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Tribune

Opinion | Gestion de la santé : pandémie ou syndémie ?

La stratégie pour limiter la propagation du virus s’appuie sur le repérage précoce des symptômes, la réalisation de tests, l’isolement des malades ainsi que des personnes ayant été en contact avec eux. La participation de toutes et tous est indispensable pour rendre efficace cette stratégie. Or, nous ne sommes pas égaux face à ce virus. (Par Thomas Zeroual, économiste, enseignant chercheur)

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Par Thomas Zeroual (économiste, enseignant chercheur)

Publié le 21 juin 2021 à 17:29

La syndémie, notion inventée par Merill Singer en 1990 et rappelée dans The Lancet en 2017 pourrait être mise à profit pour mettre en lumière cette rupture d’égalité et aider à décloisonner politiques de santé et politiques économiques et sociales.

Définie comme « l’agrégation d’au moins deux maladies ou problèmes de santé dans une population pour laquelle il existe un certain niveau d’interface biologique ou comportementale délétère qui exacerbe les effets négatifs de chacune des maladies impliquées »*, la syndémie se caractérise par des interactions entre conditions socio-économiques et état de santé.

Ces interactions s’entrelacent et se renforcent particulièrement pour certains groupes sociaux. Le risque d’une dégradation de leur état de santé et de leurs conditions socio-économiques augmente.
Cette notion invite alors à imaginer une autre forme de politique, susceptible de se projeter au-delà de la seule réponse à la pandémie.

Une maladie uniquement infectieuse ?

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La santé ne se résume pas à une question individuelle ou à des données personnelles (bilan de santé, analyses, etc.). Elle n’est pas seulement une affaire privée. Elle existe collectivement. Elle est bel et bien publique, comme l’ont montré par exemple le philosophe Michel Foucault puis Giorgio Agamben avec le concept de biopouvoir. Composée de multiples stratifications (économique, sociale, environnementale, juridique ou encore politique), on pourrait même envisager la santé comme un fait social total.

Dans l’actualité récente, la crise de la Covid-19 a montré l’entrelacement de toutes ces strates et la nécessité de les penser ensemble pour faire face à la pandémie. La notion de syndémie est une piste intéressante pour rendre compte de cette complexité. Car gérer cette crise uniquement sous l’angle sanitaire, voire de la comorbidité (l’hypertension, l’obésité, au diabète, aux maladies cardiovasculaires et respiratoires chroniques, ainsi qu’aux pathologies cancéreuses) limite son efficacité.

Comme Singer et ses collègues le précisent : «une approche syndémique permet une orientation très différente de la médecine clinique et de la santé publique, car elle montre comment une approche intégrée de la compréhension et du traitement des malades peut être bien plus efficace qu’un simple contrôle des maladies épidémiques ou que le traitement des patients ».

L’âge qui cache la forêt ?

La Covid-19 frappe davantage les populations âgées. Si l’on compare les décès entre 2019 et 2020, le nombre total de décès d’hommes âgés entre 75 et 84 ans a augmenté de 32,6 % et de 35 % pour les hommes âgés de 85 ans et plus.

L’âge entendu comme le nombre d’années n’est cependant pas un indicateur suffisant pour expliquer la surmortalité. Des facteurs sous-jacents associés à l’âge nécessitent d’être davantage pris en considération. Ce qu’on appelle les comorbidités. Il est plus fréquent de souffrir d’obésité ou d’une autre pathologie à risque de forme grave de Covid-19 quand on est âgé.

IMC et éducation

Mais si des pathologies ou problèmes de santé conjugués renforcent entre eux leur effet délétère, il ne faudrait pas sous-estimer l’influence du contexte économico-social.  Si l’on s’arrête sur l’Indice de Masse Corporel (ou IMC), les données montrent que le SARS-CoV-2 affecte particulièrement et plus gravement les obèses. Si être obèse n’augmente pas le risque d’être infecté par le virus, l’autre sens de la causalité semble vérifié : Quand un individu est infecté, s’il est obèse, le risque de développer une forme grave augmente.

C’est donc indéniablement un problème de santé publique. L’OMS qualifie d’ailleurs à ce titre l’obésité d’épidémie. Or, des liens existent entre l’obésité et les conditions socio-économiques, et notamment le niveau d’études, comme le montre les chiffres de la base de données Eurostat pour l’année 2014 où trois niveaux d’éducation ont été observés pour la seule année 2014.

Les niveaux 0-2 sont inférieurs «à l'enseignement primaire, enseignement primaire et premier cycle de l'enseignement secondaire». Les niveaux 3 et 4 correspondent aux «deuxième cycle de l'enseignement secondaire et enseignement post-secondaire non-supérieur». Les niveaux 5-8 rassemblent l’enseignement supérieur. 

L’obésité est plus élevée chez les niveaux scolaires plus faibles (entre 0 et 2) que chez les niveaux supérieurs (entre 5 à 8). La même conclusion peut être faite pour l’insuffisance pondérale. Et évidement, les individus dont l’IMC est «normal» sont plus fréquents chez les plus diplômés.

IMC et pauvreté

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Les obèses sont-ils plus fréquemment pauvres ? En 2014, dans l’ensemble des pays européens, l’insuffisance pondérale est plus élevée chez les plus bas revenus (1er et 2ème quintile), tout comme l’obésité. Un IMC normal est plus fréquent chez les plus hauts revenus (4ème et 5ème quintile). Si l’on se concentre sur la France, l’obésité ou autres facteurs aggravants sont plus fréquents pour les revenus les plus bas (quintile 1 à 2) que pour les plus hauts revenus (quintile supérieur à Q4).

Et les derniers signaux socio-économiques ne sont guère rassurants. Le niveau de vie s’est particulièrement dégradé pour les plus bas revenus entre le début du confinement et mai 2020 en France, en pleine situation pandémique. Ce qui montre aussi que la santé peut entrainer une dégradation de la situation économique et fragiliser des pans de populations, ce qui pourra aggraver certaines pathologies.

Un «en même temps» sociétal

Considérer le virus SARS-CoV-2 comme une maladie infectieuse est une évidence. Mais considérer uniquement ce virus comme une maladie infectieuse est une erreur. Ce virus n’apparait pas ex nihilo. D’autres maladies non transmissibles (MNT) lui préexistaient. Il en accélère les effets et intensifie leurs gravités. Et ces MNT se conjuguent avec le virus et renforcent son impact sanitaire. Négliger ces autres formes de l’équation serait une erreur.

En focalisant les actions gouvernementales sur l’arrêt de la transmission, le gouvernement a sans doute limité la portée et la possible efficacité de son action. La même logique peut s’appliquer pour la vaccination. Il est important de rappeler que le virus et les MNT se renforcent et que ces MNT augmentent dans les pays riches comme dans les pays pauvres. Cet autorenforcement augmente les risques épidémiques… pour tous. Il faut combiner un rôle moteur et de soutien aux initiatives et aux innovations biomédicale avec une volonté ferme de diminution des inégalités sociales, de la pauvreté, et un meilleur accès à l’éducation.

Thomas Zeroual est économiste, enseignant chercheur.

*Singer M, Bulled N, Ostrach B, Mendenhall E. Syndemics and the biosocial conception of health. The Lancet. 2017 ;389:941–50.

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