain de prestige de notre pays à l'étranger. On peut en dire tout autant des différentes initiatives de paix au Viet-Nam. La France d'aujourd'hui n'assiste plus avec une certaine passivité à la vie politique mondiale, mais elle participe activement et prend position (ex-dégagement de l'OTAN). en un mot l'existence d'une majorité politique stable, d'un pouvoir fort, ont redonné à notre pays un prestige mondial. Ainsi la stabilité politique est très bénéfique du point de vue économique. Il est certain qu'un pouvoir fort favorise des grandes réalisations économiques. Cependant, les réformes sociales sont parfois insuffisantes. Pour que la Vème République réalise les réformes sociales souhaitées pour l'ensemble du pays, notamment les salariés, une évolution du régime vers une certaine libéralisation du pouvoir serait souhaitable ; les prochaines législatives nous apporteront-elles cette évolution ?".

Mon père avait, je crois, beaucoup d'admiration pour le Général De Gaulle. Voici la fin de son devoir N°2 du 3 septembre 1966 (14/20).

"Certains reprochent toutefois aux trois gouvernements gaullistes, malgré les moyens et le temps dont ils disposaient d'avoir favorisé dans ses prévisions certains secteurs et régions. En effet, la régionalisation du Vème Plan a été conçue selon un modèle à 20 unités : les 20 régions de programme auxquelles il convient d'ajouter Paris. Par contre une autre tendance prévoit une politique à long terme d'investissements collectifs sur plusieurs grandes agglomérations pour faire contrepoids à Paris. Il y a dans la politique d'aménagement du territoire un manque d'homogénéité, une certaine contradiction. Si l'action gouvernementale apparaît nettement sur le plan économique avec de bons résultats, l'opposition lui reproche de ne pas avoir su profiter de la continuité qui lui était assurée pour mieux satisfaire la volonté de justice sociale que réclament les Français. Dans le Midi, on construit plus de résidences secondaires pour les riches vacanciers que des HLM pour les sans logis. Depuis 1958 le pouvoir d'achat des familles nombreuses diminue de façon constante par rapport à celui des célibataires ou des ménages sans enfant. La crise de l'emploi va grandissant dans certaines régions et en dépit de toutes les incitations de l'Etat la libre entreprise semble incapable d'y remédier. Les travailleurs payent plus lourdement que d'autres catégories sociales le prix de la croissance économique. Les horaires de travail sont souvent préjudiciables à la vie familiale. La concentration industrielle favorisée par les pouvoirs publics, la mécanisation et l'automation entraînent des réductions d'emploi avec leurs multiples conséquences : chômage local, reconversions d'emploi obligatoires, difficultés de reclassement à partir d'un certain âge, déracinements fréquents posant des problèmes humains douloureux. Dans les entreprises marginales ou en voie de le devenir, employés et employeurs se trouvent en tragique situation d'insécurité. S'il est vrai qu'un grand nombre de Français apprécient la continuité des Institutions, ils reprochent aux gouvernements de ne pas s'en servir pour réduire les disparités sociales. Il s'ensuit un malaise et des troubles sociaux souvent accompagnés de grèves qui nuisent forcément au développement de la production et des revenus. Certaines catégories sociales peuvent en outre revaloriser facilement leur revenu (avocat, médecin)<< alors que d'autres (salariés) sont soumis à la tutelle de l'Etat pour obtenir des augmentations de salaire, d'autant plus que les premiers sont soumis avec moins de rigueur à l'impôt en ce sens qu'ils peuvent plus facilement le comprendre dans le prix de leurs services. Quant aux agriculteurs leur pouvoir d'achat a même baissé en 1963 et 1964. La politique du logement laisse également à désirer. La spéculation sur les terrains à bâtir explique en partie l'augmentation continue des prix à la construction. Il faut toutefois noter que la part des transferts sociaux opérés au bénéfice des enfants, des malades, des invalides et des vieux n'a pas cessé d'augmenter depuis 1958 dans l'affectation du revenu national. Le mécontentement de la classe ouvrière s'adresse surtout au gouvernement ce qui risque d'influencer le vote de ces électeurs car contrairement à la pensée de certains les français n'ont pas cessé, malgré la stabilité gouvernementale, la puissance de la majorité et la faiblesse de l'opposition, de s'intéresser à la vie politique du Pays. La participation électorale importante aux dernières élections présidentielles le démontre amplement. Certains reprochent aussi aux Gouvernements de la Vème République de mener une politique de droite à l'intérieur du Pays alors que la politique extérieure dirigée par le Général de Gaulle serait plutôt de gauche du fait que l'on assiste depuis plusieurs années à un désengagement progressif vis à vis de l'Amérique et à une ouverture vers les pays de l'Est. Quoi qu'il en soit le prestige personnel du Général de Gaulle reste toujours aussi fort. Les derniers sondages d'opinion le prouvent. On peut donc penser que les prochaines élections législatives amèneront à l'Assemblée Nationale un nombre de députés gaullistes assez important pour y obtenir la majorité absolue ce qui permettra aux prochains gouvernements de conserver leur stabilité. D'autant plus que l'opposition par son manque de cohésion ne pourra rien entreprendre pour rétablir l'équilibres des forces en présence et forcer la majorité à entreprendre une politique plus sociale. On peut critiquer les méthodes du Général de Gaulle mais il force toujours l'admiration. On comprend dès lors la position de son ancien ministre, M. Plimlin qui n'approuvant pas la politique sociale et extérieure du Président de la République et de son gouvernement refuse de s'engager contre lui dans l'opposition. Mais entre le ralliement inconditionnel à la majorité et la contestation totale du régime il doit exister une autre voie pour les Républicains car le gaullisme survivra-t il à son illustre chef ?"



Jean-Paul LEJEUNE

Directeur Retraité Administration Sécurité Sociale

3y

Merci Christine, c'est très intéressant 

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Benjamin Ferras

Inspecteur général des affaires sociales, membre de l’IGAS

3y

Passionnant. Merci pour ce partage!

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philippe cuvillier

congé fin de carrière chez Urssaf Nord-Pas-de-Calais

3y

Impressionnant de lucidité et de culture politique ! Merci Christine.

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Hervé Castre

Ex Directeur de l’Urssaf Basse-Normandie, guitariste à temps plein

3y

Intéressant mais surtout émouvant ! Amitiés. Hervé

Eric Le Boulaire

DEPUTY MANAGING DIRECTOR AT THE FRENCH NATIONAL HEALTH INSURANCE FOUND from 2015 to December 2017

3y

Interessant !

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