Déserts médicaux : avec la crise sanitaire, la Seine-Saint-Denis toujours plus délaissée

Les derniers chiffres de l’Union régionale des médecins libéraux montrent que les départs sont toujours plus importants que les arrivées dans le département. L’épidémie de Covid-19 n’a rien arrangé.

 Illustration. « La situation est catastrophique, commente Mireille Bonneau, gynécologue aux Pavillons-sous-Bois. Cent pour cent de la Seine-Saint-Denis est en désert médical. »
Illustration. « La situation est catastrophique, commente Mireille Bonneau, gynécologue aux Pavillons-sous-Bois. Cent pour cent de la Seine-Saint-Denis est en désert médical. » LP/Philippe Lavieille

    Pour les baby-boomers, l'heure de la retraite a sonné. Chaque mois apporte son lot de départs dans les cabinets des médecins libéraux de Seine-Saint-Denis. Selon les données collectées par l'Union régionale des médecins libéraux (URPS), entre novembre 2019 et novembre 2020, douze gynécologues (médicale et obstétrique), dix psychiatres et cinq ophtalmologistes ont quitté le département, pour ne citer que les spécialités les plus en tension.

    Mireille Bonneau, gynécologue aux Pavillons-sous-Bois, raconte par exemple que son cabinet qui comptait onze médecins et deux sages-femmes va bientôt passer à six professionnels. « La situation est catastrophique, commente celle qui est aussi membre du Syngof, le syndicat national des gynécologues obstétriciens de France. Cent pour cent de la Seine-Saint-Denis est en désert médical. »

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    La situation des généralistes n'est pas plus reluisante : au 31 décembre 2020, la Seine-Saint-Denis en comptait 865, soit 294 de moins qu'il y a dix ans. « En 2007, nous étions 42 généralistes à Noisy-le-Grand et Gournay. En 2021, nous sommes 27 », recense le docteur Dominique Souvestre, installé à Noisy-le-Grand et qui prendra sa retraite à la fin du mois de mars.

    L'idée lui trottait dans la tête depuis quelques années mais la crise sanitaire a accéléré sa décision. « Les patients m'inondaient de messages, de demandes de rendez-vous par mail, par SMS, par WhatsApp, c'était très lourd, explique-t-il. Début octobre, j'ai décidé d'arrêter. » Il raconte que c'est le jour où il a emmené le propriétaire de son local, malade du Covid, à l'hôpital qu'il a pris sa décision : « Ça a fait comme un petit déclic. »

    Une situation personnelle qui n'est pas isolée selon David Bresson, délégué aux actions territoriales de l'URPS : « On avait des médecins qui voulaient prendre leur retraite tranquillement, à mi-temps, en se disant Je ne vais pas laisser tomber mes patients, je n'ai pas de repreneur mais qui se disent qu'ils prennent trop de risques. La crise sanitaire précipite certains départs. »

    «Lorsqu'un médecin part, il se passe souvent plusieurs années avant que le patient ne se décide à chercher quelqu'un d'autre»

    Et trouver un remplaçant relève aujourd'hui du miracle. À Noisy-le-Grand, le docteur Souvestre n'a trouvé personne, malgré ses petites annonces. Dans son secteur, il sera le quatrième médecin à fermer son cabinet en quatre mois.

    « J'ai établi une liste de cinq confrères [NDLR : dont certains en Seine-et-Marne] que je donne à mes patients, avec un petit mot », détaille le médecin, bientôt 69 ans. Aux Pavillons-sous-Bois, la gynécologue Mireille Bonneau craint pour l'avenir du cabinet : « On a tous plus de 60 ans. On pense que le cabinet va fermer d'ici trois ans. On a cherché mais personne n'est intéressé pour une reprise. »

    Ces difficultés ont des conséquences sur la santé des patients. « On récupère parfois des pathologies à des stades qu'on ne voyait pas avant, assure le docteur Bonneau. Lorsqu'un médecin part, il se passe souvent plusieurs années avant que le patient ne se décide à chercher quelqu'un d'autre. Il y a une appréhension réelle et certaines vont laisser tomber. »

    Pour contrer cet effet, l'URPS mène une politique volontariste de soutien aux jeunes médecins. « On sait qu'il n'y a pas assez de médecins sortis des facs pour compenser mais, parmi ceux qui sortent, 10 % seulement s'installent, il en reste donc 90 %, calcule David Bresson. Il faut vraiment que le rythme d'installation se maintienne. Nous, on essaie de les convaincre qu'il y a des conditions très propices, qu'il y a des aides pour s'installer dans des locaux confortables et adaptés pour pas cher. On les aide à définir leurs besoins immobiliers, à chercher un financement auprès des agences régionales de santé et des régions. On les aide à trouver un architecte, à recruter leurs confrères… »

    En Seine-Saint-Denis en 2020, l'URPS a reçu 34 médecins dans le cadre de ses permanences mensuelles d'aide à l'installation. Entre 2018 et 2020, 17 projets de maisons médicales ont été accompagnés dans le département.

    Pantin, le 5 mars 2021. La maison médicale « Au fil de l'eau » a ouvert le 15 janvier dernier. Le docteur Ilhame Najem est à l'initiative de sa création LP/E.M.
    Pantin, le 5 mars 2021. La maison médicale « Au fil de l'eau » a ouvert le 15 janvier dernier. Le docteur Ilhame Najem est à l'initiative de sa création LP/E.M. LP/Philippe Lavieille

    Installé à Pantin depuis le début de l'année, le docteur Ilhame Najem remplit son agenda «assez facilement»

    Des locaux spacieux et lumineux, au cœur d'un quartier en cours de gentrification, à deux pas de Paris. Ouverte depuis le 15 janvier à Pantin, la Maison de santé « Au fil de l'eau » a de quoi faire rêver tous les jeunes praticiens désireux de s'installer en libéral. C'est sans doute pour ces raisons que l'URPS vante ce projet porté par deux jeunes médecins alors qu'ils étaient encore étudiants.

    « On a tout fait avec eux : le choix de l'architecte, le financement, le dossier administratif…, énumère David Bresson, délégué aux actions territoriales à l'URPS. Et aujourd'hui, ils viennent d'ouvrir dans des locaux flambant neufs. C'est l'exemple typique de ce qu'on voudrait reproduire. »

    Le docteur Ilhame Najem ne dit pas autre chose. « Le cadre de travail est génial, les locaux sont lumineux, s'enthousiasme la jeune femme. Pourtant ici, c'était une verrue, l'architecte a fait un travail de dingue. »

    La maison de santé, qui compte 270 m2, regroupe quatre généralistes, un psychiatre, un psychologue, deux orthophonistes, un cabinet d'infirmiers et un cabinet de sages-femmes. Le coût total du projet s'élève à 1,250 million d'euros.

    « Nous avons reçu 250 000 euros de l'agence régionale de santé, 200 000 euros de la Région et 29 000 euros de la mairie », se félicite la docteur. Le reste a été financé par de l'emprunt aux banques, facilité par les subventions précédemment citées.

    Ce projet a germé en 2018. « Je voulais travailler de façon coordonnée et pluriprofessionnelle et je voulais un projet qui ait du sens sur le territoire », justifie le docteur Najem. Les étudiants ont adapté leur projet à ce qui existait à Pantin, constatant par exemple qu'aucun psychiatre n'y était installé en libéral. Ils ont donc bâti leur projet autour de trois axes : la santé de la femme et de l'enfant, la santé mentale et les patients à haut risque cardiovasculaire.

    Pour l'instant, « l'agenda se remplit assez facilement, ajoute-t-elle. Comme j'ai remplacé une médecin qui est partie à la retraite, certains de ses patients m'ont suivi. Et puis nous utilisons beaucoup Doctolib. »