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Pourquoi l’Afrique du Sud redoute particulièrement l’épidémie de coronavirus

Si le pays n’a pour l’heure recensé qu’une poignée de cas, la vulnérabilité de sa population, fortement touchée par le VIH, et l’impréparation de certains hôpitaux suscitent l’inquiétude.

Par  (Johannesburg, correspondant régional)

Publié le 14 mars 2020 à 10h00

Temps de Lecture 5 min.

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Un homme vend du gel désinfectant pour les mains à Johannesburg, en Afrique du Sud, le 11 mars 2020.

Avec la chute des températures tandis que prend fin l’été austral, l’épidémie de coronavirus menace-t-elle de trouver un terrain favorable en Afrique du Sud ? C’est l’une des questions qui se posent au pays, et elle est loin d’être la seule à agiter les spécialistes. La nation Arc-en-Ciel est-elle prête, équipée, organisée, ou constitue-t-elle une bombe à retardement pour le coronavirus, dont le nombre de cas n’attendrait qu’un élément extérieur pour exploser ? Jusqu’ici, l’organisation des autorités a rassuré. Aucune perturbation majeure n’a eu lieu et les cas de contamination sont tous, en l’état actuel des connaissances, des voyageurs infectés à l’étranger.

Mais la situation demeure fragile. Il a fallu des semaines de préparatifs et de tergiversations pour parvenir à organiser par un avion spécial le rapatriement, en cours vendredi 13 mars, de ressortissants sud-africains bloqués depuis deux mois à Wuhan, en Chine. Plus de 120 de ces hommes et femmes ont été testés avant leur départ et seront confinés, à leur arrivée en Afrique du Sud, dans un hôtel de la région du Limpopo, à cinq heures de route de Johannesburg, près de la ville de Polokwane. Mais ils suscitent une peur que n’arrivent pas à calmer les autorités.

« Nous ne devons pas perdre de vue le fait que nous sommes une seule famille, une seule nation », a rappelé le ministre de la santé, Zweli Mkhize (qui est lui-même médecin), alors que l’opposition et même la section locale de la Ligue de la jeunesse du Congrès national africaine (ANC, au pouvoir) s’élevaient contre le choix de cet endroit pour mettre en quarantaine, deux semaines durant, les évacués de Wuhan.

Dimanche, un conseil des ministres spécial devra se pencher sur d’éventuelles mesures supplémentaires en vue de protéger le pays et, peut-être, restreindre les arrivées de voyageurs en provenance d’Europe. Pour l’heure, à l’aéroport de Johannesburg, des médecins de l’armée montent à bord des avions et prennent la température des voyageurs débarquant en Afrique du Sud.

Un système performant de suivi des malades

D’autres motifs d’inquiétude demeurent. Ils tiennent à une combinaison de facteurs liés à l’existence d’une autre épidémie. Le nombre de porteurs du VIH est de 7,7 millions de personnes, selon l’Onusida, et le taux de prévalence est de 17 % chez les Sud-Africains âgés de 15 à 49 ans. Cette population vulnérable en termes de résistance immunitaire est particulièrement exposée à une éventuelle diffusion du coronavirus et pourrait être plus gravement affectée que des personnes du même âge ailleurs dans le monde.

A cela s’ajoute la tuberculose, maladie opportuniste accompagnant le VIH. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), elle a causé le décès de 63 000 individus en 2018 en Afrique du Sud. Les deux tiers d’entre eux étaient séropositifs. A ceci s’ajoutent d’autres facteurs fragilisants comme le diabète ou l’hypertension. Au total, près de 10 millions de personnes pourraient se trouver en état de vulnérabilité aggravée face à une éventuelle extension de l’épidémie.

Toutefois, cette particularité constitue aussi, de façon inattendue, un avantage. Confrontée de longue date à l’épidémie de sida, l’Afrique du Sud a développé un système performant de suivi des malades. « Il y a une expérience unique fondée sur le VIH et la tuberculose, bien sûr, mais aussi sur l’épidémie de listériose il y a deux ans, précise Regina Osih, spécialiste des maladies infectieuses. Tout cela a permis d’élaborer des réponses et de les tester à l’échelle nationale. » L’Institut national des maladies transmissibles (NICD) gère les aspects techniques de la lutte contre les maladies infectieuses, avec l’appui du Laboratoire d’analyses médicales national (NHLS), une structure para-étatique qui permet de savoir qui est infecté, jusque dans les régions les plus reculées.

Le VIH comme la tuberculose, en effet, sont « des maladies qui frappent essentiellement dans les milieux pauvres et ruraux », relève Regina Osih. Le système de tests médicaux du NHLS a donc été organisé à l’échelle du pays, toutes zones confondues. « Chaque jour, dans n’importe quelle petite clinique, il y a un véhicule ou une moto du NHLS qui passe relever les échantillons pour les apporter au laboratoire le plus proche », explique l’épidémiologiste. Ceci ne peut constituer une réponse en cas de diffusion large du virus, mais constitue un premier élément pour élaborer une stratégie.

Manque de matériel et d’informations

Vendredi, il y avait 24 cas de Covid-19 recensés en Afrique du Sud. La veille il y en avait 17, l’avant-veille 8. Les chiffres sont faibles, mais la progression sérieuse. Jusqu’ici, les cas sont tous « importés ». Si l’épidémie devait entamer sa propre transmission locale, qu’adviendrait-il ? Les autorités se sont préparées de leur mieux. Khaya Xaba, porte-parole du Nehawu, le syndicat regroupant les personnels de santé, s’était d’abord inquiété du manque de matériel et d’informations dans les hôpitaux et cliniques. Il se dit à présent « rassuré, heureux de constater que la réponse du gouvernement a été rapide et efficace », notamment dans les hôpitaux destinés à traiter les patients infectés par le coronavirus dans les neuf provinces (des cas ont été signalés dans cinq d’entre elles).

Mais loin des grands hôpitaux de référence, la situation est plus floue. C’est bien ce qui inquiète un médecin souhaitant garder l’anonymat, qui a travaillé dans de nombreuses structures médicales rurales et se trouve actuellement dans une clinique publique de la région du Cap-Nord (nord-ouest) : « On est au bord de l’effondrement », explique-t-il, citant les détournements et les dysfonctionnements qui affectent de nombreuses structures médicales comparables à la sienne.

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Dans cette clinique, les médecins se sont amusés à se prendre en photo avec l’équipement supposé les protéger contre le virus. Une blague amère. « On n’a strictement rien reçu. Alors on s’est fabriqué des tenues avec des gants de jardinier, une blouse et les lunettes de chantier qu’on met aux urgences pour éviter de prendre des projections de sang dans les yeux », témoigne le praticien, qui se dit « inquiet parce qu’on n’est pas prêt et qu’on ne sera pas prêt ». 

Un autre médecin, également sous le sceau de l’anonymat, fait les comptes et dit redouter un « tsunami » de malades submergeant les hôpitaux en cas de diffusion de l’épidémie : « Il existe peut-être 10 000 lits d’hôpital à l’échelle du pays, et seulement quelques centaines de respirateurs artificiels. Et ce n’est pas comme si on pouvait espérer en commander, les payer et les obtenir dans des délais raisonnables. Tout ceci sera insignifiant si l’épidémie explose. »

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