Amazon pourra-il bientôt vendre des médicaments en France ?

Un projet de loi, présenté ce mercredi en conseil des ministres, assouplit les conditions de vente en ligne. Les pharmaciens redoutent que les géants du commerce électronique ou les distributeurs s’engouffrent dans la brèche.

 Les professionnels craignent que le projet de loi «Asap» ouvre la voie à l’ubérisation de la pharmacie.
Les professionnels craignent que le projet de loi «Asap» ouvre la voie à l’ubérisation de la pharmacie. PHOTOPQR/Le Télégramme/Claude Prigent

    Concocté en toute discrétion, le texte présenté en conseil des ministres ce mercredi provoque la colère des pharmaciens. Porté par Olivier Dussopt, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Action et des comptes publics, Gérald Darmanin, ce projet de loi nommé « Asap » (pour Accélération simplification de l'action publique), assouplit, dans son article 34, les conditions d'ouverture des plates-formes de vente en ligne de médicaments sans ordonnances, autorisée depuis 2012.

    « On marche sur la tête, s'insurge Gilles Bonnefond, président de l'Union de syndicats de pharmaciens d'officine, l'USPO. On vient de remettre derrière le comptoir les Doliprane et autres ibuprofène pour en réduire la consommation, et là on va favoriser leur vente en ligne ! De plus, alors que le ministère de la Santé nous confie de plus en plus de tâches, le texte vise à réduire le nombre légal de pharmaciens adjoints par officine. »

    «Marchandisation du médicament»

    Selon les professionnels, le texte fait sauter plusieurs garde-fous. Parmi eux : la possibilité pour les pharmaciens que les médicaments vendus en ligne ne soient plus forcément stockés dans l'officine mais sur un site distant. « Avec ce texte, on ouvre la voie à l'ubérisation de la pharmacie, poursuit Gilles Bonnefond. Demain, si Amazon veut s'associer à un ou plusieurs pharmaciens diplômés, il pourra le faire et se lancer dans la vente en ligne de médicaments. On passe au stade de la marchandisation du médicament contre laquelle nous nous sommes toujours battus. »

    Un dossier qui arrive moins d'u an après un avis de l'Autorité de la concurrence qui plaidait pour la vente de médicaments en grandes surfaces. Et après qu' Amazon s'est lancé dans la vente de médicaments aux Etats-Unis avec sa nouvelle marque Amazon Pharmacy.

    Dès qu'il a appris l'existence de cet article, Gilles Bonnefond a aussitôt adressé aux 25 000 pharmaciens de France un questionnaire. Trois jours plus tard, il avait déjà 4 200 réponses allant toutes dans le même sens : « Plus de 90 % sont hostiles à l'ouverture de plates-formes détachées des officines, et 97 % se disent prêts, s'il le faut, à se battre. Comme en 2014, quand Emmanuel Macron, alors ministre de l'Économie a voulu casser le monopole des pharmacies ». Cette année-là, l'ensemble de la profession avait fermé boutique durant une journée et obtenu le retrait du texte le soir même…

    Le ministère défend un assouplissement «nécessaire»

    Même la présidente du Conseil national de l'ordre des pharmaciens est furieuse. Et l'a écrit dans une lettre adressée à la ministre de la Santé, Agnès Buzyn et au Premier ministre, Édouard Philippe. « Ce n'est pas le principe de la vente en ligne qui pose problème, ce qui se fait aujourd'hui nous va bien. Mais ce texte de simplification ne simplifie rien du tout », s'agace Carine Wolf-Thal, qui dénonce au passage une absence totale de concertation. « Il n'apporte aucune garantie de sécurité, par exemple sur l'usage des données personnelles. Et le pharmacien travaillant dans une plateforme de vente en ligne? On ne sait pas s'il devra toujours être rattaché à une officine physique, en dur. Nous sommes très inquiets. J'ai demandé le retrait du texte », conclut la présidente de l'Ordre.

    Du côté du ministère de la Santé, on indique que cet assouplissement de la réglementation de la vente sur Internet « est une condition nécessaire au développement de la vente en ligne, notamment dans les zones urbaines où le foncier est plus rare et cher ». Et pour tenter d'éteindre la polémique, l'entourage d'Agnès Buzyn précise que la plateforme « sera rattachée à la licence d'une officine et placée sous le contrôle du pharmacien ».