Les enfants à vélo en voie de conquérir la ville

De tout jeunes cyclistes apparaissent sur les pistes cyclables. C’est que, le vélo, une fois acquis les principes de sécurité, offre une sacrée liberté. Des “vélo-écoles” et même un livre, “Mission vélo”, encouragent la pratique. Et permettent d’apprendre à circuler seul ou en famille, sans jamais stresser.

Par Julia Vergely

Publié le 19 août 2020 à 14h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 00h17

On n’avait jamais vu autant d’enfants circuler à vélo dans les rues de Paris, du moins dans celles parées de jolies pistes cyclables protégées. Rue de Rivoli, symbole de ce changement de paradigme que l’on doit à la crise sanitaire, il est désormais fréquent de croiser de petits attelages hésitants mais sereins, roulant gaiement à l’abri de la circulation. En y prêtant attention, on peut aussi rencontrer de plus en plus de vélos cargos, transportant un enfant, voire deux ou trois (mais c’est plus rare). À la ville comme à la campagne, la peur du danger – principalement la voiture – a longtemps freiné la velléité des parents à laisser leurs enfants rouler à vélo. Il semblerait qu’aujourd’hui la bicyclette soit redevenue partout un loisir et, surtout, un moyen de transport en famille.

« Je fais du vélo dans Paris depuis toujours, ou presque, parce que, quand j’étais petite, mes parents ne voulaient pas que j’en fasse », raconte Lucie Vallon, autrice de Mission Vélo (2018), un livre destiné aux enfants et publié aux éditions Rue de l’Échiquier. « Les choses ont changé, d’abord parce que les aménagements ces dernières années sont considérables et ensuite parce qu’on a à faire avec une génération de parents eux-mêmes cyclistes. Les livres jeunesse abordent peu le vélo, si ce n’est sous l’angle du danger. J’ai voulu en faire un pour donner envies aux plus jeunes de faire du vélo, qu’ils aient confiance, et pour que les parents soient rassurés. » On y trouve de multiples infos, les bases de la sécurité, du code de la route et du savoir rouler.

Au même titre qu’un enfant doit sortir de l’école primaire en sachant nager, il devrait désormais savoir circuler à vélo. Ici à Nantes, en 2017.

Au même titre qu’un enfant doit sortir de l’école primaire en sachant nager, il devrait désormais savoir circuler à vélo. Ici à Nantes, en 2017. Jérémie Lusseau / Hans Lucas

Parce qu’il ne suffit pas de maîtriser son équilibre et ses mouvements à bicyclette pour pouvoir se lancer sans trembler sur les pistes et les routes. Chez les enfants, comme chez les adultes, il faut savoir anticiper les déplacements des voitures, des autres cyclistes et des piétons, signaler correctement ses changements de trajectoires, s’insérer sans danger dans la circulation. L’AICV, association parisienne d’animation, insertion et culture vélo, organise des stages d’une semaine (95 euros) pour que les enfants soient parés pour rouler. « Les parents souhaitent toujours que les enfants apprennent le plus vite possible, mais cela prend un peu de temps, explique Joël Sick, animateur vélo. Il faut des petites sessions, d’abord dans un environnement sans voiture ni piéton, et avec une légère pente, et ensuite on peut se lancer sur les voies protégées. La rue de Rivoli est désormais idéale pour perfectionner toutes les bases : s’arrêter aux feux rouges, redémarrer, faire attention aux piétons, etc. »

Apprentissage obligatoire

Et de rappeler qu’apprendre le vélo avec une personne extérieure à la famille permet bien souvent de réduire les tensions et des conflits. Il existe tout un réseau de vélo-école en France, la FUB (Fédération française des usagers de la bicyclette) en recense cent quarante sur tout le territoire et milite pour un développement de l’apprentissage du vélo. « On attend toujours les décrets d’application, mais la loi d’orientation des mobilités votée en décembre 2019 instaure un apprentissage obligatoire du savoir rouler pour les élèves de CM2 », rappelle Priscilla Janot, vice-présidente de la FUB. Car au même titre qu’un enfant doit sortir de l’école primaire en sachant nager, il devrait désormais savoir circuler à vélo.

“Il y a dans le vélo un aspect incontestable de liberté, d’autonomie et de bien-être.”

Mais quand on demande à Priscilla Janot – qui ne se déplace avec ses trois enfants de 3, 6 et 9 ans qu’à vélo dans sa ville de Saint-Brieuc – ce qui prime pour que les enfants deviennent des petits cyclistes, sa réponse est claire et nette : « des infrastructures ! Une ville cyclable est une ville où les enfants peuvent se déplacer seuls à vélo, sans appréhension du danger, dans des voies aménagées pour, pas de simples bandes cyclables qui ne sont pas protégées du trafic. » Même discours pour l’association de cyclistes et militants Paris en selle, dont le président, Jean-Sébastien Catier, évoque volontier le modèle néerlandais. « Les Pays-Bas ont développé les pistes cyclables dites AAA, pour “all ages and abilities”, tout âge et capacité. Ce sont des pistes qui peuvent être empruntées par tout le monde. Est-ce que je vais pouvoir faire du vélo avec mon fils ou ma fille de 7 ans ? Est-ce que je vais pouvoir y envoyer mon ado de 14 ans seul sans me faire un sang d’encre ? Est-ce que ma mère ou ma grand-mère, à 70 ans, avec un vélo électrique va elle aussi se sentir en sécurité sur cette infrastructure-là ? La piste cyclable qui permet de répondre affirmativement à ces questions remplit son rôle de permettre des déplacements à vélo. » Voilà pourquoi, selon lui, il faut aménager le mieux possible les espaces pour que tout le monde puisse rouler sereinement.

Lutter contre la sédentarité

Évidemment, la FUB rappelle les consignes de sécurité à respecter pour ne pas mettre en danger les enfants : le port du casque est obligatoire pour les moins de 12 ans, fortement recommandé ensuite, les gilets jaunes ou bandes réfléchissantes permettent aux enfants d’être visibles, un vélo en bon état est essentiel. « Quand on est deux parents, on peut ouvrir et fermer le convoi à vélo. Quand on est tout seul, le mieux est plutôt d’avoir l’enfant devant soi parce qu’on peut le voir et lui crier facilement de s’arrêter, de se déplacer, de se décaler, de lui donner des instructions en fonction de l’environnement qu’on perçoit nous », ajoute Jean-Sébastien Catier. Les abords des écoles sont des secteurs qui restent également à réaménager dans beaucoup de villes pour que l’accès à vélo y soient encouragé. « On constate un modèle de “drive” spécifique à la France près des écoles : les voitures stationnement sur le trottoir, cela crée des angles morts dangereux pour les enfants comme pour les parents. Sécuriser les abords des écoles permet de favoriser le développement de pédibus ou de vélobus, des petits convois d’enfants qui sont en plus grand nombre donc plus visibles et moins en danger. On peut ainsi lutter contre la sédentarité des enfants », explique Priscilla Janot.

Pour Lucie Vallon, autrice de Mission Vélo, « Il y a dans le vélo un aspect incontestable de liberté, d’autonomie et de bien-être. »

Pour Lucie Vallon, autrice de Mission Vélo, « Il y a dans le vélo un aspect incontestable de liberté, d’autonomie et de bien-être. » Alban PERNET/REA


Ce genre de pratiques se développe de plus en plus, à la campagne comme en ville, et les mairies ont tout intérêt à faire circuler les enfants à vélo pour des petits trajets maison-école ou maison-activité extrascolaire. On a là une formidable façon de leur faire se réapproprier la ville, comme le rappelle Lucie Vallon : « Il y a dans le vélo un aspect incontestable de liberté, d’autonomie et de bien-être. Les enfants échappent ainsi aux contraintes, aux horaires de bus, aux embouteillages. Être cyclistes leur permet de connaître leur ville et non pas simplement leur quartier. Parce qu’à vélo on va plus loin, on se déplace plus volontiers, c’est agréable et on peut s’arrêter pour regarder un monument, un immeuble, tout ce qu’on voit pas en métro ou en bus. Mettre les enfants à vélo, c’est leur donner la dimension d’une ville plus humaine et collective. » Sans oublier l’aspect écologique indéniable. « Quand on explique aux enfants qu’un vélo n’utilise aucune énergie à part celle qu’ils sont capables de produire, ils sont fascinés ! » Pour se lancer à vélo avec des enfants, il faut donc un brin de courage, une dose de patience, une grande portion de volonté politique, quelques impératifs de sécurité et un peu d’élan.

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