Télétravail : « On a besoin de managers empathiques et bienveillants »

Emmanuelle Léon, professeur de management des ressources humaines à l’ESCP Business School, directrice scientifique de la chaire « Reinventing work », travaille sur le management à distance depuis une vingtaine d’années. Ses conseils pour bien encadrer ses équipes en période de confinement, et ses pistes pour préparer l’après.

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Télétravail : « On a besoin de managers empathiques et bienveillants »
Emmanuelle Léon, professeur de management des RH à l'ESCP Business School.

Du jour au lendemain, les managers se sont retrouvés en situation de télétravail généralisé. La solution simple est alors de se contenter de transposer les process habituels, en les adaptant aux outils de travail à distance. Faut-il changer sa façon de manager ?

On est certes en télétravail, mais surtout en situation de continuité d’activité à distance. Tout s’est fait dans l’urgence. Du coup, au démarrage, les managers ont été tentés de faire comme d’habitude : maintenir toutes les réunions, les pauses café du matin, etc. Aujourd’hui, c’est en train d’évoluer, les gens se disent qu’il faut peut-être faire autrement. On est sur du télétravail à temps plein, ce qui très inédit. Cela signifie qu’il faut transformer son type de management : on ne peut pas faire autrement que de manager par objectifs. Il faut lever le pied sur le contrôle, arrêter toute forme de micro-management. Et pourtant, on voit des managers qui calent des réunions à 8h30 et à 17h30 tous les jours pour garder la main. Un manager contrôlant a tous les moyens de le rester à distance… mais ce n’est pas la bonne solution. Au contraire, il faut laisser plus de place à la confiance et à la délégation, ce qui n’exclut pas le contrôle mais un contrôle sur les objectifs, pas sur la présence ! Et encore, en France, nous avons la chance d’être protégés juridiquement. Aux Etats-Unis, on assiste à un boom des logiciels de contrôle, qui permettent de savoir à tout moment ce que font les gens, de prendre des photos d’eux et de leurs écrans toutes les dix minutes… Il est aussi indispensable d’être beaucoup plus organisé dans sa communication. On ne peut pas conserver dix canaux différents pour communiquer, sinon, à un moment, on perd les collaborateurs, qui sont sur-sollicités. La distance et l’improvisation ne sont pas compatibles.

Ce que vous soulignez, c’est que ce n’est pas seulement du télétravail, mais du télétravail de crise. Quelles ressources cela demande-t-il, de la part des managers ?

Les deux compétences clés, et on ne peut pas les acquérir facilement si l’on en n’est pas doté, c’est l’empathie et la bienveillance. Il faut savoir prendre en compte la situation personnelle de chacun de ses collaborateurs. On a besoin de managers qui comprennent ce que vivent leurs collaborateurs. C’est important, notamment parce qu’un jour on va revenir en présentiel, et la façon dont les managers se seront comportés pendant cette période aura un impact énorme sur ce qui se passera par la suite.

Comment préparer ses collaborateurs à ce futur retour à la normale ?

Ce qui me paraît essentiel, c’est de ne pas revenir au bureau comme si de rien n’était. C’est l’occasion de mener une vraie réflexion sur les méthodes de travail, sur le télétravail (ceux qui ne le pratiquaient pas s’y sont mis, qu’ont-ils appris ? Comment imaginer un meilleur équilibre entre les temps de travail au bureau et hors bureau ?), de repenser les modes de communication entre individus, et aussi les modes de formation. Il va falloir réinventer des normes de comportements en présentiel, à l’aune du bilan du confinement. Par exemple, sur les réunions, certains se rendent compte aujourd’hui des vertus de transmettre un ordre du jour, planifier les prises de parole et rédiger un compte-rendu !

Des salariés se plaignent de passer leurs journées en visioconférence. Y a-t-il un risque de reproduire la culture du présentéisme via la multiplication de ces réunions ?

La visio toute la journée, c’est épuisant. Cela ne va pas tenir. Mais il y a des managers qui se sentent complètement perdus. La visioconférence est un moyen de se rassurer. Mais a-t-on vraiment besoin de toutes ces réunions ? A-t-on vraiment mis autour de la table - même virtuelle - les bons protagonistes ? Pour le savoir, il suffit de vérifier que tout le monde a un rôle à jouer dans cette réunion. Si je n’ai pas de rôle actif, le compte-rendu devrait me suffire. Ce sont tous ces modes de fonctionnement qui devraient faire l’objet d’une réflexion, aujourd’hui à distance… et demain en présentiel. N’oubliez pas qu’en ce moment la visioconférence peut être perçue comme intrusive par certains de vos collaborateurs si ces derniers n’ont pas un espace de travail dédié. Ce n’est pas eux qui ont choisi de vous ouvrir la porte de leur domicile : ce sont les circonstances qui les y ont contraints. Autre point important : faire preuve de charisme, à distance, n’est pas facile. Un manager bien organisé, disponible et réactif sera beaucoup plus apprécié à distance qu’un manager charismatique !

Cet accès à l’intimité est vu positivement par certains dirigeants, au motif qu’elle humaniserait les relations. Qu’en pensez-vous ?

Je pense que cela dépend des relations que le manager entretenait avec son équipe avant cette crise. Ce n’est pas à distance que l’on va développer de l’intimité, me semble-t-il. En revanche, faire preuve de respect en étant à l’écoute des besoins de ses collaborateurs (certains ayant besoin d’un contact quotidien, d’autres non) me semble essentiel. Ce n’est pas au manager de décider seul des modalités de communication avec chacun. S’il en a envie, le manager peut tout à fait imaginer quelque chose autour de son univers personnel, mais c’est son choix. Il ne peut pas l’imposer aux autres.

On demande beaucoup aux managers, en ce moment, de détecter les situations de détresse et de stress des salariés. Comment amener cet accompagnement psychologique ?

On frise l’aberration, c’est dangereux. Les managers ne sont pas des psychologues, ils ne sont pas formés comme tel, ce n’est pas leur rôle. Ils sont là pour accompagner la réalisation d’objectifs. Qu’ils comprennent les problèmes des uns et des autres pour ajuster leur management, soit. Qu’ils soient soucieux du bien-être de leurs collaborateurs, tant mieux ! Mais il ne faut pas mélanger les rôles. Plus l’épidémie avance, plus les gens vont se sentir mal. C’est le moment pour les entreprises de mettre en place des cellules d’accompagnement psychologique, ou des partenariats avec des coachs professionnels. Si le manager est un maillon essentiel pour alerter, ce n’est pas à lui de gérer ce type de problème psychologique. Il risque de faire plus de mal que de bien, et de se retrouver lui-même dans une posture très délicate.

Alors que le confinement est appelé à durer encore au moins un mois, comment maintenir la motivation de ses équipes ?

Ou comment la réenclencher, quand elle n’était déjà plus là ! La motivation, c’est d’abord une motivation sur un projet. Si les salariés voient un sens à ce qu’ils font, ils seront motivés. Cela fait des années que les études nous montrent un désengagement croissant des salariés vis-à-vis de leur entreprise. Dans le contexte actuel, la posture sociétale de l’entreprise peut avoir un impact positif sur l’engagement de ses collaborateurs. Paradoxalement, il peut sortir grandi d’une crise comme celle-là, notamment dans le secteur de l’assurance qui doit répondre présent. Et inversement, on n’oubliera pas ceux qui se seront mal comportés pendant cet épisode.

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