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Muriel Pénicaud : "Nous voulons réaliser le rattrapage salarial femmes-hommes"

La ministre du Travail Muriel Pénicaud dévoile les pistes du gouvernement pour lutter contre les écarts de salaires entre hommes et femmes.

Emmanuelle SouffiHervé Gattegno , Mis à jour le
La ministre du Travail Muriel Pénicaud.
La ministre du Travail Muriel Pénicaud. © Bernard Bisson pour le JDD

L'affaire Weinstein a fait éclater des revendications pour l'égalité entre les hommes et les femmes dans le monde entier. Le secteur du travail n'est évidemment pas épargné. Dans Le Journal du dimanche, la ministre du Travail Muriel Pénicaud avance des pistes pour lutter contre les écarts de salaires. "Les femmes gagnent toujours 9 % de moins que les hommes à poste équivalent et 25 % en moyenne de moins que les hommes tous postes confondus", rappelle-t-elle. "C’est inadmissible. Alors il faut agir pour le rattrapage salarial. Nous allons le faire."

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Depuis l'affaire Weinstein , la lutte contre le sexisme est devenue un sujet de préoccupation mondial. N'est-il pas temps de faire avancer la cause de l'égalité salariale?
Oui, et ce contexte est révélateur. Le sexisme, ce n'est pas nouveau. Ce qui l'est, c'est cette vague d'opinion mondiale qui dit : "Ce n'est plus possible." Eh bien, oui, c'est vrai, ce n'est plus possible. L'égalité entre les femmes et les hommes est un principe constitutionnel et la loi Roudy sur l'égalité a 35 ans. Le principe, c'est à travail égal, salaire égal. Mais en réalité, les femmes gagnent toujours 9% de moins que les hommes à poste équivalent et 25% en moyenne de moins que les hommes tous postes confondus. C'est inadmissible. Alors il faut agir pour le rattrapage salarial. Nous allons le faire.

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Que comptez-vous faire?
Nous allons proposer une réunion aux partenaires sociaux sur l'égalité salariale pour élaborer un plan d'action d'ici la fin mars. Dans les 25% d'écart entre la rémunération des femmes et celle des hommes, une part s'explique par des retards culturels, la persistance des clichés sexistes dès l'enfance, le fait qu'elles n'accèdent pas à tous les métiers qu'elles pourraient exercer – on chiffre généralement cette part à 15% ou 16%. Tout cela peut se corriger, mais sur le long terme, en prenant le mal à la racine. Mais l'écart de 9% qui demeure à travail égal aurait déjà dû disparaître. Quand même une jeune diplômée de HEC est engagée avec un salaire inférieur à celui d'un garçon qui a le même cursus qu'elle, c'est inacceptable. Notre ambition, avec le Premier ministre et Marlène Schiappa , est de supprimer cette différence de 9% pour toutes les femmes pendant le quinquennat. Nous voulons réaliser ce rattrapage salarial.

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Il ne suffit pas de voter des lois et de prévoir des sanctions pour que les choses changent sur le terrain

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Mais que faire concrètement?
Dans le cadre de la responsabilité sociale et environnementale, des indicateurs sur la situation comparée des hommes et des femmes dans les entreprises existent ; il faut les perfectionner pour mieux mesurer les progrès ou les insuffisances. Plus de transparence est nécessaire. Et cette question doit devenir un sujet prioritaire du dialogue social. Quand des écarts démesurés sont constatés, on peut lancer des programmes de rattrapage salarial étalés sur plusieurs années – je l'ai fait dans les entreprises où j'ai travaillé en tant que responsable des ressources humaines. C'est d'abord aux acteurs de prendre leurs responsabilités.

Faut-il comprendre qu'une nouvelle loi n'est pas nécessaire?
Il ne suffit pas de voter des lois et de prévoir des sanctions pour que les choses changent sur le terrain. On le voit bien : depuis quarante ans, malgré les lois qui ont été votées sur le sujet, cela a peu bougé. Je le répète, c'est dans les entreprises que la prise de conscience doit avoir lieu et que le rattrapage doit se faire. C'est non seulement une question de justice sociale, mais aussi d'attractivité. Les femmes représentent près de la moitié de la population qui travaille ; leur donner plus de pouvoir d'achat serait un levier économique décisif. Ce serait aussi, pour les entreprises, une façon de s'ouvrir. Vous croyez qu'aujourd'hui les jeunes ont envie de travailler dans une entreprise qui paie moins bien les femmes que les hommes?

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Certes, mais pourquoi les entreprises tardent-elles tant à le comprendre?
Ce sont des pratiques profondément ancrées mais qui restent souvent inconscientes. La plupart des hommes sont choqués quand ils découvrent que leur femme ou leur fille est moins bien payée. Mais ils ne réalisent pas toujours la différence entre la carrière d'un homme et celle d'une femme. Quatre verrous expliquent ces écarts. D'abord, dès l'orientation, on constate une prédétermination : la plupart des jeunes filles vont plus souvent vers des métiers moins valorisés, moins rémunérateurs, avec un spectre d'évolution de carrière plus étroit. La probabilité, pour un actif occupé, d'avoir un emploi non qualifié est 2,2 fois plus élevée pour une femme que pour un homme. Le "ce n'est pas pour toi, tu es une fille" joue encore à plein. Autre indice : la majorité des filles réussissent mieux que les garçons au bac S ; alors que 80% des étudiants ingénieurs sont des garçons...

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En matière de gestion des carrières la "rampe de lancement" se situe entre 25 et 35 ans. Or c'est le plus souvent l'âge où le désir de maternité s'exprime

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Pourtant, 42% des cadres sont des femmes, non?
C'est vrai, mais elles n'occupent que 17% des postes de direction – et 10% des sièges dans les comex des sociétés du CAC 40. Ce n'est évidemment pas une question de compétences. Pourquoi un tel décrochage? Justement, c'est le deuxième verrou : la raison est qu'on a tendance à coopter ceux qui nous ressemblent et comme les hommes sont majoritaires chez les dirigeants… Quand je pilotais les RH chez Danone, j'avais fait remarquer à un chef de service que ses adjoints étaient tous des hommes. Il ne s'en était jamais rendu compte!

Les femmes ne sont-elles pas victimes de la maternité, qui retarde leur carrière?
Le fait est qu'en matière de gestion des carrières la "rampe de lancement" se situe entre 25 et 35 ans. Or c'est le plus souvent l'âge où le désir de maternité s'exprime. Certaines veulent ensuite légitimement ralentir un peu le rythme, pour s'occuper de leurs enfants. D'autres sont écartées parce qu'on les soupçonne d'être moins disponibles. Et puis, il y a le poids du temps partiel : 30% des femmes qui travaillent ne sont pas à temps plein ; seulement 8% des hommes. Cela contribue à tirer les salaires vers le bas et à écarter les femmes de toute promotion.

N'y a-t-il pas aussi une forme d'autocensure pénalisante chez les femmes?
C'est ce que j'appelle le plafond de verre intérieur. Culturellement, une majorité de femmes ne se font pas confiance et hésitent à postuler si elles n'ont pas 100%, voire 120% des compétences. La plupart des hommes se disent que 50% suffisent pour foncer car ils apprendront sur le tas et s'appuieront sur leurs réseaux – sur ce plan, les hommes ont raison! Ce sentiment de ne pas être légitime perdure, y compris dans les jeunes générations.

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On ne peut pas jouer seulement sur la peur des sanctions. Il faut miser sur l'engagement des chefs d'entreprise et le rendre visible

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Pourquoi les inégalités salariales, proscrites par la loi, ne sont-elles pas davantage sanctionnées?
Il y a des sanctions. En 2017, plus de 1.700 entreprises ont été contrôlées car elles n'avaient pas d'accord sur l'égalité professionnelle, ni de plan d'action alors que la loi les oblige à en avoir un. Elles ont ensuite six mois pour se mettre en conformité. Faute de quoi, une sanction financière est appliquée – jusqu'à 1% de la masse salariale. Depuis 2013, plus de 3.000 entreprises ont été mises en demeure et 157 ont été sanctionnées. Conformément au souhait du président de la République, la lutte contre les inégalités femmes-hommes est une des quatre priorités de l'Inspection du travail.

Mais l'Inspection du travail ne manque-t-elle pas justement de moyens pour contrôler?
La France possède un nombre d'inspecteurs et d'agents supérieur au plancher recommandé par l'Organisation internationale du travail.

Etes-vous, comme votre collègue Marlène Schiappa, favorable au "name and shame", la publication des sanctions, pour que les condamnations fassent école auprès des autres entreprises?
Encore une fois, on ne peut pas jouer seulement sur la peur des sanctions. Il faut miser sur l'engagement des chefs d'entreprise et le rendre visible. Je crois que la plupart sont mûrs pour cela. La valorisation des bons comportements comme la stigmatisation des mauvais comportements peut être aussi efficace que la norme.

Il vous a été reproché de contredire votre discours en réduisant, dans les ordonnances sur le droit du travail, la fréquence des négociations obligatoires sur l'égalité professionnelle. Que répondez-vous?
Au contraire, les ordonnances apportent des avancées : c'est devenu un thème de discussion contraignant au niveau des branches. Les entreprises peuvent choisir par accord collectif de modifier le calendrier annuel et de prévoir un plan pluriannuel sur quatre ans pour résorber les inégalités salariales. Un an, c'est trop court ; on peut être bien plus ambitieux sur un temps plus long. Enfin, dans les conseils d'entreprise, nouvelle instance de négociation, c'est un des deux sujets (avec la formation professionnelle) où les codécisions sont obligatoires. Vous voyez, nous sommes décidés à avancer très concrètement.

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