La bataille des retraites a démarré lundi 17 février à l’Assemblée dans une atmosphère déjà électrique, le gouvernement vantant une « ambition immense » face à une opposition qui entend torpiller une réforme jugée « injuste » avec une nuée d’amendements.
Le gouvernement table toujours sur une adoption en première lecture avant les municipales dans un mois et espère un feu vert définitif « d’ici l’été » sur les deux textes (ordinaire et organique). Le vote de la réforme est programmé avant les conclusions de la conférence de financement, qui démarre ses travaux mardi et est censée trouver d’ici avril des mesures permettant d’atteindre l’équilibre en 2027.
Véran défend la réforme, son discours interrompu par l’opposition
Le tout nouveau ministre de la santé Olivier Véran a défendu un projet annoncé « de longue date » qui « a la légitimité d’un programme présidentiel », à l’ouverture des débats sur cette réforme hautement sensible, voulue par Emmanuel Macron et qui vise à créer un « système universel » de retraite par points. Le député LRM de l’Isère a rappelé que « notre système est construit autour d’une solidarité » et évoqué les « pères fondateurs de la Sécurité sociale », citant notamment Ambroise Croizat.
Jusqu’ici rapporteur du volet organique de la réforme, le « marcheur » vient de succéder à Agnès Buzyn, qui a pris le relais, dans la course LRM à la Mairie de Paris, à Benjamin Griveaux, emporté vendredi 14 février par une affaire de vidéos à caractère sexuel. Son discours a vite été interrompu par des cris de l’opposition. « S’il vous plaît, ne commencez pas, vous aurez des heures, des jours et des nuits pour vous ébrouer dans la démocratie », a lancé Richard Ferrand (LRM) depuis le perchoir.
Côté majorité, on affiche la volonté de faire aboutir cette réforme « de progrès social », « contre vents d’obstruction et marées d’amendements ». Si le groupe soutient globalement la réforme, des interrogations ont émergé sur son impact budgétaire, et certains à l’aile gauche comptent faire entendre leur voix sur des sujets comme la pénibilité.
La gauche se mobilise à travers une avalanche d’amendements
Après des semaines de contestation de la réforme dans la rue, l’appel à une « journée morte » dans les transports était peu suivi lundi. Plusieurs centaines de personnes ont aussi pris part à une manifestation « symbolique » en direction de l’Assemblée, en attendant une nouvelle journée interprofessionnelle jeudi.
Mais les opposants n’ont pas dit leur dernier mot, alors que 41 000 amendements ont été déposés. L’examen inachevé la semaine passée en commission pour cause d’avalanche d’amendements des députés de la France insoumise (LFI), un fait inédit, après soixante-quinze heures de dialogue de sourds, n’était qu’un préambule.
Le chef des « insoumis », Jean-Luc Mélenchon, a promis lundi « une très grande bataille parlementaire ». « La lutte sera dure, implacable, de longue durée » a-t-il insisté, dénonçant « pagaille, confusion et viol des droits des gens » par le gouvernement. Les députés communistes, qui jugent la réforme « bien pire » que ce qui avait été annoncé, ne seront pas en reste, comme le Parti socialiste (PS), persuadé qu’un « certain nombre de concitoyens vont se faire avoir ».
Une « assemblée populaire » se tenait lundi soir devant le Palais-Bourbon, en présence d’élus LFI et PCF, pour demander le « retrait » du projet de réforme des retraites, au moment où les députés débutaient son examen. Selon le député « insoumis » Eric Coquerel, « avec nos 23 000 amendements, on va les enliser [au gouvernement], on va faire durer ça pendant des semaines, jusqu’à ce que le projet soit retiré », a ajouté l’élu de Seine-Saint-Denis.
Pour l’heure, quinze jours de débats sont prévus, soit quatre-vingt-quatre heures. Face à un calendrier jugé « intenable », Richard Ferrand a proposé juste avant le début des débats un « temps programmé » de cent heures de débat sur trois semaines. Il s’est vu opposer une fin de non-recevoir des députés LFI et du Parti communiste (PCF).
La motion référendaire rejetée, la motion de censure finalement pas déposée
Les trois groupes de gauche – PS, PCF et LFI –, qui dénoncent un « amateurisme coupable » de la part du gouvernement, tablaient, en plus des amendements (près de 37 000 à eux trois), sur une motion référendaire, qui n’a pas fonctionné. Celle-ci a été rejetée par 160 voix, 70 députés ayant voté pour.
Aussi, l’initiative d’une motion de censure devait être avant tout symbolique, mais celle-ci ne verra pas le jour. « Faute des signatures des députés socialistes pourtant promises, la motion de censure ne peut être déposée », a fait savoir Jean-Luc Mélenchon sur Twitter.
Les communistes avaient réuni 60 signataires, au-delà du quota nécessaire (58 au minimum) pour présenter dans l’hémicycle la demande de référendum. Cette motion, la première depuis 2008, « c’est un acte rare, un acte fort », a estimé le chef de file du groupe communiste, André Chassaigne : « 60 signataires de différentes sensibilités politiques pensent que le peuple doit avoir la parole sur ce projet de loi. » « Bien sûr qu’on le veut ce référendum, qu’on veut voir et savoir si les Français avalent vos bobards », a lancé l’« insoumis » François Ruffin à la majorité.
Pour le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, il faut que « le peuple puisse trancher », sauf si le gouvernement s’engageait à ne pas utiliser l’article 49.3 de la Constitution, arme de l’exécutif pour faire adopter un texte sans vote. Le groupe LR n’a pas pris part au vote mais quatre de ses membres se sont cependant prononcés pour cette demande de référendum. La présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen, qui a voté en faveur de la motion, a regretté « que cette réforme ne passe pas par la validation des Français » et que le débat ait lieu « dans une Assemblée dont nous savons pertinemment qu’elle ne représente pas l’avis des Français aujourd’hui ».
Face à l’obstruction de la gauche, les responsables de la majorité répètent qu’un recours au 49.3 « n’est pas l’objectif », mais des « marcheurs » ne l’excluent pas si le débat est « clairement impossible ». « Totalement impensable », a cependant prévenu LR. Ce serait même « du délire » pour le numéro un de la CFDT, Laurent Berger.
La « conférence de financement » démarre mardi
Installée fin janvier par le premier ministre Édouard Philippe, la « conférence de financement » chargée de ramener à l’équilibre le système de retraite d’ici à 2027 démarrera ses travaux mardi. Les organisations syndicales (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFDT, UNSA) et patronales (Medef, CPME, U2P, FNSEA) sont conviées à deux groupes de travail qui débuteront respectivement mardi et jeudi à 9 h 30 au ministère des solidarités, à Paris. Le premier devra plancher sur les moyens de résorber, à court terme, le déficit attendu à « 12 milliards d’euros par an en 2027 », selon Edouard Philippe, le second portant sur le pilotage financier du futur système universel par points.
Cette « conférence », initialement suggérée par la CFDT, doit permettre aux partenaires sociaux de présenter des mesures autres que celles de l’âge pivot, en dessous duquel il n’est pas possible de partir avec une retraite à taux plein, mais sans toucher au niveau des pensions ou au coût du travail. Mais « avant de parler de cocktails de mesures, il nous faut un diagnostic partagé », a prévenu le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, dans un entretien au Journal du dimanche.
Des séances de travail sont programmées les 10, 12, 24 et 25 mars, en vue d’une séance plénière début avril et avant remise d’un document final fin avril. Puiser dans le fonds des réserves de retraites, relever le plafond de revenus soumis à cotisations… Diverses pistes doivent être étudiées. Edouard Philippe a assuré que si la « conférence » débouchait sur un compromis, il « ferait siennes ses propositions ».
Opposé à la réforme dans son principe même, le secrétaire général de FO, Yves Veyrier, a tout de même expliqué que son syndicat se rendrait aux groupes de travail « pour surveiller ce qui se dit et ce qui s’y fait parce que nous n’avons pas l’intention que des dispositifs sociaux soient spoliés, détournés, pour combler telle ou telle cotisation retraite ».
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