Un ciel bleu même à Los Angeles pour la première fois depuis des décennies, comme le note le site américain Grist… Et pourtant. Si le confinement a permis de réduire la pollution atmosphérique et provoqué une diminution des émissions de CO2, cela ne suffira pas à inverser la tendance au réchauffement de la planète. Et alors, diront certains, ce n’est pas la priorité ! Si, justement, et il y a aujourd’hui une véritable “occasion à saisir”, titrait The Economist le 21 mai. La crise du Covid-19 et la crise climatique “ne font pas que se ressembler. Elles interagissent”, explique l’hebdomadaire britannique.

Comment faire redémarrer l’économie, quasiment à l’arrêt depuis plus de deux mois ? C’est ce qui mobilise tous les gouvernements aujourd’hui. Partout dans le monde, alors que le déconfinement des populations s’organise progressivement, les États s’apprêtent à consacrer des milliards à des plans de relance. Avec les mêmes recettes qu’avant ? On veut croire que non. La pandémie a bouleversé nos modes de vie, montré les limites d’une mondialisation sauvage et l’importance des politiques publiques face à l’urgence sanitaire. Dans le “monde d’après”, aura-t-on la même volonté d’intervention face à l’urgence climatique ?
C’est le débat que nous vous proposons cette semaine dans le dossier de couverture.

Va-t-on vers une économie résolument plus verte ? “Certains espèrent que cette crise va nous permettre de nous réinventer et que le retour de l’action de l’État pendant la pandémie est de bon augure”, écrit le journaliste britannique Fred Pearce dans le webzine Yale Environment, en ouverture de notre dossier.

Mais peut-on lutter à la fois contre le Covid-19 et contre le réchauffement climatique ? Dans une tribune publiée dans le Financial Times, un économiste américain ne cache pas son scepticisme : “Une énergie chère et une croissance en berne sont incompatibles avec la relance de l’emploi après la pandémie.” 

Pourtant, comme le relève le Guardian, “ces projets qui réduisent les émissions de gaz à effet de serre tout en stimulant la croissance économique offrent à l’État un meilleur retour sur investissement, à court et à long terme, que les plans de relance conventionnels”. Le quotidien se fait l’écho d’une étude cosignée notamment par le Prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz et par Nicholas Stern, spécialiste de l’économie des changements climatiques.

Le déclic aura-t-il lieu ?

Avant cette crise sans précédent, nous avons consacré plusieurs couvertures au réchauffement climatique et aux protestations des jeunes notamment (Greta Thunberg et d’autres) contre l’inaction des gouvernements, qui, disaient-ils, leur volaient leur avenir. La pandémie, si elle a encore obscurci leur horizon, comme nous le soulignions en une la semaine dernière, pourrait en revanche provoquer un déclic, une prise de conscience, comme l’appelle de ses vœux The Economist. C’est ce lien entre les deux grandes urgences planétaires qui nous a intéressés pour construire ce dossier. Ainsi, la déforestation, qui contribue au réchauffement de la planète, favorise l’émergence de maladies infectieuses. Lutter contre la déforestation, c’est aussi éviter la propagation des épidémies. Ces deux mois auront au moins montré que, face à une crise mondiale, avancer en ordre dispersé et sans concertation ne fait qu’aggraver les choses. “Le Covid-19 va nous enseigner les vertus de l’entraide et inciter la classe politique à la prudence face aux risques – elle sera plus disposée à prendre en compte les avertissements des spécialistes et moins encline à imaginer que le pire pourrait ne jamais se produire”, dit encore Fred Pearce dans Yale Environment.

Plus radical, George Monbiot, célèbre militant écologiste et éditorialiste au Guardian, appelle, lui, à conditionner les aides aux entreprises prévues par les différents plans de relance au respect des normes environnementales. “C’est la deuxième fois de notre histoire que nous avons l’occasion d’agir différemment. Et c’est sans doute notre dernière chance. En 2008, cela avait abouti à un énorme gâchis. Des sommes considérables d’argent public avaient été dépensées pour faire repartir un système économique qui avait pourtant montré ses limites, et l’on avait veillé à ce que les richesses restent entre les mains des grandes fortunes. Aujourd’hui, de nombreux gouvernements sont apparemment prêts à répéter cette grave erreur.”

Avant même la présentation par Ursula von der Leyen du plan de relève de l’économie européenne, le 27 mai (ces pages étaient déjà parties à l’imprimerie), des voix s’étaient élevées pour exiger une véritable ambition environnementale. On verra dans les prochaines semaines, avec la multiplication des détails des plans de relance économique, si elles ont été entendues.