POINT DE VUE

COVID-19 : le renfort du secteur privé est-il à la hauteur?

Jean-Bernard Gervais

5 avril 2021

France – Alors que les services de réanimation des régions sous-tension sont proches de la saturation, qu’en est-il de la collaboration avec l’hospitalisation privée présentée comme une soupape de sécurité. Nous avons posé la question à Lamine Gharbi, président de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP).

Medscape édition française : Au cours de l'année 2020, les cliniques privées se sont plaintes de ne pas avoir été suffisamment sollicitées pour la prise en charge de patients Covid. Les choses se sont-elles arrangées ?

Lamine Gharbi : Il faut le reconnaitre, la coopération n’a pas été fluide au tout début du premier confinement. Alors que nos établissements avaient fait preuve d’une grande réactivité en déprogrammant les opérations non urgentes pour permettre l’augmentation des capacités de réanimation, ces lits sont d’abord restés inoccupés alors que les hôpitaux publics commençaient à saturer. C’est pourquoi j’ai lancé un appel public afin d’accélérer les coopérations. Au bout de quelques jours, la collaboration s’est finalement installée de manière satisfaisante.

Aujourd’hui, cette coopération est un acquis majeur. Nous constatons chaque jour une belle complémentarité, pragmatique et efficace, entre les services des établissements privés et publics, comme l’ont souligné en chœur le Président de la République : « le secteur public et le secteur privé travaillent main dans la main » et le Premier Ministre : « la collaboration entre le public et le privé n’a jamais été aussi fluide » a souligné Jean Castex.

Désormais, la régulation – par le centre 15 – adresse les patients là où il reste de la place, sans se poser la question de savoir s’il s’agit d’un établissement public ou privé.

Cette coopération est précieuse car elle a permis à notre système de santé d’absorber les deux précédentes vagues de l’épidémie et elle permet de faire face à la troisième aujourd’hui. Sans le privé, notre système de santé n’aurait pas pu tenir.

Nous constatons chaque jour une belle complémentarité, pragmatique et efficace, entre les services des établissements privés et publics.

 

Comment se déroule la coordination entre hôpitaux publics et privés ? Les Agences régionales de santé (ARS) jouent-elles le rôle de hub ? 

Lamine Gharbi : C’est le rôle des ARS de veiller à la synergie et de coordonner la lutte contre l’épidémie. Elles recensent les moyens humains et matériels de leur territoire et accompagnent les établissements dans la gestion de l’afflux des patients en fonction des lits disponibles.

Dans le même temps, les établissements publics et privés communiquent entre eux et, quand l’urgence le commande, se répartissent les prises en charge selon leurs ressources

Sans le privé, notre système de santé n’aurait pas pu tenir.


Les cliniques privées ont-elles été amenées à déprogrammer des opérations? 

Lamine Gharbi : Les consignes de déprogrammation des ARS sont valables aussi bien pour le privé que pour le public. La grande différence entre cette troisième vague et la première, c’est que nous continuons à opérer les patients hors-Covid.

Nous sommes passés à une gestion territorialisée des déprogrammations pour éviter au maximum les retards de soins.

Alors que durant la première vague, nous étions à 100% de déprogrammation, nous faisons désormais de la déprogrammation localisée en nous adaptant aux spécificités de chaque territoire. Notre stratégie est de nous adapter localement au plus juste des besoins hospitaliers.

Ces déprogrammations se font en coordination avec les Agences Régionales de Santé de chaque territoire.

Si l’ARS a demandé une déprogrammation importante en Ile-de-France afin de libérer des lits, cette déprogrammation est beaucoup plus faible dans un certain nombre de départements davantage épargnés par la pandémie.

Cette stratégie implique une forte réactivité. Dans le privé, nous avons la capacité de déprogrammer en 24 heures pour réaffecter les lits et libérer du temps soignant pour les patients Covid. 

Alors que durant la première vague, nous étions à 100% de déprogrammation, nous faisons désormais de la déprogrammation localisée en nous adaptant aux spécificités de chaque territoire.

Des médecins libéraux qui sont intervenus en cliniques privées en mars 2020 se sont plaints de ne pas avoir été dédommagées par l'Etat, comme c'était prévu. Les choses se sont-elles arrangées ?

Lamine Gharbi : La question de l’indemnisation des médecins libéraux du secteur privé est essentielle alors que le pourcentage de déprogrammations demandées par les ARS est élevé. Certes, le dispositif de dédommagement est acté mais il n’est pas suffisant. Les médecins qui sont contraints d’arrêter leur activité de bloc opératoire doivent être compensés à l’euro près.

Les cliniques, qui sont des entreprises, ont-elles pu bénéficier d'aide de l'État (report du paiement des charges sociales, chômage partiel, prime pour les personnels...) ?

Lamine Gharbi : Depuis le début de l’épidémie, notre démarche n’est pas économique mais d’aide et de soutien aux hôpitaux publics. La question de la lucrativité supposée de certains actes ne rentre pas en ligne de compte puisque nous bénéficions, comme l’hôpital public, d’une garantie de financement par le gouvernement.

Ce mécanisme a été mis en place en mars 2020 et a été prolongé jusqu’au 30 juin prochain. Les surcoûts et le manque à gagner liés à l'épidémie sont compensés. Cela assure le financement de nos établissements et permet leur fonctionnement.

Y a-t-il eu des régions plus exemplaires que d'autres en termes de coopération public/privé ? 

Lamine Gharbi : Ce n’est pas mon rôle d’établir des comparatifs d’une région à une autre. Je veux seulement souligner que cette coopération fonctionne bien aujourd’hui sur l’ensemble du territoire.

Quel est le rôle des établissements privés dans la campagne de vaccination? Quel est celui que vous revendiquez ? 

Lamine Gharbi : La dynamique vaccinale est rendue possible sur le terrain par la coopération entre l’ensemble des acteurs. Chacun apporte sa contribution à sa mesure. Pour sa part, l’hospitalisation privée est entièrement mobilisée. C’est ainsi qu’après l’ouverture de la campagne vaccinale, plusieurs dizaines de centres de vaccinations ont été ouverts dans le privé sur l’ensemble du territoire en un mois seulement

C’est l’occasion, un an après le début de la pandémie et alors que nous sommes confrontés à cette troisième vague, de rappeler le formidable engagement des professionnels de santé du public comme du privé. On parle moins d’eux aujourd’hui, on souligne moins leur rôle, comme si leur dévouement était une évidence. Pourtant, ils continuent d’être sollicités sans relâche dans des conditions extrêmement difficiles.

Cet engagement et leur compétence sont salués par les Français comme en témoigne le sondage publié récemment par le CEVIPOF (Centre de recherches politiques de Science Po) : ce sont les professionnels de santé, suivis par les établissements de santé, qui bénéficient parmi toutes les institutions du pays du plus haut niveau de confiance. 

Les dirigeants et responsables politiques doivent être conscients, comme le sont les Français dans leur ensemble, du rôle fondamental tenu par les professionnels de santé depuis le début de la pandémie.

Peut-on quantifier la participation du secteur privé dans la prise en charge des malades Covid ?

Lamine Gharbi : Nos capacités en lits de réanimation sont proches aujourd’hui de 2000 lits. Elles pourraient être doublées pour monter à 4000 lits en cas de nouvelle aggravation de la situation car nous pourrions upgrader nos services de réanimation

Mais il n’y a pas que la réanimation, il y a aussi la médecine, les soins de suite ou la prise en charge des patients en chirurgie non Covid.

Les 1030 hôpitaux privés et cliniques répartis sur tout le territoire comptent près de 40 000 lits de chirurgie et 18 000 lits de médecine. En plus de lits de réanimation, nous disposons également de 3000 lits de soin continu.

C’est donc l’ensemble de nos établissements, partout sur le territoire, qui est mobilisé (voir encadré ci-dessous).

Le secteur privé participe-t-il à la recherche sur le Covid-19 ? 

Lamine Gharbi : Le privé devrait être davantage associé dans les essais cliniques. Les établissements privés n’ont pas pu inclure de patients dans les essais en cours, notamment ceux de Discovery. Il est regrettable que la situation d’urgence épidémique n’ait pas fait progresser l’inclusion du privé.

Ce n’est qu’en 2014 que les financements MERRI ont été ouverts au privé, et depuis lors les établissements privés se sont engagés fortement sur le sujet puisqu’aujourd’hui pas moins de 30 d’entre eux bénéficient d’une MERRI.

Par ailleurs, l’hôpital pourrait s’articuler davantage avec la médecine de ville pour approfondir la collecte de données cliniques sur l’efficacité de traitements expérimentaux dans la prise en charge du Covid-19. La synergie et l’association des acteurs est encore trop insuffisante sur ce sujet. Il s’agit d’un enjeu pour l’avenir

Point sur les données nationales et régionales au 31 mars 


- IDF
7343 personnes hospitalisées dont 1531 en réa+USC
1500 personnes hospitalisées dans le privé dont 378 personnes en Réa+USC
Le privé prend en charge 26% des malades en réa


- HDF
3486 personnes hospitalisées dont 687 en réa+USC
520 personnes hospitalisées dans le privé dont 75 en réa+USC
Le privé prend en charge 15% des patients réa


- AURA
3 390 personnes hospitalisées dont 515 en réa+USC
Le privé prend en charge 21% des patients covid dans le Rhône et 16% pour la Haute Loire


- PACA
3317 personnes hospitalisées dont 568 en réa+USC
Le privé prend en charge 25% des patients covid en réa en PACA (33% dans les bouches du Rhône)


- NOUVELLE AQUITAINE
2284 personnes hospitalisées dont 220 en réa+USC
597 personnes hospitalisées dans le privé dont 13 personnes en réa+USC


- NORMANDIE
1468 personnes hospitalisées dont 187 en réa+USC
Le privé prend en charge 62 patients en hospitalisation dont 7 en réa+USC


- OCCITANIE
1351 personnes hospitalisées dont 337 en réa+USC
302 personnes hospitalisées dans le privé dont 71 personnes en Réa+USC
Le privé prend en charge 22% des malades en réa


- CENTRE
1055 personnes hospitalisées dont 152 en réa+USC
Dans le privé 4 personnes en réa+USC


- BRETAGNE
644 personnes hospitalisées dont 111 en réa+USC
30 personnes hospitalisées dans le privé dont 8 en réa+USC

 

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....