COVID-19 : face à l’urgence, l’imagination au pouvoir

Stéphanie Lavaud

Auteurs et déclarations

26 mars 2020

Monde – A l’heure de la pandémie, où les journaux regorgent de nouvelles sombres, où les courbes de contaminations qui n’en finissent pas de croître côtoient des chiffres de décès toujours plus impressionnants, il est aussi de bonnes nouvelles… sur le front de la solidarité et de la créativité.

Le « do it yourself » remis au gout de jour

Face aux pénuries les plus criantes, en masques, gels hydroalcooliques et même systèmes de ventilation, l’urgence à agir et à trouver des solutions, même de fortune, a stimulé l’imagination et les bonnes volontés. Une des conséquences (positives) du coronavirus est qu’il aura remis au gout du jour le DIY ou « do it yourself ».  

Depuis les masques bricolés sur un bout de table jusqu’à des initiatives plus « industrielles » mais inattendues comme le recyclage de chaine de production de parfum ou spiritueux en fabrication de gel hydroalcoolique, le système D et la débrouille, conduisant parfois même à des inventions géniales (autant dire salvatrices) qui pourraient faire long feu, montrent qu’il est possible en peu de temps de passer du superflu à la nécessité….

Toutes ces trouvailles ont été « théorisées » et un nom leur a même été donné : le « MacGyvering » inspiré de ce héros d’une série télévisé des années 80, capable de se sortir d’affaires avec trois bouts de ficelle. Elles ont d’ailleurs reçu l’aval du Dr C Michael Gibson qui en fait la promotion sur les réseaux sociaux sous le hashtag #MacGyverCare. Nous rapportons, de façon totalement non exhaustive, quelques-unes de ces initiatives bienvenues en temps de crise.

Du luxe à la nécessité

Face à la pénurie de gel hydroalcoolique, il faut reconnaitre que le groupe de luxe LMVH a été le plus rapide à dégainer en proposant la reconfiguration de son site de production de parfums en produits désinfectants avec distribution gratuite aux hôpitaux, notamment de l’APHP : une initiative saluée de toute part par les soignants, comme en témoigne le tweet ci-dessous.

https://twitter.com/docjohanne/status/1240984910397157377

D’autres ont suivi le mouvement, c’est le cas de l’usine L’Oréal de Vichy, partiellement reconfigurée pour produire du gel hydroalcoolique. Sur place, toute l’usine a été « mobilisée pour réussir cela depuis la réception, jusqu’aux caristes » détaille pour La Montagne , Jean-Yves Larraufie, directeur général de Cosmétique Active Production qui a décidé de bouleverser les habitudes pour répondre, en urgence, aux besoins du terrain. « Nous essayons de servir en priorité l’Allier et en fonction des autres demandes, on échelonne. Avec une priorité absolue pour les hôpitaux. » Comme celui de Vichy.

Du gel hydroalcoolique « peyi »

Depuis Pernod-Ricard jusqu’aux usines de transformation de betteraves à sucre, un autre secteur s’est positionné comme fournisseur potentiel de gels, et pour cause, l’industrie des spiritueux et du sucre a le savoir-faire et les moyens de produire de l’alcool. Dans le nord de la France, deux groupes sucriers français (derrière les marques Béghin-Say et Daddy) bouleversent leur production pour participer à l’effort national contre le coronavirus : 10 000 à 11 000 litres devraient être produits chaque semaine. Cette production de gel hydroalcoolique « sera mise à la disposition gratuitement des Agences régionales de santé et des hôpitaux des régions proches, qui connaissent des situations très critiques » a précisé l’un de ces groupes dans un communiqué.

Si le groupe Pernod Ricard (Absolut, Jameson, Glenlivet, Ballantine's...), n°2 mondial des spiritueux a annoncé mercredi offrir 70 000 litres d’alcool pur au laboratoire Cooper, « premier fournisseur de gels hydroalcooliques en pharmacie », suivi dans la foulée par d’autres grands alcooliers, de nombreuses petites distilleries de Martinique et de Guadeloupe qui se sont dits, elles aussi, prêtes à « fournir solidairement la matière première d'un gel hydroalcoolique peyi » en lieu et place de la production de rhum habituelle.

L’impression 3D au secours de la ventilation

Dans le domaine plus pointu de la fabrication de pièces médicales, c’est le secteur de l’impression 3D qui s’est montré le plus réactif. Avec un avantage certain en termes de savoir-faire, de rapidité d’exécution et de flexibilité, le tout pour un coût modeste, il a permis d’optimiser les options de ventilation pour les patients en réanimation, limitées jusqu’à présent par le nombre des machines fonctionnelles.

Tout a commencé en Italie il y a une semaine quand un hôpital d’une petite ville près de Rome fait savoir qu’il est en manque de valves pour ses respirateurs, indispensables pour ventiler les patients en réanimation. En l’absence de remplacement de cette pièce – l’entreprise qui les fabriquait habituellement ne pouvant les fournir en un temps si court –, les patients allaient mourir, rapporte FastCompany. Apprenant cela, un ingénieur et un designer italiens décident d’unir leurs compétences pour dessiner la pièce – l’entreprise d’origine ayant refusé de fournir le modèle – et la fabriquer grâce à une imprimante 3D en un matériel appelé PA12, validé pour une utilisation médicale. Les premières valves – devenues symboles de vie ou de mort au vu de la situation critique en Italie – ont été créées en quelques heures, tandis qu’une centaine étaient produites le lendemain.

Au final, les 2 entrepreneurs n’ont pas partagé leur savoir-faire reconnaissant que les pièces originales, fabriquées avec plus de détails, sont de meilleure qualité et fonctionnent mieux, mais il va sans dire que la collaboration et le dépannage en urgence assurés par les deux italiens a permis de sauver la situation.

Cette initiative a conduit le CECIMO, qui regroupe des fabricants de machine-outils au niveau européen, à lancer un « call for action » incitant les entreprises du secteur à se mettre à disposition des hôpitaux afin de créer avec eux les pièces (comme les valves pour les appareils de ventilation) qui viendraient à manquer.

Sytème D : multiplier par neuf les capacités d’un respirateur artificiel

Au rayon des optimisations du matériel disponible, un anesthésiste canadien, Alain Gauthier s'est, lui aussi, montré très ingénieux en proposant un moyen de multiplier par 9 les capacités d’un respirateur artificiel. Son idée, toute simple, consiste à démultiplier les tuyaux à la sortie du respirateur. Seules conditions, non négligeables : les patients intubés doivent faire la même taille, avoir la même capacité respiratoire et être dans des états de santé similaires. Pas la solution idéale et Alain Gauthier le reconnaît volontiers. Cependant, en cas d’urgence, sa solution pourrait sauver des vies.

https://twitter.com/CMichaelGibson/status/1241773420616040450

De la plongée en apnée à la respiration à pression positive continue (CPAP) 

Mais la palme de l’inventivité, pourrait-on dire, revient indéniablement à cette idée, venue une fois de plus de nos voisins italiens, consistant à détourner le bien nommé, Easy breath, un masque de plongée en apnée de l’enseigne Décathlon, pour pallier le manque de respirateur à pression positive continue (CPAP).

Selon le Corriere della Sera, une entreprise spécialisée dans la fabrication 3D, Isinnova, la même que celle a imprimé la valve évoquée ci-dessus, associée à des soignants, a imaginé l'adaptation du masque de snorkeling de Décathlon : « Nous avons analysé la proposition du docteur [Dr Renato Favero, ndlr] et nous avons conclu que le masque Easybreath de Decathlon était celui qui se prêtait le mieux à nos exigences, raconte Alessando Romaioli, ingénieur dans l'entreprise Isinnova. Décathlon nous a répondu qu’ils en avaient des dizaines de milliers en magasin. Nous avons conçu et imprimé en 3D les raccords de connexion entre le masque et les tubes hospitaliers standard. Nous avons fabriqué des produits aussi commerciaux que possible, capables de s'adapter à la plupart des tuyaux utilisés dans les hôpitaux ». Toujours selon le quotidien italien, l’entreprise italienne innovante a partagé sur son site Web les instructions pour construire le raccord entre le masque et les tubes de l'hôpital. Les ingénieurs précisent toutefois que leur produit a été fabriqué pour faire face aux urgences et qu’il « faut toujours préférer celui certifié ». Avant d'utiliser le masque inventé par le Dr Favero avec les ingénieurs d'Isinnova, les patients doivent donc signer une déclaration écrite par laquelle ils acceptent l'utilisation d'un appareil biomédical non certifié.

https://twitter.com/francoisedegois/status/1242342657407377408

Masques : de l’artisanat local aux grandes marques de prêt-à-porter

Côté masques, les initiatives se sont multipliées à vitesse grand V depuis le début de la crise, et ce d’autant que la pénurie et les difficultés d’acheminement ont perduré. Depuis les couturiers amateurs jusqu’aux grandes entreprises textiles et de prêt-à-porter, la population française s’est mobilisée en masse, parfois depuis des régions reculées de France, pour se mettre au service des soignants. A l’image de ces couturières solidaires du Tarn II qui mettent à disposition des infirmières, des maisons de retraites ou des magasins d'alimentation leur production artisanale colorée.

Les grandes marques de prêt-à-porter ont aussi répondu à l’appel. C’est le cas de la célèbre marque de sous-vêtement Eminence, qui a mis en production un volume de 20 000 masques à l’attention des sapeurs-pompiers, des secouristes et des policiers, afin d‘apporter sa contribution à la lutte contre le coronavirus. Entre les deux, les ateliers de tissage de Charlieu (Loire) ont troqué le jacquard de ses 50 métiers à tisser au profit de tissu pour un prototype de masque en tissu lessivable et donc réutilisable, mis au point par la société ligérienne. Cette PME se dit d’ailleurs prête à en produire jusqu'à 100 000 par jour, si nécessaire.

Le « tuto » masque

Il est vrai que la plupart du temps ces masques sont « non-homologués », contrairement à ceux qui servent pour se protéger du virus de type FFP2 ». Ceux-là pourront ainsi être réservés à ceux qui en ont le plus besoin : les malades et les personnes qui s’en occupent. C’est, en tout cas l’argument développé par le Centre Hospitalier de Saint-Brieuc, qui a été jusqu’à lancer un appel à la fabrication de masque en tissu en proposant un tutoriel sur son site, tout comme le CHU de Grenoble.

 

Crédit photos masque easy breath : Isinnova, masques en tissu : couturières solidaires du Tarn II

Retrouvez les dernières informations sur le COVID-19 dans le  Centre de ressource Medscape dédié au coronavirus

 

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....