La malheur est dans le pré

La 57ème édition du Salon de l'agriculture à Paris ©AFP - Bertrand GUAY
La 57ème édition du Salon de l'agriculture à Paris ©AFP - Bertrand GUAY
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L’avenir des agriculteurs et des agricultrices passera-t-il par les écrans ? La médiation des films et émissions devenus les porte-voix des difficultés paysannes est caractéristique d’une époque qui a tendance à « désinvisibiliser » plutôt que voir.

À la fois ambassadeurs et interfaces, le cinéma et la télévision sont devenus les porte voix du monde agricole. 

C’est à Karine Lemarchand, la présentatrice de l’émission de télé-réalité "L’amour est dans le pré", qu’a été confié le lancement hier du grand débat national sur l’agriculture. Et c’est le réalisateur du film Au nom de la terre, Edouard Bergeon qui a pu interpeller le président Emmanuel Macron au Salon de l’agriculture pour que l’association Solidarité Paysans soit reconnue d’utilité publique.  Ce qui lui permet, entre autres, de recevoir des dons et des legs.

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Ma théorie, c’est que cette médiation par les écrans est caractéristique d’une époque qui a tendance à "désinvisibiliser" plutôt que voir.

Le film de détresse agricole, nouveau genre ?

Les films qui se font l’écho des difficultés paysannes se multiplient, il suffit d’entrouvrir l’œil pour le remarquer. Premier signal : le succès en 2017 de Petit Paysan d’Hubert Charuel, lui-même fils d’exploitant agricole. Le film remporte deux César, et déclenche un début de prise de conscience. Deux ans plus tard, avec ses deux millions d’entrées "surprise" et ses trois nominations aux César, Au nom de la terre devient à la fois un emblème des souffrances et des désillusions du monde agricole, mais aussi une plateforme de débat.  

Depuis, Guillaume Canet, qui incarne dans le film le père du réalisateur, un agriculteur poussé au suicide, continue d’alerter sur la situation du monde agricole, à travers une série de rencontres réalisées pour le média en ligne BRUT, dont certains épisodes dépassent les 1 voir 2 millions de vues. 

Au cinéma, ce type de récits ouvre quasiment la voie à un genre le "film de détresse agricole". Depuis "Au nom de la terre" sont sortis Les Vétos, comédie dramatique de Julie Manoukian, "Revenir" de Jessica Palud qui plonge dans les non-dits et les secrets d’une ferme isolée, et ce mercredi ce sera le documentaire de "Cyrille, agriculteur, 30 ans, 20 vaches, du lait, du beurre, des dettes"

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Désinvisibiliser plutôt que voir 

Le film de Rodolphe Marconi raconte lui aussi l’étranglement progressif d’un jeune agriculteur, pris dans la spirale de l’endettement pour entrer dans les normes de rendement.  Mais le documentaire emprunte une trajectoire quasi opposée de celle d’Au nom de la terre. Sans le détour de l’incarnation fictionnelle et de la transposition, il tente de rendre non seulement visible mais tangible cette crise identifiée qui perdure dans le silence.  "On voit régulièrement à la télévision ou dans les journaux que les agriculteurs laitiers vont mal, qu’ils sont les premiers concernés par le suicide. On le voit, on le sait et puis c’est comme ça... Ça ne nous empêche pas de dormir. Seulement voilà : le jour où j’ai rencontré Cyrille, j’ai eu du mal à m’en remettre " explique Rodolphe Marconi dans la note d'intention du film. Pourtant les données sont connues : un agriculteur se suicide tous les 2 jours, voire tous les jours, et les prix pratiqués par les principaux réseaux de diffusion sont iniques et intenables.

Tout se passe comme si l’interface des films, des documentaires, des émissions, des séries en ligne était le seul moyen de faire apparaître cette réalité. La déréalisation générale ne peut prendre en compte un élément que s'il passe par la médiation des écrans. Quand on parle de "désinvisibilisation", il faudrait se demander ce qui ne nous permet plus de voir. 

par Mathilde Serrell

Les Bonnes choses
28 min

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