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« Monsieur le Président, cet oubli de l’art et de la culture, réparez-le ! », une tribune publiée dans Le Monde 

« Monsieur le Président, cet oubli de l’art et de la culture, réparez-le ! », une tribune publiée dans Le Monde  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Tribune publiée dans Le Monde le 30 avril 2020 . Liste des signataires en fin d'article


TRIBUNE
Collectif

Un collectif de nombreuses personnalités du monde de la culture, dont Jeanne Balibar, Catherine Deneuve, Jean Dujardin et Omar Sy, demande, dans une tribune au « Monde », une prolongation des droits des intermittents du spectacle d’une année au-delà des mois où toute activité aura été impossible.

 

Tribune. Monsieur le Président de la République, lors de sa conférence de presse du 19 avril, le premier ministre [Edouard Philippe], énumérant tous les secteurs d’activité, a oublié le secteur culturel. Combien de personnes vivant en France a-t-il oubliées avec nous ?

 

 

Le secteur fait vivre 1,3 million de personnes. Il aide à tenir ceux qui sont en troisième ligne et qui regardent les œuvres de tous styles et tous genres que nous avons fabriquées, accrochées, enregistrées, celles aussi que nous mettons en ligne, même confinés, grâce aux savoir-faire que nous avons acquis. Nous espérons aussi qu’elles aident parfois à se délasser, à prendre un peu de bon temps à ceux qui sont en première et en deuxième ligne lorsqu’ils en ont le loisir.

 

 

Depuis six semaines, le ministre de la culture [Franck Riester] ne dit strictement rien. Des « je ne sais pas » à la pelle, quelques mots sur les théâtres privés, semble-t-il, de vagues encouragements, peut-être, aux assureurs à assurer contre les risques du Covid-19… Une formule, « mettre l’art et la culture au cœur de la société » : on pourrait faire plus précis pour répondre à la situation actuelle.

En attendant le retour d’une activité normale

Résultat, nous vivons dans les supputations : comment feront les intermittents pour pouvoir continuer à acheter à manger après la prolongation de trois mois qui a été décidée ? Comment feront les auteurs, qui ne bénéficient même pas de ce système ? Comment feront toutes celles et tous ceux que vous oubliez avec nous et dont l’emploi est, comme le nôtre, discontinu, travailleurs engagés en extra dans la restauration, l’hôtellerie, le nettoyage, le commerce, tous les secteurs d’activité qui se déploient autour des événements culturels ?

 

Personne ne sait quand les théâtres, les salles de concert, les grands musées, les cinémas rouvriront (janvier 2021 ?), ni quand les tournages ou les répétitions reprendront (juillet ? octobre ? décembre ?). Et si un retour complet à la normale ne se faisait qu’à l’automne 2021 ? Mais les emplois concernés ne peuvent pas se permettre ces devinettes.

 

 

Exigez donc du ministère de la culture qu’il parte de la date la plus catastrophique et mette en place un système de sauvetage qui prévoie d’aller jusqu’à cette date, et dont les gens et les structures se retireraient à mesure qu’ils pourraient reprendre leur activité. Exigez du ministère de la culture qu’il en expose, dans les plus brefs délais, le plan précis au secteur culturel, à tous les métiers qui en dépendent et à la nation dont nous faisons vivre la culture.

Le ministère de la culture doit recenser auprès de chaque structure publique ou privée, grande ou petite, les sommes dont elle a besoin pour survivre jusqu’à ce qu’elle puisse reprendre une activité normale.

Mesures d’urgence

Le ministère de la culture doit obtenir du ministère du travail de prolonger les droits des intermittents d’une année au-delà des mois où toute activité aura été impossible, comme le demandent les pétitions des collectifs Année noire et Culture en danger. Le ministère du travail doit prendre des mesures d’urgence pour tous les travailleurs en contrat court qui ne se verront proposer aucun des emplois que nos secteurs d’activité génèrent en temps normal, afin de maintenir leurs droits d’indemnisation et leurs moyens d’existence.

 

Si vous ne le faites pas, la reprise économique se fera sur le dos de tous ceux qui, comme nous et avec nous, sont dans la discontinuité de l’emploi, et qui basculeront chaque semaine plus nombreux vers le RSA [revenu de solidarité active], aux portes d’institutions et d’entreprises fermées ou amputées.

 

 

Alors, tandis que les files d’attente pour l’aide alimentaire s’allongeront inexorablement, la culture en France sera non pas au cœur, mais à terre et pour longtemps.

 

Monsieur le président de la République, cet oubli de millions de gens, et des ressources, humaines, intellectuelles, rêveuses, qui portent et qu’apportent l’art, l’imaginaire, la représentation sensible des expériences de tous, y compris des coups du sort, de la maladie et de la mort, mais aussi des formes de vie qui réparent et qui inventent, cet oubli, nous attendons que vous demandiez à votre premier ministre et à vos ministres de le réparer. Nous vous demandons de mesurer la responsabilité qui est ici la vôtre.

 

Lionel Abelanski, comédien ; Mouloud Achour, fondateur de Clique TV ; Jeanne Added, chanteuse ; Isabelle Adjani, 

comédienne ; Marie Alvarez, comédienne ; Anne Alvaro, 

actrice ; Mathieu Amalric, comédien et cinéaste ; Carima Amarouche, chanteuse ; Cédric Anger, cinéaste ; Fanny Ardant, comédienne et cinéaste ; Swann Arlaud, acteur ; Ariane Ascaride, comédienne ; Olivier Assayas, cinéaste ; 

ATOEM, groupe de musique ; Jacques Audiard, cinéaste Sophie Audier, scripte/cinéaste ; Toufik Ayadi, producteur ; Lisa Azuelos, cinéaste ; Jeanne Balibar, comédienne ; Laurent Bardainne, musicien ; Christophe Barral, producteur ; Maurice Barthélemy, cinéaste et metteur en scène ; Nathalie Baye, comédienne ; Gaëlle Bayssière, productrice ; Emmanuelle Béart, comédienne ; Ramzy Bedia, comédien ; Bérénice Bejo,   comédienne ; Leïla Bekhti, comédienne ; Jérôme Bel,  chorégraphe ; Lucas Belvaux, cinéaste ; Fabrice Benoit, éditeur de musique ; Saïd Bensaid, producteur ; Houda Benyamina,  cinéaste ; Emmanuelle Bercot, cinéaste ; Marc Berdugo,  producteur ; Sylvia Bergé, comédienne ; Priscilla Bertin,  productrice ; Dominique Besnehard, producteur et acteur ; Julie Bertuccelli, cinéaste ; Luc Besson, producteur ;   Juliette Binoche,  comédienne ; Benjamin Biolay, comédien et chanteur ;   Olivia Bonamy, comédienne ; Bertrand Bonello,  cinéaste ;   Damien Bonnard, comédien ; Lucie Borleteau,  cinéaste ; Nicolas Bouchaud, comédien ; Elodie Bouchez,  comédienne ; Antoinette Boulat, directrice de casting ; Louise Bourgoin, comédienne ;   Frédéric Boyer, écrivain, éditeur ;  Guillaume Brac, cinéaste et producteur ; Stéphane Braunschweig,   metteur en scène, directeur du théâtre national de l’Odéon ; Patrick Bruel, chanteur et comédien ; Valeria Bruni Tedeschi, actrice et cinéaste ; Fanny Burdino, scénariste ; Claire Burger, cinéaste ; Rodolphe Burger, musicien ; Dominique Cabrera, cinéaste ; Olivier Cadiot,  écrivain ; Robin Campillo,  cinéaste ; Guillaume Canet, cinéaste et comédien ; Laurent Cantet, cinéaste ; Jonathan Capdevielle,   metteur en scène, marionnettiste ; Jauris Casanova, c omédien ; Pascal Caucheteux,   producteur ; François Chaignaud,  danseur et chorégraphe ; Lolita Chammah, actrice ; Caroline Champetier, directrice de la photographie ; Chapelier Fou,  musicien ;  Anne Charrier,  comédienne ; Gaëtan Chataignier,   réalisateur musique ; Frédéric Chaudier, cinéaste ; Judith Chemla, comédienne ; Nathalie Chéron, directrice de casting ;   Malik Chibane, cinéaste ; Samuel Churin,  comédien ;   François Civil, comédien ; François Cluzet,  acteur ;   Romain Cogitore,  cinéaste ; Michael Cohen, comédien et cinéaste ;   Etienne Comar, cinéaste et producteur ; Loïc Corbery,  comédien ;   Catherine Corsini,  cinéaste ; Marion Cotillard,  comédienne ;   Marie Darrieussecq,  auteure ; Gilles David,  comédien ; Philippe Decouflé,  chorégraphe ;  Bertrand Delaire, auteur ; Vincent Delerm,  chanteur ; Anaïs Demoustier,  comédienne ; Stéphane Demoustier, cinéaste et producteur ;   Catherine Deneuve,  comédienne ; Dante Desarthe, cinéaste ;   Jocelyne Desverchère,  actrice; Emmanuelle Devos,  comédienne ;  Adeline D’Hermy,  comédienne ; Mila Dietrich,  musicienne et DJ ; Marcial Di Fonzo Bo, comédien et metteur en scène ; Alice Diop, cinéaste ; Mati Diop, cinéaste ; Audrey Diwan, cinéaste et réalisatrice ;   Djedjotronic, musicien et DJ ; Don Turi, musicien et DJ ; Valérie Donzelli, comédienne et cinéaste ; Irène Drésel, musicienne  ; Valérie Dréville, actrice ;   Arthur Dreyfus, écrivain; Léa Drucker, comédienne ; Julia Ducournau, cinéaste ; Jean Dujardin, comédien ; Emmanuelle Duplay, chef décoratrice ;   Virginie Efira, comédienne ; François Farellacci, cinéaste ; Nadia Fares, actrice ; Philippe Faucon,  cinéaste ;   Sandra Faure,  comédienne ; François Favrat, cinéaste et comédien ; Marie-Sophie Ferdane, actrice ; Pascale Ferran,  cinéaste ; Laurence Ferreira Barbosa, cinéaste ; Elodie Filleul,  manageuse d’artistes ;   Sophie Fillières, cinéaste ; Emmanuel Finkiel, cinéaste ; Marina Foïs, comédienne ; Camille Fontaine,  scénariste/cinéaste ; Lionel Fortune, musicien et DJ ; Zaza Fournier, auteure-compositrice-interprète ; Alain Gac, directeur du label Cinq7 ; Nicole Garcia,  comédienne et cinéaste ; Diana Gaye, cinéaste ; Hugo Gélin,   cinéaste, scénariste et producteur ;   Yves-Noël Genod, metteur en scène ; Eric 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Lencquesaing,   cinéaste et comédien ;   Alain Lenglet, comédien ; Pierre Léon,   cinéaste ; Serge Le Péron, cinéaste ; Maud Le Pladec, danseuse et chorégraphe ;   Xavier Le Roy, chorégraphe ; David Lescot, auteur et metteur en scène ; Nathalie Levy-Lang,    comédienne et scénariste ; Katia Lewkowicz, comédienne et cinéaste ; Henri Liebman, cinéaste et comédien ; Sébastien Lifshitz,  cinéaste ; Florence Loiret-Caille, comédienne ; Germain Louvet, danseur ; Clara Luciani,   chanteuse ; Marie-Ange Luciani, productrice ; Noémie Lvosky,   comédienne et cinéaste ;   Benoît Magimel, acteur ;  Maïwenn,   comédienne et cinéaste ;   Alexis Manenti, comédien ; Mansfield. TYA, groupe de musique ;   Vincent Maraval, producteur ; Mounir Margoum,  comédien ; Pio Marmaï, comédien ; Pierre-François Martin-Laval, comédien et cinéaste ; Olivier Mauvezin, ingénieur du son ; Corinne Masiero,  comédienne ; Chiara Mastroïanni,   comédienne ; Claire Mathon,   directrice de la photographie ;   Olivier Mauvezin, ingénieur du son ; Patricia Mazuy,  cinéaste ; Antoine-Basile Mercier, ingénieur du son ;    Mesparrow, chanteuse ; Radu Mihaileanu,  cinéaste ;   Patrick Mille, comédien ; Pierre Milon, directeur de la photographie ;   Dominik Moll, cinéaste ; Mathilde Monnier,  chorégraphe ;  Virginie Monteil, costumière ; Victorien Morlet,  musicien ; Valérie Müller Preljocaj, réalisatrice ; Yael Naim,  chanteuse ; Naive New Beaters, groupe de musique ;   Géraldine Nakache,  comédienne ;   Arthur Nauzyciel, acteur, metteur en scène et directeur du Théâtre national de Bretagne ; Thierry Niang,  chorégraphe ; Pierre Niney, comédien ; Ferdinand Niquet-Rioux, comédien et cinéaste ; Judith Nora, productrice ; Stanislas Nordey, comédien et metteur en scène ; NTO, musicien ; Bruno Nuytten,  cinéaste ; Géraldine Pailhas, comédienne ; Isabelle Pannetier,  costumière ; Panteros666, musicien et DJ ; Manu Payet,  comédien et humoriste ; Antonin Peretjatko,  cinéaste ;   Elisabeth Perez, comédienne et productrice ; Léonie Pernet,   chanteuse ;   Vladimir Perrin, comédien ; Raphaël Personnaz,   acteur ; Louis-Julien Petit, cinéaste ; Nicolas Philibert, cinéaste ;   Eddy Pierres, coprésident de la fédération De concert ! ; Bruno Podalydès, cinéaste ; Denis Podalydès,   comédien ; Laurette Polmanss, scénariste ; Joël Pommerat,   metteur en scène ;   Popof, musicien et DJ ; Julien Poupard,  directeur de la photographie; Angelin Preljocaj,  chorégraphe ; Eddy de Pretto, chanteur ; Jérôme Prieur, écrivain et cinéaste ; Oxmo Puccino, rappeur ; Olivier Py, metteur en scène, directeur du Festival d’Avignon ; Katell Quillévéré, cinéaste; Tahar Rahim,  comédien ; Antoine Raimbault, cinéaste ; Pascal Rambert,   metteur en scène ; Arnaud Rebotini, musicien ; Nathalie Richard,  actrice ; Stéphane Rideau, acteur ; Marc-Antoine Robert,   producteur ; Karole Rocher, comédienne ; Charles Roger,  comédien ; Damien Rondeau, chef décorateur ; Axelle Ropert,  cinéaste ; Brigitte Roüan, comédienne et cinéaste ;   Christian Rouand, cinéaste ; Jean-Paul Rouve,  comédien ;   Nicolas Saada,   cinéaste ; Marlène Saldana,  comédienne et chorégraphe ; Pierre Salvadori, cinéaste ; Maïa Sandoz, metteure en scène ; Marjane Satrapi, cinéaste et auteure ; Aloïse Sauvage, chanteuse, comédienne ; Denis Seiglan, chef-décorateur ; Hugo Selignac,  producteur ; Claire Sermonne,   comédienne ; Léa Seydoux,   comédienne ; Mathieu Sibony,  superviseur musical ; Julie Sicard, comédienne ; Julien Sicart,  ingénieur du son ; Morgan Simon, cinéaste ; Jean-François Sivadier, metteur en scène ;   Patrick Sobelman,   producteur ; Omar Sy, comédien ;    Tarek X, musicien et DJ ; Christopher Thompson, cinéaste et comédien ; Danièle Thompson, scénariste et cinéaste ; Eric Tolédano, cinéaste ; Mélita Toscan du Plantier, productrice ; Aïda Touhiri, journaliste et productrice ; Justine Triet, comédienne et cinéaste ; Diego Urgoiti, directeur de production ; Dominique Valadié,    actrice ; Calypso Valois, comédienne ; Véronique Vella, comédienne ;Jean-Luc Verna, plasticien ; Aurélien Vernhes-Lermusiaux, cinéaste ; Marion Vernoux, cinéaste et scénariste ; Florence Viala, comédienne ; Marie Vialle,  actrice ; Tatiana Vialle, metteuse en scène ; Karin Viard,  comédienne ; Cléa Vincent, chanteuse ; Alice Winocour,  cinéaste ;  Les Vulves assassines, groupe de musique ; Rebeka Warrior, chanteuse et DJ ; Wart Music, agence d’artistes ; Jacques Weber, comédien ; Jonathan Zaccaï, acteur ; Coralie Zahonero,  comédienne ; Rebecca Zlotowski, cinéaste ; Djebril Zonga,  comédien.

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Julie Dupuy's curator insight, January 15, 2015 9:31 AM

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Seules en scène, cinq comédiennes pour dire les violences faites aux femmes

Seules en scène, cinq comédiennes pour dire les violences faites aux femmes | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Sandrine Blanchard et Joëlle Gayot dans Le Monde -

27 mars 2024

 

Andréa Bescond, Ludivine Sagnier, Marianne Basler, Elodie Navarre et Eleonora Galasso portent, face au public, une parole longtemps tue.



Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/03/27/seules-en-scene-cinq-comediennes-pour-dire-les-violences-faites-aux-femmes_6224501_3246.html

 

 

Elles s’appellent Andréa Bescond, Ludivine Sagnier, Marianne Basler, Elodie Navarre, Eleonora Galasso. Ces cinq comédiennes ont pour point commun de raconter les violences faites aux femmes et d’être seules en scène pour porter cette parole longtemps tue. Agressions sexuelles, violences conjugales, pédocriminalité, avortement clandestin : qu’il s’agisse de récits personnels ou d’adaptation de livres, ces monologues cathartiques émeuvent, bousculent, interrogent, parce qu’ils lèvent le voile sur la honte, le déni ou la peur qui ont souvent empêché d’énoncer ces vécus douloureux. La scène devient le lieu de transmission de ces histoires de femmes. Rencontres avec celles qui les incarnent.

 

Eleonora Galasso ne voulait être « ni dans le pathos, ni dans le militantisme, ni dans la dénonciation » pour raconter ses neuf années passées sous l’emprise d’un conjoint violent. Mais dans la « guérison » pour elle-même et la « transmission » pour les autres. Et quel meilleur endroit, pour cette chroniqueuse culinaire et autrice de livres de recettes, qu’une cuisine pour partager et se confier sur son histoire. C’est ce décor familier qu’a choisi la désormais comédienne pour se révéler dans Dévorante, un spectacle en forme de tragi-comédie à l’italienne. Jeune, sa mère lui a appris à « faire les pastas », mais pas à parler (« Je te nourris, mais on se tait », résume-t-elle). Devenue adulte, Elenora Galasso s’est aveuglée du danger d’une relation toxique. « Ce qui m’intéressait était de comprendre comment j’ai pu en arriver là, quelle était ma part de responsabilité, pourquoi je m’étais mis du jambon sur les yeux. »

« Investie d’une mission »

Alternant des scènes de joie à partager ses recettes et d’autres de douleur sur ce passé douloureux, elle se met sur le gril et fait son introspection. « J’avais besoin d’expulser ce vécu conjugal, cette expérience destructrice, de la manière la plus authentique possible pour prendre un nouveau départ. » Eleonora Galasso a bataillé pour monter ce spectacle hybride qu’elle souhaitait « fébrilement » voir aboutir. Aujourd’hui, les retours du public et les lettres reçues valent récompenses. « C’est comme si vous me parliez à moi », lui a avoué une spectatrice. « Je me sens investie d’une mission. Il fallait que je dise ma vérité pour que les gens se disent leur vérité », insiste la comédienne.

 

Un flux irrépressible se propage de théâtre en théâtre. Les mots qui déferlent de toutes parts sont « un fleuve sale qui récolte toute la saleté sur son passage pour aller se jeter dans l’espace public », espère Ludivine Sagnier. Au Théâtre du Rond-Point, à Paris, sous la direction du metteur en scène Sébastien Davis, la comédienne porte à bout de bras une version scénique du récit de Vanessa Springora. Paru en 2020, Le Consentement (Grasset) a marqué d’une pierre blanche le mouvement de libération de la parole en dénonçant l’acquiescement complice et coupable de ceux qui savaient, mais ne disaient rien, abandonnant à la concupiscence d’un écrivain quinquagénaire (Gabriel Maztneff) une collégienne de 14 ans.

Sœur d’armes

Sur le plateau, le lit où l’homme entraînait la jeune fille est recouvert d’un drap noir mortuaire. L’actrice s’y allonge, mais ne s’y attarde pas. Vêtue d’un jogging d’adolescente, Ludivine Sagnier bouge en permanence. « Je suis toujours en action et je sors épuisée du spectacle. Je n’ai pas le droit, par respect pour Vanessa, de ne pas me laisser traverser par son texte. Mon engagement ne peut pas être à moitié. » Elle fait face crânement, son regard planté dans les yeux du public, scrutant chaque visage pour tenter de savoir à qui elle a affaire. Et si l’écrivain, un soir, prenait à son tour place dans les gradins ? « J’y pense souvent, qu’il vienne ! », répond l’actrice du tac au tac. Accompagnée par le batteur Pierre Belleville, elle est d’autant moins seule qu’elle se sent « entourée par toutes les femmes » qui s’expriment. Elle les écoute, elle les lit. Elle n’est pas une victime (« Si tel était le cas, je le dirais », jure-t-elle), mais une sœur d’armes choisissant de relayer une histoire qui n’est pas la sienne. « C’est ma façon de remplir ma mission », précise-t-elle.

 

Prima facie n’est pas non plus l’histoire d’Elodie Navarre, mais le récit quasi clinique des étapes judiciaires d’une victime de viol et de la difficile prise en compte de la notion de consentement. Ecrit par Suzie Miller, ancienne avocate australo-britannique, ce spectacle, brillamment mis en scène par Géraldine Martineau, gravite autour du personnage de Tessa. Avocate pénaliste spécialisée dans la défense des hommes accusés d’agressions sexuelles ou de viols, sa vie va basculer. Après une soirée bien arrosée, un pénaliste de son cabinet la viole. L’avocate se retrouve victime et la justice met en doute sa parole. « Après avoir lu ce texte, j’avais envie de le transmettre pour placer les spectateurs face à une situation très précise et susciter la réflexion, notamment sur la mécanique judiciaire », explique Elodie Navarre.

 

Pour cette comédienne, Prima facie, actuellement joué dans de nombreux pays européens, correspond à « un théâtre de débat », sur un sujet – la prise en compte de la parole des femmes – éminemment actuel. « Au début de cette création, j’ai entendu beaucoup de gens dire : “Encore, encore un sujet sur les violences faites aux femmes”, mais il est important de persister, malgré ces “encore”, car il s’agit juste d’un rééquilibre. Le propos n’est pas d’accabler, mais de montrer la réalité des choses. » Elle a fait sienne une phrase du spectacle : « Sois le changement que tu voudrais voir. »

Force dévastatrice des mots

Le changement, la loi tarde parfois à le rallier et à l’entériner. Elle n’avait ainsi pas tranché en faveur de la liberté des femmes à disposer de leur corps lorsqu’en 1963 Annie Ernaux, âgée de 23 ans, a vécu un avortement clandestin. Un chemin de croix que la romancière racontera, trente-sept ans après les faits, dans L’Evénement (Gallimard), récit édifiant qui n’omet rien des violences endurées. Quête d’une faiseuse d’ange, lâcheté du corps médical, errance d’une jeune femme qui n’a pu que compter sur elle pour reprendre le contrôle de sa vie : le texte est parfois insoutenable. Incarné par la comédienne Marianne Basler, il s’est joué au Théâtre de l’Atelier, à Paris, au moment même où, le 28 février, la liberté des femmes de recourir à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) était inscrite dans la Constitution de 1958.

 

Une concordance des temps qui a aidé l’actrice dans sa traversée : « J’avais peur de ce sujet. Je n’ai jamais joué un texte aussi difficile. J’ai le dos bloqué, des migraines, je suis à genoux », avoue-t-elle. Marianne Basler ne ploie pourtant pas sur le plateau qu’elle parcourt à pas mesurés, jaugeant, avant de les dire, la force dévastatrice des mots. Elle a elle-même adapté le texte. Le faire entendre est sa façon de se « placer aux côtés » d’une romancière clivante que « les uns plébiscitent quand d’autres la haïssent ». L’interprète a choisi son camp. Celui des combattantes hors la loi qui ont préféré mettre leur vie en danger plutôt que de voir leur avenir escamoté.

Peut-il y avoir prescription pour les victimes de traumatismes ? Ce spectacle sait rappeler à quel point, avant 1975 et la loi Veil, une interruption de grossesse clandestine relevait de la barbarie. « L’avortement est le premier acte de la liberté d’Annie Ernaux », souligne Marianne Basler, qui, « obstinée » plus que « militante », a vaincu ses résistances pour être là où elle est la plus « cohérente », épaule contre épaule, tout près de l’écrivaine.

 

 

« Dévorante », jusqu’au 30 mai au Théâtre des Mathurins, Paris 8e, et du 3 au 21 juillet au « off » du Festival d’Avignon.

« Les Chatouilles », du 11 avril au 1er juin, au Théâtre de l’Atelier, Paris 18e.

 

 

« Prima facie », jusqu’au 4 mai, au Théâtre du Petit- Montparnasse, Paris 14e.

 

 

« Le Consentement », jusqu’au 6 avril, au Théâtre du Rond-Point, Paris 8e.

 

 

« L’Evénement », le 27 mars, au Théâtre de l’Atelier, Paris 18e, tournée en préparation pour 2024-2025.

 

 

Sandrine Blanchard et Joëlle Gayot /LE MONDE 

 

 

Légende photo :  Eleonora Galasso dans « Dévorante », mise en scène de Chloé Froget, au Théâtre des Mathurins, à Paris, le 12 janvier 2024. PéNéLOPE CAILLET

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Philippe Buquet, un esprit essentiel

Philippe Buquet, un esprit essentiel | Revue de presse théâtre | Scoop.it

par Armelle Héliot dans son blog - 23 mars 2024

Des années durant, il aura été un constructeur essentiel du monde du théâtre. Il s’est éteint cette semaine, après une lutte digne contre la maladie. L’Espace des Arts de Chalon-sur-Saône, lui rendra hommage le 25 mars.

 

Il avait un physique de jeune premier, avec ses yeux bleus et son visage avenant, sa silhouette d’adolescent. Pourquoi faut-il que le destin rattrape des êtres, les enferme dans la maladie, les détruise inéluctablement ? La vie peut se faire odieuse. Philippe Buquet se sera battu des années durant contre une maladie extrêmement cruelle que l’on connaît sous le nom de maladie de Charcot.

Ainsi Philippe Buquet, né en 1954, s’est-il éteint le 19 mars dernier, avant d’avoir atteint ses 70 ans. On n’en a pas encore parlé parce que l’on demeure sidéré et que l’on a du mal à accepter ces nouvelles si tristes.

 

Sa famille dira adieu à Philippe Buquet, lundi, dans l’intimité ; ses anciens collaborateurs de l’Espace des Arts de Chalon-sur-Saône, se réuniront le même jour, à 15h30, pour célébrer sa mémoire.

Il faisait partie depuis de très longues années du monde du spectacle vivant, et, en premier lieu du théâtre. On a le sentiment de l’avoir connu depuis quarante ans. A ces postes si difficiles que sont ceux de l’administration des institutions.

 

Il a longtemps accompagné Jean-Louis Martinelli, directeur du TNS, Théâtre national de Strasbourg, de 1993 à 2000. Ensuite, il assure un intérim à la tête du Rond-Point, en attente de solution.

C’est à l’Espace des Arts de Chalon-sur-Saône que Philippe Buquet donnera la pleine mesure de ses dons. Il en est nommé directeur en 2002 et va très vite déployer ses talents : une connaissance excellente du paysage artistique français et européen, un art de diriger sans raideur, un intérêt vif pour les femmes et les hommes qui travaillent avec lui, une connaissance sincère du territoire. Peu à peu, l’Espace des Arts de Chalon devient très important en région Bourgogne-Franche-Comté et va acquérir très tôt sous la direction de Philippe Buquet le label « scène nationale ». Il travaille au-delà du bâtiment et trouve une destination heureuse au théâtre municipal de la ville, un bijou à l’Italienne qui est un écrin idéal, notamment pour le jeune public.

 

Philippe Buquet défendait le théâtre, mais aussi les autres arts du spectacle vivant. La danse en particulier, et il avait lancé un festival intitulé « Instances » qui a permis l’émergence nombreux talents nouveaux. Il faisait aussi la part belle aux formes actuelles, celles où musique, vidéo, cirque se mêlent.

 

Il était resté dix-huit années à la tête de l’Espace des Arts. On ne l’oubliait pas. On ne l’oubliera pas.

 

Armelle Héliot 

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Au Théâtre 13, à Paris, Hugues Duchêne et Maxime Pambet revisitent l’histoire de France, de 1774 à 1789

Au Théâtre 13, à Paris, Hugues Duchêne et Maxime Pambet revisitent l’histoire de France, de 1774 à 1789 | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 25 mars 2024

 

 

Le metteur en scène et le comédien proposent un spectacle jubilatoire d’après le roman de Bertrand Guillot, « L’Abolition des privilèges ».

Lire l'article sur le site du "Monde : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/03/25/au-theatre-13-a-paris-hugues-duchene-et-maxime-pambet-revisitent-l-histoire-de-france-de-1774-a-1789_6224122_3246.html

Avant que ne débute L’Abolition des privilèges, spectacle jubilatoire mis en scène par Hugues Duchêne au Théâtre 13, à Paris, l’artiste remplit de mousseux les coupes de certains spectateurs. Toujours les mêmes. Les bulles coulent à flots, leur ruissellement est continu. Ruissellement. Un drôle de mot qui abrite aujourd’hui un concept économique selon lequel il ne faut pas trop taxer les riches au motif que leur richesse profite aussi au reste de la société. Ce concept s’inscrit à l’opposé des résolutions prises, la nuit du 4 août 1789, par les députés de l’Assemblée nationale réunis à Versailles. Face à une France qui crie famine et après des heures de discussions enflammées, le clergé, la noblesse et le tiers état adoptent un principe révolutionnaire : l’universalité de l’impôt. C’est ce rappel historique qu’opère, entre autres, cette épatante représentation.

 

Après avoir traqué les aléas de la politique contemporaine en déployant une fresque mi-fictive mi-documentaire de six heures sur la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron (Je m’en vais mais l’Etat demeure), Hugues Duchêne explore cette fois l’histoire de France, revue et réécrite par Bertrand Guillot, auteur du roman L’Abolition des privilèges (Les Avrils, 2022).

 

Dans un dispositif quadri frontal, plaçant la scène au centre des regards, l’artiste adapte les deux premières parties du livre. Soit la nuit du 4 août 1789 qui voit les privilèges (des provinces, des villes ou des corporations) démantelés les uns après les autres. Puis les quinze années qui ont précédé cette nuit mémorable jusqu’à accoucher de sa tenue et provoquer son contenu.

Trou normand dramaturgique

Entre ces deux temporalités, la première s’attardant sur le décompte minuté des discours, la seconde déroulant en accéléré, et parfois même en abrégé, les événements marquants de 1774 à 1789, Hugues Duchêne impose une rupture géniale que personne ne voit arriver. Une sorte de trou normand dramaturgique au cours duquel il rejoint le comédien (Maxime Pambet) sur le plateau pour glisser un peu de sa vie à lui dans le récit historique et immiscer des sujets du XXIe siècle (féminisme, patriarcat ou wokisme) au cœur des préoccupations du XVIIIe siècle.

Cette irruption hilarante (on y apprend comment Hugues Duchêne se « contracepte ») est surtout l’occasion de comprendre à quel point l’histoire brasse encore et toujours les mêmes rapports dominant-dominé, à cette différence près (mais qui n’est pas anecdotique) que velléités d’oppression et désirs d’émancipation se déplacent au fil des siècles.

 

Maxime Pambet, quant à lui, arpente les travées de l’arène théâtrale, endossant d’un simple changement de voix ou de posture, les paroles de quelques-uns des députés. Le duc de Noailles, qui donne le coup d’envoi à l’abolition des privilèges, est vite rejoint par les évêques, les paysans, les chasseurs ou les commerçants. Bref, des plus puissants aux moins nantis, tous se délestent à qui mieux mieux de leurs prérogatives.

 

 

En détricotant son maillage économique et législatif, « l’Ancien Régime » se saborde en beauté. Un instant de grâce qui relève, en vérité, d’un coup de génie, la noblesse n’ayant consenti à l’abandon de ses droits féodaux que parce qu’elle était ivre du vin que le tiers état venait de lui faire boire à outrance. A malin, malin et demi. On comprend mieux pourquoi l’incomparable et facétieux Hugues Duchêne servait de l’alcool à certaines personnes du public : celles-ci occupaient, sans le savoir, la place desdits nobles.

 

 

L’Abolition des privilèges, d’après Bertrand Guillot. Adaptation et mise en scène : Hugues Duchêne. Avec Maxime Pambet. Théâtre 13 (Bibliothèque), 30, rue du Chevaleret, Paris 13e. Jusqu’au 30 mars.

 

 

Joëlle Gayot / LE MONDE

 

Légende photo  / Maxime Pambet dans « L’Abolition des privilèges », spectacle mis en scène par Hugues Duchêne, au Théâtre 13 (Bibliothèque), à Paris, le 20 mars 2024. BLOKAUS808

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«Mon Bel Animal» : Ivo Van Hove redonne voix à la proie 

«Mon Bel Animal» : Ivo Van Hove redonne voix à la proie  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Laurent Goumarre dans Libération - 25 mars 2024

 

Adaptée d’un roman de Marieke Lucas Rijneveld, la pièce du metteur en scène belge décortique une mécanique pédocriminelle à la Villette à Paris.

 

Elle a 14 ans, Kurt en a 49. Elle n’a pas de prénom, désignée dans la distribution comme «la fille». Décidément, quelque chose ne va pas. Son père est fermier, il se tait depuis la mort du petit frère. Elle se rêve rock star comme Kurt Cobain, fascinée par le «club des 27» ; mourir jeune et reconnue, elle a encore le temps, alors elle se rappelle la lettre d’adieu du chanteur avant son suicide, quelque chose comme : «Il y a du bien en nous tous, et je pense que j’aime trop les gens tellement que ça me rend triste.»

Heureusement, il y a Kurt, le vétérinaire, marié, un enfant, qui fait de la mob sur le plateau, emmène La Fille danser, c’est de leur âge. Kurt comme Cobain, c’est un signe. Un type sympa avec qui partager ses rêves, chanter un Total Eclipse of the Heart de circonstance en se marrant, se coucher dans la paille pour regarder ensemble le ciel, les nuages, les merveilleux nuages qui passent sur l’immense écran panoramique au-dessus de la scène. Le père, lui, écoute Vivaldi, il n’a encore rien compris.

Et puis un jour, on annonce «le petit taureau est mort» à cette Agnès de la campagne. L’orage éclate sur la vidéo, sur scène, on a changé de disque, c’est I Will Always Love You qu’ils gueulent tous les deux, «We both know I’m not what you, you need», – «nous savons tous les deux, que je ne suis pas celui /celle qu’il te faut». Elle 14 ans, Kurt 49, sous la pluie qui inonde le plateau. C’est un jeu pour La Fille qui mime la star sous les éclairs comme dans un clip avec son pote le véto. Ça ne l’est plus du tout pour Kurt, avec passage à l’acte : le baiser. Forcément, puisqu’ils se comprennent, qu’ils sont complices, le baiser c’est ce qu’on fait quand on «always love you».

 

Point de vue

Mais ça, c’est le discours de Kurt, qu’il s’est construit depuis des années à visiter le père de La Fille pour soigner ses vaches. C’est son point de vue pédophile, qui s’exerce dans le roman, best-seller controversé en 2021, de Marieke Lucas Rijneveld – 23 ans, écrivain·e non-binaire, premier·ère romancier·ère néerlandais·e à remporter le Booker International Prize – de la même manière qu’Humbert Humbert était le narrateur du Lolita de Nabokov. Cette histoire d’amour, c’est ce qu’il se raconte, Kurt, 49 ans quand même, avec un passé qu’on découvre traumatique dans des scènes de violence sexuelle sous la domination d’une mère incestueuse.

 

Le roman était la confession écrite en prison de Kurt. Encore une parole de prédateur, s’était-on offensé à sa sortie. Dans un entretien, Marieke Lucas Rijneveld expliquait ce choix : «Ce roman est en partie basé sur mon vécu. J’ai connu une situation plus ou moins similaire, mais je ne pensais pas écrire sur le sujet. J’ai choisi le vétérinaire comme narrateur, car il aurait été trop difficile pour moi, trop proche, de devenir la narratrice, d’expliquer que la jeune fille a laissé les choses se passer…» En adaptant le texte sur scène, Ivo Van Hove déplie magnifiquement la parole de La Fille et fait entendre ce que Rijneveld ne pouvait alors écrire : son théâtre a guéri le roman.

Responsable

La force de la mise en scène est de juxtaposer sur le plateau à découvert, sans changement de décor, ni de comédiens, l’enfance violée de Kurt et celle de La Fille. Ça n’excuse pas le baiser, ni le reste, ça montre qu’il y a deux enfants sur le plateau, mais avec des années de différence, et ça, ça fait interprétation. D’ailleurs voilà Freud qui débarque en personne dans la ferme. Y a du boulot au vu de ce qui se dit : «Il y a en moi un petit garçon démuni qui aimerait tant jouer avec toi… Tu me fais sentir jeune et je suis sûr que tout ça est arrivé à cause de ma mère… Elle m’a laissé une blessure durable que j’essaie de guérir grâce à toi…» La Fille, puisqu’il est admis qu’elle n’a pas de nom – comment en aurait-elle un quand elle n’est qu’instrument de réparation ? Donnons au moins celui de la jeune comédienne, excellente : Eefje Paddenburg – va devoir alors prendre tout sur elle. Quatorze ans et responsable de tout : de Kurt et de sa mère aux jambes écartées, mais aussi de la mort violente de son petit frère, du silence du père qui regarde passer les Saisons chez Vivaldi, des vaches malades qu’on va devoir abattre, du «petit taureau [qui] est mort», et puis le 11 Septembre, c’est elle, elle le sait ; la mort de Jésus, toujours elle. Qu’en dit le Freud qui s’avance pour la deuxième fois sur le plateau ? On a noté dans le noir de la salle, pour ne rien perdre, quelque chose comme : «Il faut aimer quelqu’un pour ne pas tomber malade. Au bout du compte, ça se résume à ça : les gens tombent malades quand ils ne peuvent pas aimer.»

 

 

Mon Bel Animal, d’après le roman de Marieke Lucas Rijneveld, mise en scène d’Ivo van Hove, du 28 au 30 avril, Grande Halle de la Villette, Paris

 

 

 
Légende photo : Katelijne Damen, Hans Kesting et Eefje Paddenburg dans «Mon Bel Animal». (Jan Versweyveld)
 
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Livre de témoignages : «les Paradoxes du comédien», entre le rôle et le réel 

Livre de témoignages : «les Paradoxes du comédien», entre le rôle et le réel  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Virginie Bloch-Lainé dans Libération le 21 mars 2024

 

 

Professeure d’histoire des émotions à Columbia, Laurence Marie illustre le texte de Diderot avec les témoignages de 50 artistes sur leurs rapports aux personnages qu’ils interprètent.

 
 

On lit Paradoxe sur le comédien au lycée et on s’enthousiasme pour sa radicalité. Dans ce dialogue entre deux interlocuteurs appelés «Le Premier» et «Le Second», Diderot défend l’idée selon laquelle, pour jouer correctement au théâtre, le comédien doit se détacher du rôle, rester indifférent à la peine de l’homme triste qu’il incarne sur scène. Par la même occasion, toujours en classe, à 15 ou 16 ans, on réfléchit à la figure de l’archétype : un tartuffe, un avare et un misanthrope sont-ils les mêmes que le Tartuffe, l’Avare ou le Misanthrope ? Diderot répond non : «Les comédies de verve et même de caractère sont exagérées. La plaisanterie de société est une mousse légère qui s’évapore sur la scène ; la plaisanterie de théâtre est une arme tranchante qui blesserait dans la société. On n’a pas pour des êtres imaginaires le ménagement qu’on doit à des êtres réels. La satire est d’un tartuffe, et la comédie est du Tartuffe.» Ce texte que le philosophe des Lumières a commencé à écrire en 1769 et qui fut publié en 1830 est réédité ces jours-ci en Folio, avec un appareil critique très riche, composé par Laurence Marie. Française, elle enseigne l’histoire des émotions à Columbia, à New York. Au moment où Diderot, lui-même dramaturge, réfléchit au jeu de comédien, un consensus existe sur la nécessité de la sensibilité de l’acteur. En 1758, Jean-Jacques Rousseau, dramaturge aussi, écrit la Lettre à d’Alembert sur les spectacles. Il y condamne le théâtre et le jeu, «cet art de contrefaire, de revêtir un caractère autre que le sien, de paraître différent de ce qu’on est, de se passionner de sang-froid, de dire autre chose que ce qu’on pense». Diderot aussi utilise le mot «sang-froid» dans Paradoxe sur le comédien, mais en des termes flatteurs. A la fin du Folio, on lit quelques lignes que l’auteur de la Religieuse adresse à Frederic-Melchior Grimm, cet ami pour lequel il réfléchit à la question de l’incarnation : «C’est un beau paradoxe. Je prétends que c’est la sensibilité qui fait les comédiens médiocres ; l’extrême sensibilité les comédiens bornés ; le sens froid et la tête, les comédiens sublimes.»

Un mélange de sang-froid et d’émotion

Lorsque l’adolescence, cet âge tendre et indulgent envers l’absolu, est loin derrière nous, on parcourt avec intérêt le recueil de 50 «regards sur le métier de comédien», des témoignages récoltés par la même Laurence Marie. Elle a demandé à des metteurs en scène, des acteurs, des danseurs, leur avis sur le texte de Diderot. Ils ne sont ni complètement pour ni absolument contre. Ils sont nuancés. La metteuse en scène Macha Makeïeff écrit : «Au lycée j’avais trouvé Paradoxe sur le comédien comme replié sur lui-même, trop dogmatique.» En le relisant, elle reste sur sa faim. Elle apprécie son autodérision, «mais son approche scientifique et morale m’évoque le travail des neurosciences aujourd’hui, qui cartographient notre cerveau et notre imaginaire. Nous serions artistes parce que telle zone vibre à tel moment. Je crois qu’il faut laisser des territoires vierges de tout contrôle». Puisse Macha Makeïeff être comprise… Guillaume Gallienne, Clotilde Hesme et Daniel Mesguich se prononcent plutôt pour un mélange de sang-froid et d’émotion.

«Connexion entre la réalité et le texte»

La contribution la meilleure est celle d’Eric Ruf, acteur, metteur en scène et administrateur général de la Comédie-Française depuis une dizaine d’années. Se déclarant «en accord total» avec la théorie de Diderot, il est celui qui illustre son propos d’exemples amusants, celui qui permet le mieux de s’imaginer en quoi consiste ce métier. Pour un comédien de la Comédie-Française, il est impossible d’être envahi par un seul et unique rôle car, le temps d’un week-end, «on joue quatre titres différents». Ruf raconte deux anecdotes qui plaident en faveur d’une distance entre le comédien et son rôle.

 

Cet éloignement n’est pas théorique, ni décidé, mais il s’installe à l’épreuve des faits. Eric Ruf a joué Philinte, l’ami d’Alceste, le célèbre Misanthrope. La première réplique de Philinte est longue et complexe grammaticalement. Ruf a toujours l’impression lorsqu’il la prononce qu’il perd les spectateurs : «Mais soudain, un soir, un téléphone a sonné. Il y a eu un remous dans la salle, certains ont manifesté leur mécontentement. C’était une sonnerie ridicule et la personne qui avait ce portable a essayé de l’étouffer dans son sac en faisant comme si de rien n’était. Ça a duré très longtemps. J’ai attendu, attendu, regardé dans la direction de ce spectateur, puis attendu encore. J’ai souri, en prenant mon temps. Ce n’était pas grave parce que je savais qu’après je dirai ces alexandrins : “Des mœurs du temps, mettons-nous moins en peine /Et faisons un peu grâce à la nature humaine.” Cette connexion entre la réalité et le texte était dingue. J’ai eu conscience juste après que jamais je ne réussirais mieux que ce jour-là à faire comprendre cette réplique. Comme les gens avaient cette clé concrète, soudain ils ont compris tout ce que Molière voulait dire. C’est pourquoi je suis amoureux de ce que Diderot appelle le “paradoxe du comédien”.»

 

Eric Ruf dresse l’éloge du metteur en scène allemand Thomas Ostermeier. Avant de le faire venir à la Comédie-Française pour mettre en scène notamment la Nuit des rois et le Roi Lear, Ruf est allé voir sa mise en scène d’Othello à la Schaubühne de Berlin. Il y avait «une grande piscine pour signifier l’eau qui monte. Lors d’une bagarre entre deux seigneurs et une tentative de noyade, j’ai reçu une petite vague. Le jeu s’est poursuivi, et juste avant de passer à autre chose, l’acteur m’a fait un geste d’excuse puis a continué à jouer. Imaginez la distanciation de cet acteur pris dans une scène épuisante : il a enregistré qu’il vient de balancer de l’eau sur le genou de cet homme, là, et il se dit qu’il ne faut pas oublier de lui faire une politesse ; […] J’adore ce théâtre. De même que j’adore quand les gens finissent dans un grand engagement, que le noir se fait et qu’au moment du salut ils rigolent et parlent entre eux. Pour moi, c’est ça le théâtre.»

Diderot, Paradoxe sur le comédien. Edition de Laurence Marie, Folio classique, 400 pp., 7,80 € (ebook : 7,50 €). Laurence Marie, les Paradoxes du comédien. Cinquante regards sur le métier d’acteur. Gallimard, 336 pp., 22,50 € (ebook : 16 €).
 

Légende photo : Eric Ruf et Loïc Corbery dans «le Misanthrope», à la Comédie-Française, en 2014. (Pascal Victor/ArtComPress. Opale)

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Frédéric Mitterrand, ancien ministre de la culture et homme de télévision, est mort

Frédéric Mitterrand, ancien ministre de la culture et homme de télévision, est mort | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Par Clarisse Fabre et Nicole Vulser dans Le Monde - 21 mars 2024

 

 

L’homme de lettres et de cinéma, producteur de télévision, ancien ministre de la culture et de la communication de Nicolas Sarkozy, est mort à l’âge de 76 ans.

Lire l'article sur le site du "Monde" : 

https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2024/03/21/frederic-mitterrand-ancien-ministre-de-la-culture-et-homme-de-television-est-mort_6223327_3382.html

Frédéric Mitterand, à Paris, le 6 octobre 2009. THOMAS LAISNé / CONTOUR BY GETTY IMAGES

Que n’a-t-il pas fait ? Le seul nom de Frédéric Mitterrand évoque une multitude d’images et d’épisodes de la vie culturelle de ces dernières décennies. Né le 21 août 1947, l’homme de lettres et de cinéma, neveu de l’ancien président de la République François Mitterrand, est mort à l’âge de 76 ans, selon une information communiquée par sa famille à l’Agence France-Presse. Frédéric Mitterrand était atteint d’un cancer depuis plus d’un an, une maladie qu’il ne connaissait que trop bien, son frère aîné, Gabriel, l’ayant contractée au printemps 2020 et qui avait fini par s’en sortir. Cette douloureuse traversée a inspiré à Frédéric Mitterrand l’un de ses nombreux ouvrages, Une drôle de guerre (Robert Laffont, 2020), ainsi titré pour épingler le vocable militaire martelé par Emmanuel Macron – « Nous sommes en guerre… » – lors de son allocution annonçant le premier confinement, le 16 mars 2020.

Dans ses multiples vies, le dandy érudit et populaire aura été exploitant de salles de cinéma, animateur-producteur d’émissions télévisées, écrivain, réalisateur, scénariste, commentateurs de la vie des têtes couronnées… Politiquement inclassable, Frédéric Mitterrand aura pour le moins surpris le milieu artistique en devenant, en 2009, ministre de la culture et de la communication de Nicolas Sarkozy, le pire ennemi de la gauche.

 

Né dans une famille bourgeoise, il grandit entouré de ses deux frères (Gabriel et Olivier), avec des parents séparés et une gouvernante dont il ne garde pas un bon souvenir. Son père, Robert Mitterrand, mort en 2002, ingénieur polytechnicien, haut fonctionnaire et frère aîné de François Mitterrand, s’engage dans la Résistance, tandis que sa mère, Edith Cahier, morte en 2014, élève les trois fils. Elle publiera en 2002 l’ouvrage autobiographique Ma famille Mitterrand (éd. Robert Laffont).

Boucles châtains, foulard mauve

Par quel mystère Frédéric Mitterrand décide-t-il, à l’âge de 12 ans, de se présenter à l’audition du film d’Alex Joffé, Fortunat (1960), avec Bourvil et Michèle Morgan ? Accessoirement seul, un bras cassé et l’air timide, ne dévoilant pas son patronyme. Toujours est-il qu’il est retenu pour le rôle sous le nom de Frédéric Robert et apparaîtra une dizaine de fois à l’écran, notamment dans Merry-Go-Round (1981), de Jacques Rivette.

 

Après le lycée Janson-de-Sailly, une licence d’histoire et de géographie à la faculté de Nanterre, le voici diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris, section service public, en 1968. Il renonce, bien qu’admissible, à passer l’oral de l’Ecole nationale d’administration (ENA). Frédéric Mitterrand ne reste pas longtemps enseignant à l’Ecole active bilingue Jeannine-Manuel, à Paris. En 1971, il choisit le cinéma et rachète l’Olympic, au 10, rue Boyer-Barret, dans le 14e arrondissement de Paris. Lui qui voue une passion à La Fièvre dans le sang (1961), d’Elia Kazan, programme un mélange de classiques hollywoodiens et de films d’auteur encore méconnus, ouverts sur le monde.

 

Esthète, il propose des cycles d’Ingmar Bergman, Yasujiro Ozu, Pier Paolo Pasolini, Youssef Chahine ou Marguerite Duras… Le dandy ouvertement homosexuel fait ses premières apparitions à la télévision, boucles châtains et foulard mauve autour du cou. Il « aime les femmes » aussi, confiera-t-il plus tard – il a un fils biologique, qui vient de franchir la cinquantaine, et deux autres plus jeunes, adoptés en Tunisie.

 

L’Olympic devient un repaire de cinéphiles, et Frédéric Mitterrand crée un réseau parisien d’une dizaine de salles en reprenant L’Entrepôt (14e arrondissement), Le Bilboquet (6e) ou encore Les Trois Luxembourg (6e). En 1980, Jean-Jacques Schpoliansky (mort en février 2024) veut transformer la salle Le Balzac (8e), fondée par son grand-père, en cinéma d’art et essai. « Je me suis donc tourné vers le meilleur spécialiste parisien du moment : Frédéric Mitterrand, qui programmait superbement les cinémas Olympic. La déception… En matière de programmation, c’était parfait, mais la gestion ne suivait pas », a raconté l’héritier du Balzac en 2002.

 

 

Le réseau Olympic bascule dans le rouge avec un déficit de plus de 4 millions de francs (609 850 euros). Frédéric Mitterrand jette l’éponge en 1986. Pour régler ses dettes, il tourne en 1988 dans une publicité vantant les mérites d’une petite cylindrée automobile, en costume cravate, lui qui n’en portait jamais…

De la salle de cinéma à la caméra, il n’y a qu’un pas, que Frédéric Mitterrand franchit en 1981, en réalisant son premier long-métrage, inspiré par une rupture amoureuse, Lettres d’amour en Somalie. D’autres films suivront, comme sa transposition de l’opéra de Puccini, Madame Butterfly (1995), sur les amours tragiques d’une jeune geisha et d’un officier américain. Ce sera le plus remarqué. Il signe aussi maints documentaires, dont le dernier – Trump, le parrain de Manhattan (2018) – chronique l’ascension du futur président des Etats-Unis.

« Bonsouaaar ! »

Durant les années 1980 et 1990, Frédéric Mitterrand mène ce que certains commentateurs nomment ironiquement ses « deux septennats télévisuels ». Après l’élection de François Mitterrand, en 1981, le neveu cinéphile propose à TF1 une émission sur le cinéma, « Etoiles et toiles », qu’il anime et produit jusqu’en 1986, réunissant les codes du ciné-club et du show télévisé. Sa voix suave, nasillarde et nonchalante deviendra sa marque de fabrique. Puis il quitte avec fracas la chaîne privatisée en 1988 : « Ils n’aiment ni les Noirs, ni les Arabes, ni les pédés, ni les gens de gauche. Autant dire que je n’avais pas beaucoup d’avenir. »

Il rejoint le service public, Antenne 2, pour présenter « Du côté de chez Fred », jusqu’en 1991. Le prénom désormais suffit, comme pour signifier qu’il fait partie des meubles : la vedette accueille les téléspectateurs de son tonitruant « Bonsouaaar ! » – devenu culte –, et conte inlassablement les destins de stars, la fin des Romanov, des Habsbourg ou des Hohenzollern. L’animateur poursuit sa collaboration avec France Télévisions et devient directeur général délégué chargé des programmes et de l’antenne de TV5, entre 2003 et 2005.

 

 

Peut-on être de gauche, fasciné par la monarchie, admirateur du général de Gaulle, séduit par la personnalité de Bernard Tapie ? Frédéric Mitterrand est tout cela à la fois. Plutôt discret politiquement dans ses jeunes années, il prend sa carte du Mouvement des radicaux de gauche (MRG) en 1993, puis soutient Jacques Chirac à la présidentielle de 1995 et ne se prononce pas lors du second tour en 2007, lequel oppose Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal. La victoire du premier lui ouvre de nouveaux horizons.

 

 

Grâce à un coup de pouce de Carla Bruni-Sarkozy, qui l’a présenté au président de la République, Frédéric Mitterrand est choisi pour diriger la Villa Médicis, à Rome, en septembre 2008. Il laisse le souvenir d’un hyperactif qui reçoit beaucoup de personnalités, artistes et intellectuels. Il donne carte blanche à Gérard Garouste pour une grande exposition et crée une gypsothèque pour y présenter la collection de sculptures en plâtre du XIXe siècle. Mais s’attire les foudres des pensionnaires en ouvrant toujours plus la Villa aux visites du public.

 

 

 

Frédéric Mitterrand reste à peine un an sur les hauteurs romaines, puisqu’il est appelé pour succéder à Christine Albanel au ministère de la culture et de la communication, le 23 juin 2009. L’intéressé annonce lui-même la nouvelle sur France 2, devançant de quelques heures sa nomination officielle par le secrétaire général de l’Elysée, Claude Guéant. « Fred » du côté de la Rue de Valois ? Un Mitterrand sous Sarkozy ? Quand on lui demande s’il est toujours de gauche, le neveu de « Tonton » réplique : « François Mitterrand, quand il ne voulait pas répondre, ne répondait pas. Je suis pareil. »

 

Bien que populaire, le ministre novice est attendu au tournant. Il s’attelle tant bien que mal à des dossiers sensibles, comme la lutte contre le piratage des œuvres sur Internet, ou la réforme qui vise à améliorer le fonctionnement du ministère avec moins de moyens… Son slogan de « La culture pour chacun » fait un flop, jugé trop individualiste. Ses nominations se retrouvent parfois épinglées : celle de Jean-Marie Besset au Théâtre des Treize-Vents, à Montpellier, en novembre 2009, est vue comme un « fait du prince ». En avril 2011, il suscite encore l’incompréhension en ne reconduisant pas Olivier Py à la tête de l’Odéon-Théâtre de l’Europe. Plus tard, l’ex-ministre reconnaîtra « une grosse connerie ».

 

 

L’essayiste Frédéric Martel, qui avait appelé à voter Ségolène Royal en 2007, contre « la droite arrogante », dénonce, en 2011, sur le site Nonfiction, la politique « obsolète » de Frédéric Mitterrand et publie J’aime pas le sarkozysme culturel (Flammarion, 2011). Le ministre attend de quitter la Rue de Valois pour régler ses comptes dans son livre-journal, consacré à son expérience ministérielle – dont on notera le titre : La Récréation (Robert Laffont, 2013)… Selon Frédéric Mitterrand, le producteur et journaliste de France-Culture « fait partie de ces gens dont on se dit qu’il aurait mieux valu de pas les croiser pendant la guerre ». Cette phrase lui vaudra une condamnation pour « injure ».

Turbulences « sexuelles »

L’année 2011 est aussi celle du soulèvement tunisien. Or Frédéric Mitterrand fait partie de ces responsables français qui ont fait preuve de complaisance envers le dictateur Ben Ali. Le 9 janvier, en pleine répression du soulèvement populaire, le ministre de la culture juge « tout à fait exagéré » de qualifier la Tunisie de Ben Ali de « dictature univoque ». Il présente ensuite ses excuses au peuple tunisien, reconnaissant avoir obtenu la nationalité de ce pays dans les années 1990, après avoir organisé une Année de la Tunisie en France.

 

 

L’hôte de la Rue de Valois affronte d’autres turbulences, que l’on pourrait qualifier de « sexuelles ». Lorsque le cinéaste Roman Polanski, poursuivi pour une accusation de viol sur une mineure de 13 ans, en 1977, est arrêté à Zurich fin septembre 2009, le ministre vole à son secours. Il juge cette arrestation « absolument épouvantable », « pour une histoire ancienne qui n’a pas vraiment de sens ». Ses propos créent la polémique et divisent.

Invitée de « Mots croisés », sur France 2, le 7 octobre 2009, Marine Le Pen exhume des extraits d’un précédent livre de Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie (Robert Laffont, 2005). L’auteur y raconte ses voyages en Thaïlande et son irrésistible attirance pour les relations tarifées avec de jeunes garçons. « La profusion de garçons très attrayants et immédiatement disponibles me met dans un état de désir que je n’ai plus besoin de réfréner ou d’occulter, écrit-il dans cet ouvrage. L’argent et le sexe, je suis au cœur de mon système, celui qui fonctionne enfin car je sais qu’on ne me refusera pas. » La patronne du Front national et une partie de la gauche demandent la démission du ministre, qui « s’adonne au tourisme sexuel ». Le lendemain, au journal de TF1, Frédéric Mitterrand assume ce passé, dont il n’est pas fier, tout en niant avoir eu des pratiques pédophiles. Cette histoire le poursuit encore, dit-il, évoquant ces gens qui l’insultent parfois dans le métro.

 

Au fil des années et des scandales, Frédéric Mitterrand finit par devenir le « spécialiste des lettres d’excuses », selon ses propres mots. On l’accuse d’avoir trahi la gauche ? Il assure qu’il est « revenu à la maison » – et soutient François Hollande à la présidentielle en 2012. En janvier 2016, il participe au pèlerinage des vingt ans de la mort de François Mitterrand, blouson de cuir et gâpette sur le crâne. Trois ans plus tard, il parvient à se faire élire à l’Académie des beaux-arts, reprenant le fauteuil qu’occupait Jeanne Moreau, morte en 2017.

 

 

Que n’avait-il pas encore fait ? L’édition ! En 2019, la holding de la famille Mitterrand, présidée par son frère Olivier, prend le contrôle de Christian Bourgois éditeur. Les nouveaux propriétaires écartent sans ménagement Dominique Bourgois, veuve du fondateur, et Frédéric Mitterrand occupe très temporairement la direction éditoriale de cette prestigieuse maison d’édition. Son frère récuse tout parachutage préorchestré.

 

 

Souvent, lorsqu’il est attaqué, l’intéressé rétorque qu’il « n’aime pas la meute ». Un rejet qui lui vient de son enfance, dit-il, du temps où il était moqué par ses camarades. En novembre 2020, invité de « L’Heure bleue » sur France Inter, il faisait encore son mea culpa : « J’ai fait beaucoup de bêtises et j’ai pris quelquefois de très mauvais virages », confesse-t-il au micro de Laure Adler. La voix toujours aussi romanesque, il demande qu’on ne le juge pas trop vite : « Encore un moment, monsieur le Bourreau », plaide le spécialiste de la monarchie, citant la comtesse du Barry, dernière favorite de Louis XV, lorsque celle-ci monta sur l’échafaud, le 8 décembre 1793. C’était sa « phrase préférée de la Révolution ».

 

 

 

Frédéric Mitterrand en quelques dates
  • 21 août 1947 : naissance à Paris

 

  • 1971 : rachète le cinéma Olympic à Paris

 

  • 1981-1991 : produit et anime les émissions Etoiles et toiles et Du côté de chez Fred 

 

  • 2009-2012 : ministre de la culture et de la communication

 

  • 2019 : élu à l’Académie des beaux-arts

 

  • 2024 : mort à Paris

 

Clarisse Fabre et Nicole Vulser / LE MONDE

Le spectateur de Belleville's insight:

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Décès de Philippe Buquet : Réaction de Sébastien Martin, Président du Grand Chalon 

Décès de Philippe Buquet : Réaction de Sébastien Martin, Président du Grand Chalon  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié dans "info-chalon.com" le 20 mars 2024

 

 

C’est avec une immense émotion que j’ai appris le décès, survenu cette nuit, de Philippe BUQUET, directeur de l’Espace des Arts de 2002 à 2019. 

 

 

Chacun connaissait l’engagement, la passion et la force de conviction qui animaient Philippe. Ayant eu la chance de le connaître dès son arrivée à Chalon, j’ai pu apprendre à ses côtés combien la culture avait un rôle si particulier et si essentiel dans notre société.

 

Défenseur acharné de la création artistique et de l’accès de tous à une culture exigeante, il apportait pour chacun un regard nouveau sur les enjeux de notre société.

 

Philippe BUQUET fut à l’origine mais également, la cheville ouvrière de la rénovation de notre scène nationale entre 2016 et 2018.

Ce territoire lui doit beaucoup, les artistes lui doivent beaucoup et nous sommes aujourd’hui, toutes et tous, marqués par la tristesse.

Je veux adresser à son épouse et à toute sa famille mes très sincères condoléances ainsi que celles de l’ensemble des élus du Grand Chalon.

 
 

 

 

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Création et ruralité : Rachida Dati lance une consultation

Création et ruralité : Rachida Dati lance une consultation | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Yves Perennou sur le site de lascene.com - 19 mars 2024

 

Le 22 janvier, Rachida Dati a lancé la concertation nationale « Printemps de la ruralité ». Une plateforme Internet permettra à chacun de donner son avis sur le sujet, et deux personnalités sont en attente de nomination pour piloter la consultation. La ministre a appuyé son intention sur un rapport de l’Inspection générale de l’action culturelle (IGAC) intitulé « L’action des labels de la création dans les zones rurales », qui résulte d’une mission coordonnée par Guy Amsellem, Marie Bertin et Isabelle Maréchal. 

 

Préciser les objectifs
Il faudrait bien identifier les objectifs sur la ruralité pour mieux évaluer, recommande le rapport. En 2021, 1 016 actions menées par des lieux labellisés ont bénéficié à 927 communes, en dépit de la crise sanitaire. La tendance est à la hausse pour les résidences et la diffusion. L’IGAC y voit « l’effet positif du plan Théâtres en région mis en œuvre en 2020 ». Les moyens manquent en ingénierie et logistique, suite à l’effacement progressif des associations départementales de musique et danse. 


Une idée de l’IGAC serait de soutenir les postes de coordinateurs culturels dans les intercommunalités et de mener des formations-actions au montage de projets, en associant les maires ruraux. Les petites communes ont des difficultés à gérer directement un partenariat avec une institution. Le rapport insiste sur les partenaires, à commencer par les scènes conventionnées d’intérêt national. Il recommande de davantage associer les labels aux contractualisations des DRAC avec les territoires et de collaborer avec les lieux et les réseaux de proximité.


Pour jouer leur partition dans les territoires, les labels doivent tenir compte de ce qui s’y fait déjà et des attentes spécifiques, selon les principes des droits culturels. Cette approche est déjà défendue par plusieurs réseaux réunis sous la bannière Cultures et ruralités  (cultureruralite.fr). à l’inverse, l’exemple donné par la ministre lors de son déplacement à Nontron (Dordogne), le 22 janvier, illustre un cas de savoir-faire descendant de la capitale à la ruralité ; un programme post-master de l’École nationale supérieure des arts décoratifs de « redynamisation des territoires ruraux par le design ».

 

Yves Perennou

En partenariat avec La Lettre du Spectacle n°553

 

Légende photo : Bundren !, par les collectifs Tranx et CCC au festival Les Rias (2023) dans le pays de Quimperlé (Finistère)

Crédit photo : D. R.

 

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Victoria Quesnel : «J’ai toujours voulu faire du théâtre pour être moi» –

Victoria Quesnel : «J’ai toujours voulu faire du théâtre pour être moi» – | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Laurent Goumarre dans Libération-  18 mars 2024

 

 

   La comédienne hyperactive porte seule en scène «Nom», de Constance Debré. Une déconstruction du discours sur la famille qui l’a «bouleversée» et «libérée».

 

Début mars, elle tuait chaque soir son mari avec les mots, la langue de Pascal Rambert dans Finlandia au Théâtre des Bouffes du Nord à Paris. L’après-midi, c’était répétitions et improvisations avec Lorraine de Sagazan et Guillaume Poix, dans une pièce pressentie pour le Festival d’Avignon. Pas de pause, aujourd’hui Victoria Quesnel enchaîne seule en scène dans Nom de Constance Debré, mis en scène par Hugues Jourdain. «Au départ je suis dans le train, je lis Love Me Tender [de Debré, ndlr] et pour la première fois de ma vie, moi qui suis une interprète heureuse, je me dis, il faut passer ça au plateau. La déconstruction du discours sur la maternité, moi qui suis une femme de plus de 30 ans sans enfant, je me dit ouf ! on a droit de toucher à ce rapport-là.»

 

 

L’histoire aurait pu en rester là, à cette lecture, mais il y a Constance Debré qui lit Nom, son roman suivant, à la Maison de la poésie à Paris. Une déflagration pour Victoria Quesnel qui entend une parole sans affect, directe, «débarrassée de la question de l’acteur, comme quand j’avais vu Christine Angot dire le Voyage dans l’Est, la même fulgurance». Hugues Jourdain a déjà monté les textes de Guillaume Dustan, cette parole il en connait la violence sans détour : ce sera face public, direct, pas de sentimentalisme, «mais je ne veux pas faire l’économie de ce qui m’a bouleversée dans Nom, de ce que j’ai vécu pendant cette lecture, qui m’a atteinte et libérée : comment dire “non” aux injonctions d’amour, sous toutes ses formes, familiales, amicales, amoureuses, comment je peux penser par moi-même».

Choc thermique

C’est toute l’histoire de Victoria Quesnel, qui remonte aux années Biarritz, sixième-terminale, après une première enfance sage à Reims. Le choc est thermique, la fillette fringuée en robe Jacadi va se construire sirène de plage : «Mon corps, mon scoot, mon surfeur, les fêtes de Bayonne, la plage entre les cours. Et le sens de la fête que j’ai gardé.» Mais, au fil des années bimboland, quelque chose vacille, le sea, sex and surf ne suffit plus, il lui faut retrouver la pensée mise de côté. Après une année de droit – pourquoi pas –, Quesnel prend la vague théâtre, reçue au conservatoire de Bordeaux avec une scène prise au hasard dans Oncle Vania de Tchékov – «alors même que je ne lisais jamais de pièces, aucune culture théâtrale, à part quelques vagues souvenirs d’ateliers scolaires, et sans antécédents familiaux» –, puis l’Ecole du Théâtre du Nord à Lille, sous la direction de Stuart Seide.

 

Sa devise : «A ne pas savoir être mauvais, on n’est jamais excellent.» «Ça m’a libérée, moi qui cherchais la performance, qui me posais tant de questions, et qu’est-ce qu’on pense de moi ? est-ce que je suis là au maximum ? Moi qui répondais toujours à la demande, je commence à lâcher, à ne plus avoir peur de mal dormir, de ne pas être en état. J’arrête de penser que la représentation du soir est l’événement de toute la journée. Surtout quand on joue souvent. Ou alors on n’a pas de vie à côté. Ce que je ne veux pas. Je suis vivante.»

«Voix cassée»

Lille, c’est surtout la rencontre de toute une promotion qui avance ensemble, avec en meneur de troupe Julien Gosselin, des amitiés fortes de cours, de plateau, de tournées, «quelque chose qui m’a définitivement construite, et donné confiance pour aller aussi loin que je le voulais». Avec un tournant : 2021, le Passé mis en scène par Julien Gosselin sur un texte de 1912 de Leonid Andreïev. Victoria y est Ekaterina Ivanovna, se révèle en transe à soi-même et aux autres. Pascal Rambert, Lorraine de Sagazan et Hugues Jourdain l’ont vue là – Hugues Jourdain qui lui envoie un mot : «Je suis fou d’administration.» Victoria adore la faute, ils seront amis.

«Je suis d’abord allée à la rencontre du personnage, et j’ai ramenée Ekaterina Ivanovna à moi. J’ai senti que je touchais des choses intimes avec l’histoire de sa destruction psychique. Mieux, j’ai trouvé là une voix qui était la mienne : cette voix rauque, grave qui me faisait honte depuis l’enfance – on m’appelait “Stallone”, on disait “Marge Simpson”. Cette voix monstrueuse, inadaptée à la petite fille que j’étais, me revenait du “passé” et je l’ai mise sur le plateau. Ça avait donc pris des années avant que je puisse m’autoriser. J’y ai tout mis, mon enfance, mes rêves, mes terreurs, dans cette voix cassée dont je me disais qu’elle devait peut-être bien dire quelque chose de mon âme… cassée elle aussi ? Alors que je suis joyeuse dans ma vie, que j’ai la joie en moi. Pendant tout ce temps, j’ai été un bon petit soldat au théâtre, j’ai tout bien fait, et puis le Passé est arrivé. J’ai su là que ce qui était l’horreur dans ma vie serait magnifique sur un plateau. A Bordeaux, j’entendais toujours les autres dire : “Je fais du théâtre pour être quelqu’un d’autre.” Pas moi. J’ai toujours voulu faire du théâtre pour être moi.» Elle, Victoria Quesnel. C’est son «nom».

Nom, d’après Constance Debré, mise en scène de Hugues Jourdain, avec Victoria Quesnel, jusqu’au 6 avril au Théâtre du Rond-Point, 75008 Paris.

Laurent Goumarre / Libération 

 

 

Légende photo : Victoria Quesnel, fin février. (Photo © Pauline Roussille)

 
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Avec la Scala et Jérémy Ferrari, les arts du rire font école 

Avec la Scala et Jérémy Ferrari, les arts du rire font école  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Eve Beauvallet dans Libération - 16 mars 2024

 

Le directeur de la célèbre salle de théâtre, Frédéric Biessy, fait équipe avec l’artiste pour lancer une formation privée dédiée à l’humour à la rentrée 2024. L’occasion d’interroger le peu d’ouverture des écoles publiques d’art dramatique à ce pan de la création en pleine ébullition.

 

 

C’est l’histoire d’un mec, autodidacte, devenu humoriste à succès, qui veut aujourd’hui transmettre et qui s’estime «sincère». «Sincère», répète Jérémy Ferrari devant un parterre de professionnels et de journalistes, «ce n’est pas faire croire aux élèves qu’ils seront tous des stars en sortant de l’école», ce n’est pas «leur faire croire qu’on peut apprendre à être drôle» mais plutôt «leur apprendre à repérer quand ils le sont», les aider à trouver leur écriture mais aussi à comprendre les enjeux de production, de diffusion, de relations aux médias, de rhétorique, de suivi de la presse, bref, à comprendre un métier. Jérémy Ferrari se dit bien placé pour réfléchir à ce que pourrait être une formation idéale : il «déteste l’école» et n’en a fait aucune. «J’ai arrêté l’école en première. A 18 ans j’ai travaillé à mi-temps vingt heures par semaine pour pouvoir me payer les cours Florent, que j’ai arrêtés au bout d’un an et demi, en premier lieu parce que je trouvais ça trop cher au vu du nombre d’heure – neuf heures par semaine pour 350 euros par mois.»

 

Assis sur un tabouret – accessoire incontournable du standupeur – sur la scène de la Scala à Paris, aux côtés des codirecteurs des lieux, l’humoriste lançait jeudi 14 mars la future Ecole supérieure des arts du rire (Esar), dont il sera le directeur artistique. Non pas une «énième école de stand-up qui propose six heures de cours avec un parrain prestigieux», jure-t-il, mais une formation diplômante de trente heures par semaine sur deux ans. 26 élèves par promotion avec une première année passée à Avignon dans le fief de «Scala Provence», et la seconde à Paris, riche en intervenants à l’instar des humoristes Vincent Dedienne, Arnaud Tsamère ou de la philosophe Cynthia Fleury.

Folklore underground

Evidemment, l’Esar n’est pas la première école d’humour, convient le codirecteur Frédéric Biessy : «Si je dis ça, je me ferai des ennemis.» A l’échelle internationale, une référence existe à Montréal : l’Ecole nationale de l’humour, une formation avec laquelle la Scala pensait d’ailleurs créer des ponts, avant qu’une divergence d’objectifs ne fasse tomber à l’eau le partenariat. Pique de Frédéric Biessy : «Ils veulent former des stars. Nous on veut former des artistes, des comédiens, pourquoi pas des auteurs et producteurs.» La formation de Montréal est par exemple celle qu’a suivie l’humoriste Roman Freyssinet, qui dit trouver «super» le nouveau projet de la Scala. Quant à Paris, les formations privées essaiment depuis déjà des années, de l’Ecole du one man show, à la Paris Stand Up School (des cours du soir), jusqu’aux célèbres cours Florent qui proposent désormais un cursus dédié, charriant son lot de controverses sur la «récupération» marchande d’une pratique culturelle qui bichonne son folklore underground : le stand-up ne s’apprend-il pas aussi et surtout dans la confrontation directe au public des petites scènes des comedy clubs, pépinières autant qu’irremplaçables laboratoires de jeu ?

 

«L’un n’exclut pas l’autre», répond Pierre Hillairet, 24 ans, actuellement en formation à l’Académie d’humour, une autre école lancée en 2021 par Aude Galliou, Melissa Rojo et Perrine Blondel, par ailleurs directrice de la Petite Loge, microscène tremplin de la capitale. «Pendant dix mois j’ai appris en autodidacte, en jouant dans des caves pourries devant trois personnes, en lisant The Comedy BibleStep by Step ou The Comic Tool Book», raconte le jeune humoriste. Aujourd’hui, la formation qu’il suit coûte 5 200 euros l’année, une bourse lui permet de réduire le coût de moitié : «Mais vu le secteur, où il y a beaucoup de boîtes à fric, moi je suis super content de cette formation.» Et celle lancée par la Scala ? «Je trouve ça cool. Meilleures seront les écoles, meilleur sera le niveau dans le milieu. Après, il y aura toujours des détracteurs pour dire que l’humour ne s’apprend pas, etc.» En 2016, dans un papier du Monde, cette voix réfractaire était portée par Kader Aoun, ancien comparse de Jamel Debbouze et metteur en scène, avec des arguments bien connus depuis des siècles et qui concernent finalement tous les arts (en résumé : quelle digue entre vocation et profession, don et apprentissage ? Le talent s’enseigne-t-il ? Vous avez trois heures).

Coût élevé

Retour en salle, à la Scala : «Je peux faire l’avocat du diable ? Est-ce que vous n’allez pas créer des promotions de malheureux, vu que les comedy clubs sont déjà saturés, que c’est un secteur super concurrentiel ?» Jérémy Ferrari, circonspect : «Evidemment que c’est un monde cruel, de pouvoir, d’argent, de notoriété. Mais je ne vois pas en quoi une formation rend ce parcours plus difficile.» Il sera plus cher, par contre. Un an de formation à l’Esar coûte 9 000 euros. De quoi «non pas faire des profits, mais rester à l’équilibre»,  assure Frédéric Biessy. Sur une cinquantaine d’élèves recrutés, une dizaine pourra bénéficier des bourses mises en place grâce aux mécènes de la Scala et à la Sacem.

 

Dans la rue voisine, à Strasbourg-Saint-Denis, l’historique Ecole internationale Jacques-Lecoq, qui centre son enseignement davantage sur le masque, le clown et le corps que sur le texte, propose des formations professionnelles à 8 350 euros l’année. Le cursus «Stand Up» du cours Florent, coûte 3 400 euros, sans bourses possibles, avec moins d’heures de formation. Sur la question des critères économiques, Jérémy Ferrari assure que l’équipe continuera d’y travailler : «Il n’y a pas de projet parfait. On essaie de faire au mieux avec les cartes qu’on a, mais on est malheureusement dans un monde capitaliste. Nécessairement, certains ne pourront pas venir, mais c’est mieux que de ne rien proposer du tout.»

 

D’autant que les alternatives côté écoles publiques n’existent quasiment pas. Si, malgré son coût élevé, l’Esar de la Scala déclenche l’enthousiasme d’une partie du secteur de l’humour, c’est que les formations nationales ou régionales laissent un boulevard aux privés. A commencer par les écoles supérieures d’art dramatique – moins chères et très prestigieuses – qui tardent encore et toujours à intégrer à leur cursus des modules d’enseignements dédiés à ce pan de la création pourtant en pleine ébullition. Et cette indifférence paraît d’autant plus énigmatique si l’on rappelle, en outre, que les écoles publiques s’acharnent désormais toutes à favoriser la diversité socio-économique dans leur filière et que le stand-up attire justement beaucoup les jeunes des classes populaires.

Diplôme national d’artiste-humoriste

«Dans les écoles publiques, la place faite à la comédie bouge mais très timidement», confirme Corinne François-Denève, universitaire membre du groupe de recherche RIRH – sur le rire, donc – coordinatrice de l’ouvrage collectif la Chaire est triste – humour et enseignement (L’Harmattan). A Lyon, à l’Ecole nationale des arts et techniques du théâtre (l’Ensatt, anciennement Ecole de la rue Blanche à Paris), Mireille Losco-Lena lançait récemment un programme de recherche-création intitulé «Au risque de faire rire», après avoir constaté, explique-t-elle, la pauvreté des jugements esthétiques – disons la difficulté à en formuler – dans la sphère médiatique après la série la Meilleure Version de moi-même de Blanche Gardin en 2021. Au Théâtre national de Strasbourg (TNS), sous l’impulsion de la nouvelle directrice Caroline Guiela Nguyen, les équipes se disent elles aussi concernées et justement en plein travail sur le sujet : «C’est la question de l’écriture du stand-up qui nous intéresse particulièrement dans la réflexion en cours autour de l’école», fait savoir le TNS.

Guillaume Meurice, lui, n’a jamais vu l’intérêt d’un cursus distinct, a-t-il déjà fait savoir : chaque fois qu’il le peut, l’humoriste star de France Inter conseille plutôt aux élèves d’intégrer des écoles de théâtre plus classiques, qui entraînent à s’interroger sur les textes… Dont les auteurs sont très rarement des humoristes. «Il serait temps que ces écoles nationales s’ouvrent davantage à ce champ, je sais que certains élèves préfèrent en partir pour préférer des privées qui proposent des cursus humour», note Geneviève Meley-Othoniel, directrice générale de la future formation, longtemps référente sur les écoles d’art au ministère. «Peut-être vont-elles un jour vouloir nous copier ? lance, bravache, Frédéric Biessy. Ce serait super !» Geneviève Meley-Othoniel ambitionne même de faire reconnaître le diplôme de la Scala par l’Etat dès 2025, de l’inscrire dans le circuit licence-master-doctorat, et d’imaginer un jour, peut-être, un diplôme national d’artiste-humoriste. Face aux sourcils qui se froncent jusque dans le plus petit comedy club du Grand Paris, elle ajoute : «Pour asseoir enfin et pleinement la légitimité artistique de ce domaine.» Première promotion de l’école attendue dès septembre 2024.

 

 
 

Légende photo : L'humoriste Jérémy Ferrari jure ne pas lancer une «énième école de stand-up qui propose six heures de cours avec un parrain prestigieux».

 

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Micheline Attoun, femme d’engagements

Micheline Attoun, femme d’engagements | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Elle s’est éteinte pas même un an après son mari, Lucien. Ensemble, ils avaient élaboré et fait vivre « Théâtre Ouvert », pépinière d’écrivains, lieu de naissance des textes, un foyer essentiel de la vie du théâtre, depuis 1970.

 

Elle était blonde au teint clair. Il était brun au teint mat. Jean-Luc Lagarce, qui les aimait profondément et qui leur était très reconnaissant, les appelait affectueusement et non sans espièglerie, « Attoun et Attounette ». Ils s’étaient connus jeunes adolescents, à l’Ecole Maïmonide. Ecole de confession juive, installée près du jardin Albert-Kahn. Une école ashkénaze dans laquelle Lucien est « le seul arabe », comme il le disait, lui qui était né à La Goulette, port de plaisance de Tunis. Il a 13 ans, elle 12. Il joue très bien au football, elle porte un manteau rouge et un bonnet orange. Il l’a repérée. En tout bien tout honneur. Il passe là trois ans, avant le Lycée Voltaire.

 

 

Elle est née le 11 octobre 1936, à Paris, XIXème. Il est son aîné de quelques mois, le ténébreux de La Goulette.

Le temps passe et ils se retrouveront bien plus tard. Ils se croisent au Tournon, le café des joueurs d’échec, mais aussi le lieu des retrouvailles des anciens élèves de Maïmonide. Micheline Maliniak est déjà mariée. Elle a épousé un polytechnicien. Lucien est invité dans leur maison de campagne, près d’Etampes. Il fait la cuisine. « Il est bon, ton couscous, Lucien ». Une déclaration. On est en 1959 ; ils s’épouseront en 1963.

 

 

Elle est bibliothécaire au Centre Américain, il est encore dans les petits boulots. Mais enseigne beaucoup, jusqu’à HEC. Il va glisser jusqu’au théâtre professionnel, par le théâtre étudiant. Elle le suivra, essentielle.

 

Passons les épisodes. Théâtre Ouvert qui va naître dans la lumière de Jean Vilar, à Avignon, en 1970. Jusqu’au 1er janvier 2014, ils en seront les ardents animateurs. Derrière les ailes du Moulin Rouge, au Jardin d’Hiver, Micheline lit, reçoit, surveille les éditions. Elle est accueillante, généreuse. On ne refera pas ici le long parcours des écrivains découverts, soutenus, suivis.  Elle s’intéresse à l’ensemble du monde du théâtre. Elle lit les critiques, les textes édités ailleurs. Elle et lui vont beaucoup au théâtre. La légère embarcation des lectures, des mises en espace, du « gueuloir », est devenue un centre dramatique. Les moyens ont suivi. Mais l’esprit des patrons n’a pas changé.

 

On revoit Micheline Attoun, sa manière maternelle, sa douceur rayonnante, son esprit. Ses cigarettes. Elle n’arrêtait pas de fumer. Elle aimait rire. Elle ne reconnaissait pas toujours le théâtre qu’elle aimait, dans les spectacles à la mode. Mais elle avait vu passer tant de choses, qu’elle savait que tout pouvait retomber. Elle croyait au texte d’abord. Aux auteurs d’abord.

 

Théâtre Ouvert avait quitté le Jardin d’Hiver pour s’installer, avenue Gambetta, dans les anciens locaux du TEP. Elle était venue le 19 décembre dernier lorsque le nom de Lucien et de Micheline Attoun fut donné à la grande salle. Elle était la même. Mais triste et fatiguée. On ne s’étonne pas de sa mort.

 

 

On ne l’oubliera pas. On entendra longtemps sa voix, douce et tendre, mais capable de sévérité. Elle détestait l’inconséquence.

Sa famille, ses amis, diront adieu à Micheline Attoun, le mercredi 20 mars prochain, au Cimetière du Père-Lachaise, à 15h00.  

 
 
 
Légende photo : Micheline Attoun avec Caroline Marcilhac, l'actuelle directrice de Théâtre Ouvert, en décembre 2023, à l'occasion de l'inauguration de la salle "Micheline et Lucien Attoun" à Théâtre Ouvert . Photo © Christophe Raynaud de Lage
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Le pays de Montbéliard devient Capitale française de la Culture

Le pays de Montbéliard devient Capitale française de la Culture | Revue de presse théâtre | Scoop.it
Nacelle de 12 mètres de haut, feu d’artifice, créature légendaire de 18 mètres de long… Montbéliard devient à partir de samedi « Capitale française de la Culture » 2024 avec un « Joyeux Bazar » en cérémonie d’ouverture, succédant à Villeurbanne.

 

L’agglomération du Doubs, 140.000 habitants, est plus connue pour sa saucisse et son passé industriel, avec les grandes usines Peugeot basées à Sochaux, mais elle va multiplier les événements culturels ces prochains mois. « J’espère que ce sera une belle fête populaire, cela promet un beau spectacle« , explique Charles Demouge, président du Pays de Montbéliard Agglomération, qui va accueillir le Premier Ministre Gabriel Attal pour le lancement de l’événement. Les habitants des 73 communes de l’agglomération sont invités à participer aux festivités à partir de 19H00.

 

Hervée de Lafond, l’une des trois commissaires artistiques de l’événement, promet une cérémonie « modeste mais déjantée« , mais étant « d’incarner une carte postale du pays de Montbéliard« . « Ce sera un joyeux foutoir« . Les élus locaux ont prévu d’y venir à vélo, chacun identifié avec le nom de sa commune, un joyeux peloton auquel Gabriel Attal doit se joindre. « Il passera un moment de la journée avec nous et s’est positionné sur plusieurs séquences« , confirme le député Renaissance du Doubs Nicolas Pacquot.

 

Après Villeurbanne (Rhône), qui a ouvert le bal des Capitales françaises de la Culture en 2022, le label attribué à tous les deux ans par le ministère de la Culture a été séduit par le projet du pays de Montbéliard, nommé « Un pas de côté  » et qui mise sur la sobriété. L’ambition affichée est de mobiliser l’ensemble des communes de l’agglomération et de mettre en avant le côté rural du territoire. En composant une photographie de ses particularités: la saucisse de Montbéliard, la vache montbéliarde et les usines Peugeot à Sochaux, ville qui accueille l’une des équipes historiques du football français.

 

Le projet a toutefois eu du mal au démarrage avec la démission de son commissaire artistique. Rachida Dati, ministre de la Culture s’est désistée de la cérémonie d’ouverture, ainsi que Jamel Debbouze, qui devait ouvrir les festivités. La manifestation s’est finalement étoffée et propose sur l’année près de 300 événements, dont 150 sont issus d’un appel à projet, clôturé trois mois avant son lancement.

Le programme a dû être validé sur les chapeaux de roues par un nouveau commissariat artistique composé de trois personnalités locales. Les 150 autres projets, issus de la programmation culturelle habituelle de l’agglomération, ont été labellisés pour l’occasion. Le tout avec un budget de 6 millions d’euros, contre 15 millions pour Villeurbanne. Au programme : théâtre, musique, arts de rue, découverte du patrimoine, gastronomie, expositions…

Un festival éphémère entièrement gratuit de musiques actuelles se tiendra le 27 juin à Audincourt. Olivier Grossetête, artiste plasticien, créera également une œuvre monumentale à base d’objets de récupération au théâtre antique gallo-romain de Mandeure, avec l’aide d’une centaine d’habitants.

 

 

Montbéliard était en course contre deux autres finalistes, les agglomérations d’Alès (Gard) et de Bourg-en-Bresse (Ain). La cité franc-comtoise bénéficie pour 2024 d’un financement à hauteur d’un million d’euros, apporté à parité par le ministère de la Culture et la Banque des Territoires (groupe Caisse des Dépôts). Le label « Capitale française de la Culture » distingue le projet culturel d’une commune ou d’un groupement de communes de 20 000 à 200 000 habitants, dans la lignée des Capitales européennes de la Culture.

 

Eva Chibane © Agence France-Presse

 
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El Maestro d’Aziz Chouaki (Editions Théatrales), avec Mouss Zouheyri, au Théâtre de Nesle.

El Maestro d’Aziz Chouaki (Editions Théatrales), avec Mouss Zouheyri, au Théâtre de Nesle. | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Louis Juzot dans le blog Hottello - 25 mars 2024

El Maestro, texte Aziz Chouaki (Editions Théatrales), regard extérieur Jacques Séchaud, musique Jean-Luc Girard, lumières Vincent Papot-Libéral. Avec Mouss Zouheyri.

 

Aziz Chouaki  a occupé une place à la fois particulière et essentielle dans le paysage théâtral de la fin des années quatre-vingt-dix jusqu’à sa mort en 2019. Né en  Kabylie, fils d’une institutrice, il est à la fois écrivain, poète et guitariste de rock dans l’Algérie indépendante. 

 

Après la parution de son premier roman Baya, il  oriente  parallèlement son œuvre vers le théâtre sur les conseils de Jean-Pierre Vincent. Elle s’enrichira au gré de multiples créations avec des metteurs en scène différents, jusqu’au compagnonnage avec Jean-Louis Martinelli. 

 

Menacé, Il quitte l’Algérie en 1991 en proie  à la montée de la violence islamique et à la répression sanglante du pouvoir.

« Les Oranges », publié aux éditions des Mille et une Nuits, réédité chez Théâtrales, joué pour la première fois en 1998 (mise en scène Laurent Vacher) devient un texte de référence. El Maestro est créé en 2001 dans une mise en scène de Nabil El Azan  Ce second texte fait l’objet d’une mise en scène  de l’auteur avec le comédien  Mouss Zouheyri, en 2015.

 

 

Mouss Zouheyri est plus que l’interprète d’El Maestro, il en est l’âme, mais une âme qui est celle aussi d’Aziz Chouaki. Les deux hommes ont un  parcours comparable,  même si Mouss est marocain, dans la mesure où tous deux se sont fait reconnaître  dans le théâtre en France  sans choisir la facilité, exigeants et respectés dans leur art, en apportant ce métissage des rythmes, du phrasé et des mots entre le français et leur langue d’origine.

Pour interpréter El Maestro, il faut toute la volubilité d’une langue bien pendue mais  aussi la capacité à faire naître les personnages et le cœur battant d’une ville  dans un flot continu de mots. Mouss Zouheyri est  face au spectateur comme un chef d’orchestre face à ses musiciens. La langue d’Aziz Chouaki  tient de Céline et de Rabelais mais le creuset est autant le français littéraire que le kabyle et l’arabe des rues d’Alger, sous une forme épique, tonitruante. Aziz Chouaki avait  bien intégré les leçons de Joyce qu’il admirait.

 

Les personnages sont savoureux et se confondent avec leurs instruments, le maestro les interpelle, l’un après l’autre : Ahmed au banjo, Hatem à la basse, Rezki à la batterie, Aziouez au violon, Malek au synthé, Khalfa au derbouka,  Dahmane à la guitare. Le chef essaie  tant bien que mal de mettre un peu d’ordre dans cet orchestre indiscipliné. L’un chique, un autre renifle, un autre mange et le guitariste est toujours occupé à faire autre chose, comme réparer sa voiture . 

 

 

Et puis les adresses aux musiciens sont l’occasion d’évoquer la vie de la cité, les étals, les parfums, le port et le mouvements des pêcheurs,  la tchatche, les histoires de familles… El Maestro ,ce n’est par un seul homme, c’est  la vie de toute une ville qui palpite jusqu’à l’histoire d’un pays qui fait intrusion sur scène.

Magnifique performance-hommage de Mouss Zouheyri à un auteur frère qui mélangea le rock, le jazz, la musique traditionnelle savante ou populaire dans une partition pleine de bruit et de fureur (on a droit aussi à Macbeth  dans le texte). Laissez-vous  emporter  dans ce torrent, vous ne regretterez pas l’expérience.

 

 

Louis Juzot

 

 

Le samedi 30 mars 20h, les vendredis 12 et 19 avril, samedi 20 avril  21h, les 14 et 21 avril 15h au Théâtre de Nesle 8 rue de Nesle 75005 Paris. Tel : 01 46 34 61 04.

 

Crédit photo : Soraya Rams.

 
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Art majeur, le théâtre-concert de Guillaume Barbot à la Comédie-Française

Art majeur, le théâtre-concert de Guillaume Barbot à la Comédie-Française | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Mélodie Barbot

Article de Marie Plantin dans Sceneweb - 27 mars 2024

 

 

 

Au Studio-Théâtre de la Comédie-Française, Guillaume Barbot fait chanter les acteur.ices et transpose le principe du concept album à la scène. En s’associant quatre auteur.ices à qui le metteur en scène a confié l’écriture de courts textes, il ausculte en un tourbillon rock la place des chansons dans nos vies et joue des échos textuels et musicaux avec un sens du tempo et une oreille aguerrie.

 

 

La chanson est-elle un art mineur comme l’affirme Gainsbourg jamais à court de provocation dans l’interview qui ouvre cet Art majeur en forme de provocation inversée ? Ou de réponse tardive en clin d’œil à l’intéressé. Avec ce spectacle album qui tourne comme un vinyle sur son axe autour de la chanson, Guillaume Barbot orchestre un hommage tendre et crépitant à ces mélodies qui tissent la bande son de nos vies, s’en font l’écho à la radio, gravent et ravivent des souvenirs pour toujours, désamorcent nos pudeurs sentimentales, récoltent nos colères adolescentes et nos révoltes, crient éperdument, éternellement, notre besoin d’amour. La voix de Gainsbourg, donc, reconnaissable entre toutes, en guise de préambule à ce qui va suivre. Puis les accords de guitare de Blizzard, un des plus beaux titres de FAUVE #, collectif d’artistes français contemporain, ancrent ici et maintenant les références qui vont infiltrer ce spectacle musical trempé dans la variété francophone des XXème et XXIème siècle. Sur le petit plateau du Studio-Théâtre de la Comédie-Française transformé pour l’occasion en cocon de bois insonorisé, studio d’enregistrement en sous-sol, caisse de résonance mentale de notre imaginaire musical collectif, ils sont cinq à battre la mesure de ce concert augmenté qui met dans la lumière chaque individualité tout en construisant un véritable groupe, éphémère et solidaire. Car à les voir ainsi vibrer à l’unisson, s’écouter les uns les autres avec une attention non feinte, se soutenir réciproquement par la convergence de leurs regards, s’accompagner mutuellement en variant les instruments, leur ensemble en dit long sur l’art du théâtre autant que sur la chanson.

Pour explorer cette forme artistique miniature, bâtie sur un texte, comme un roman qu’on aurait fait entrer par le trou d’une serrure dans un mouchoir de poche, comme une pièce de théâtre en un acte aussi bref que le temps d’une pause clope, Guillaume Barbot s’est entouré à raison de complices aux petits oignons. Fidèle parmi les fidèles, Pierre-Marie Braye-Weppe signe pour l’occasion les nouveaux arrangements des chansons, quelques compositions originales, et la direction musicale globale tandis que deux auteurs et deux autrices ont écrit à la commande pour chacun.e des interprètes un texte sur le motif de la question suivante : une chanson peut-elle changer une vie ? Simon Johannin, Gilles Leroy, Emmanuelle Fournier-Lorentz et Pauline Delabroy-Allard se sont prêtés au jeu pleinement, leurs récits sont sensibles, prégnants, plein d’allant, et si l’on pouvait craindre un résultat disparate du fait du procédé éclaté, force est de constater que ce n’est pas le cas. Et c’est là qu’intervient le geste de mise en scène qui vient harmoniser texte et musique, fluidifier l’alternance et le fondu de l’un à l’autre, créer un chemin rebondissant et buissonnier entre ces récits qui sont comme des éclats de vie traversés de titres en forme de tremplins, de ponctuations, de pulsation. Art Majeur est un spectacle éponge où tout s’imprègne, et l’émotion de gonfler au fur et à mesure jusqu’à nous tirer les larmes quand déboule en bouquet final La Superbe de Benjamin Biolay qui clôt la représentation sur ses mots : « quelle aventure ».

 

 

La grande aventure de nos petites vies magnifiée en chansons, des mélodies indélébiles pour des sentiments trop grands, des paroles empruntées pour remplacer nos silences, des arrangements pour bercer nos insomnies, nos manques et nos peines, refléter les secrets ou le chagrin d’une mère, les sautes d’humeur d’une jeune fille qui se cherche, l’amour qui pointe son nez au détour d’un visage maquillé de musique. Au plateau, sans apparat, les comédien.nes se donnent corps et âme dans l’interprétation des chansons arrangées sur mesure tandis que chacun.e s’empare de son texte dans une porosité bouleversante. Il n’y a pas de personnage derrière lequel se cacher, pas de rôle pour faire écran et l’on redécouvre avec une jubilation qui n’a pas de nom ces deux générations en scène. La jeunesse représentée par Léa Lopez et Axel Auriant, tous les deux délicieux et multi talents, tandis que la maturité s’incarne avec Véronique Vella et Thierry Hancisse, au sommet de leur art. Rarement on aura vu Thierry Hancisse aussi charismatique et renversant. En cowboy solitaire de la chanson, voix caverneuse de crooner qui a du vécu à revendre, il est d’une densité à faire fondre les cœurs les plus récalcitrants. Ses duos avec Véronique Vella nous laissent sans voix. Front contre front, leurs cheveux s’emmêlant presque, c’est une autre histoire qui se raconte en sourdine, la complicité de deux artistes travaillant sous le même toit depuis si longtemps.

De Barbara à Juliette Armanet, de Jacques Brel à Christophe, de Françoise Hardy à David Bowie, d’Edith Piaf aux Rita Mitsouko, de Nino Ferrer à Téléphone, de Gérard Manset à Jacques Higelin, en passant par Camille, Trust, Indochine… on écume le paysage de la chanson dans ses longueurs et ses largeurs, avec un medley tout en rythme et souplesse. Il suffit parfois d’une intro, de quelques notes à peine pour reconnaître le titre qui pointe. Il suffit parfois d’une évocation, d’un extrait seulement et c’est un temps de suspension. Les paroles résonnent entre elles, on dirait qu’elles dansent. Les arrangements lorgnent définitivement du côté du rock, les interprétations s’emballent. Batterie, basse, clavier, guitares électriques se donnent la réplique. Le piano apporte sa touche intemporelle en noir et blanc tandis que le violon nous hisse sur les voiles de la mélancolie, Le Port d’Amsterdam prend des allures rock, Ziggy rencontre Piaf dans un mix qui passe crème, c’est une déferlante d’airs d’un répertoire populaire qui nous convie au même festin, qui nous rallie autour de cet Art Majeur qui impose son titre en douceur.

 

On y passe du rire aux larmes, on se fige d’émotion, on se trémousse sur nos sièges et l’on a 20 ans pour toujours quand on écoute Le Temps de l’amour dans une version rock qui électrise toutes les générations. « Une chanson c’est si bête et pourtant… ». C’est dans ce « et pourtant » que s’infiltre tout l’art de Guillaume Barbot qui parvient avec subtilité à faire avancer main dans la main théâtre et musique, à extraire le potentiel scénique de sa thématique, à créer un spectacle tout entier à l’image multiple et diffractée de ces chansons qui tapissent nos vies sans céder au récit unique. Et rendre un hommage à hauteur du poste de radio à ces airs entêtants que l’on connaît par cœur. Un enchantement.

Marie Plantin – www.sceneweb.fr

Art Majeur
de Pauline Delabroy-Allard, Emmanuelle Fournier-Lorentz, Simon Johannin, Gilles Leroy
mise en scène Guillaume Barbot
musiques originales et direction musicale
Pierre-Marie Braye-Weppe


avec la troupe de la Comédie-Française : Thierry Hancisse, Véronique Vella, Léa Lopez
et Axel Auriant, Pierre-Marie Braye-Weppe

Durée : 1h20

Du 21 mars au 5 mai 2024
Studio-Théâtre de la Comédie-Française

 

Photo Vincent Pontet

 

https://www.comedie-francaise.fr/fr/evenements/art-majeur23-24#

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 TROIS FOIS ULYSSE - Rencontre avec Laëtitia Guédon

Vidéo proposée par la Comédie-Française - publiée sur sa chaîne Youtube le 20 mars 2024

 

 

[TROIS FOIS ULYSSE]Rencontre avec Laëtitia Guédon pour une discussion autour du prochain spectacle au Théâtre du Vieux-Colombier : « Trois fois Ulysse » de Claudine Galéa

 

 ➡ Avec Éric Génovèse, Clotilde de Bayser, Séphora Pondi, Marie Oppert, Sefa Yeboah, Baptiste Chabauty et le chœur Unikanti Farès Babour, Simon Bièche, Manon Chauvin, Antonin Darchen, Adélaïde Mansart, Johanna Monty, Eva Pion, Guilhem Souyri

 

📆 3 AVR - 8 MAI 24 📍 Théâtre du Vieux-Colombier

 

https://www.comedie-francaise.fr/fr/evenements/trois-fois-ulysse23-24

 

 

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Julie Sicard, la sorcière bien-aimée de la Comédie-Française

Julie Sicard, la sorcière bien-aimée de la Comédie-Française | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Darge dans Le Monde - 25 mars 2024

 

 

La comédienne, qui a imposé son jeu expressionniste au Français, va jouer Lady Macbeth sous la direction de Silvia Costa, à partir du 26 mars.


Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/03/25/julie-sicard-la-sorciere-bien-aimee-de-la-comedie-francaise_6224139_3246.html

 

Sa loge de la Comédie-Française ressemble à une roulotte de Gitane, avec ses coussins à fleurs, son vélo doré casé dans un coin et son joyeux foutoir. Quand on croise Julie Sicard, elle est le plus souvent en salopette, sabots rouge pétant ou vert pomme aux pieds. Difficile d’être plus éloignée qu’elle des clichés que l’on attache encore aux comédiennes de la vénérable maison – lesquels clichés ont vécu depuis belle lurette, par ailleurs.

Julie Sicard est la plus libre, la plus singulière des grandes actrices du Français, mais pas la plus connue. En cette saison 2023-2024, elle est pourtant à l’affiche de pas moins de six spectacles, et s’apprête à se glisser dans la peau de Lady Macbeth, sous la direction de la metteuse en scène Silvia Costa.

 

A 48 ans, elle a – presque – tout joué, dans cette maison où elle est entrée très jeune, à 21 ans : les classiques et les contemporains, le drame et la comédie – les deux ensemble, bien souvent. Elle a été Angèle dans Le Système Ribadier, de Feydeau, Suzanne dans Juste la fin du monde, de Jean-Luc Lagarce, Ilse dans L’Eveil du printemps, de Frank Wedekind. Elle a fait le lapin, le chien et le souriceau dans les Fables de La Fontaine vues par Bob Wilson, et dans Le Malade imaginaire, qu’elle joue depuis vingt-quatre ans, elle est passée d’Angélique à Toinette.

Dynamiter les codes

C’est d’ailleurs la réputation qu’elle a dans la maison : « Julie peut tout jouer », répètent à l’envi ses camarades, comme le confirme l’administrateur lui-même, Eric Ruf. Est-ce parce qu’elle a le théâtre dans les pattes, dans le sang et dans le cœur depuis toujours, ou presque ? Avec la compagnie Les Agités, qu’elle a intégrée à l’âge de 13 ans, à Poitiers, elle est partie sur les routes dès l’adolescence, d’Avignon à l’Union soviétique d’alors. Cette saison, elle incarne aussi le Sganarelle du Mariage forcé, de Molière, dans la version ravageuse de Louis Arène, qui est toujours en tournée. Julie Sicard semblerait donc être l’une des premières à avoir fait exploser ces fameux « emplois » qui empoissent encore le théâtre français, et assignent les comédiens et comédiennes à des rôles typés en raison de leur physique.

Ce n’est pas si simple, évidemment. « Au Conservatoire, où je suis entrée à 19 ans, j’ai eu comme professeur le grand metteur en scène Jacques Lassalle, qui a été très important pour moi, raconte-t-elle. Avec lui, la direction d’acteur, c’était de la dentelle. Lassalle faisait travailler à toutes les jeunes filles la Phèdre de Racine. Mais, à la fin de l’année, il m’a informée que ce n’était pas la peine que je présente ce rôle, car ce n’était pas mon emploi. » Julie Sicard ne s’est pas démontée, et lui a rétorqué que, un jour, elle jouerait Phèdre à la Comédie-Française.

 

A ce jour, elle n’a toujours pas incarné l’héroïne de Racine, mais elle a commencé à dynamiter les codes dès son arrivée à la Comédie-Française, en 1997, notamment grâce à la comédienne Catherine Hiegel, sa « maman » de théâtre, l’une des premières à avoir porté une réflexion forte sur ces sujets. Ou plutôt sur ces clichés, qui veulent que les tragédiennes ne puissent être que des longues dames au visage marmoréen, les autres étant destinées aux rôles de soubrettes. Comme si la démesure des passions et des instincts se mesurait à l’aune de la taille strictement physique que la nature vous a donnée.

 

Face à ces lieux communs, Julie Sicard a pris la tangente et tracé une ligne singulière, apportant une modernité dans le jeu et dans le rapport au théâtre qui n’était pas si fréquente au Français. Elle a fait des personnages féminins qu’elle jouait des figures libres et fortes, à l’image d’Angélique et de Toinette dans Le Malade imaginaire. Et suivi la piste d’un jeu parfois tranchant, acide, expressionniste, plein d’énergie et, dans tous les cas, peu psychologique, donc peu dans la tradition de la maison, dessinant l’image de ses personnages avec un trait graphique et précis.

« Je ne m’en rends pas trop compte, assure-t-elle. Mais il est vrai que je n’ai pas peur du laid, des bobos et du ridicule, ni de me faire mal. Quand j’étais plus jeune, je pouvais trouver mon parcours dans cette maison un peu bancal. J’ai été beaucoup dédiée aux écritures contemporaines [Jacques Rebotier, Bernard-Marie Koltès, La Règle du jeu d’après Renoir, Fanny et Alexandre d’après Bergman…], pas forcément aux grands classiques. J’ai pu avoir l’impression d’être toujours dans les projets un peu casse-gueule. Mais je sais maintenant que c’est là où je devais être. Je ne veux pas que ce soit facile, et je n’ai pas peur d’être abîmée : je suis suffisamment inscrite dans la vraie vie pour savoir que je ne deviendrai pas folle, alors je peux y aller. »

Modernité théâtrale

Julie Sicard a été de toutes les aventures audacieuses du Français, des Fables vues par Bob Wilson à ce Silence que vient d’orchestrer Lorraine de Sagazan, et qui porte bien son nom puisque le spectacle se déroule sans aucune parole.

La comédienne appartient à la modernité théâtrale, notamment, par sa capacité à être au présent à chaque instant sur un plateau – une faculté que les acteurs recherchent inlassablement, sans toujours y parvenir. « Tout est à faire à chaque représentation, il ne s’agit pas de re-faire : il faut plonger à chaque fois dans l’ici et maintenant, comme dans la vie, note-t-elle. Cela, je pense que je l’ai acquis grâce aux collectifs flamands tg Stan, De Koe et Discordia, qui sont venus créer un spectacle avec nous en 2010, Paroles, pas de rôles/Vaudeville. Il y a un avant et un après, pour moi. Ces acteurs-metteurs en scène ont un rapport au théâtre qui n’est que dans le présent, dans le partage et l’interaction avec le public. Cette manière de désacraliser le théâtre est une expérience libératrice, qui le décrasse de beaucoup de scories. »

Modernité, aussi, d’une approche qui ne consiste pas tant à travailler des rôles qu’à « entrer dans le rêve d’un créateur. Se mettre au service d’un univers, comprendre le langage d’un metteur en scène, c’est ce qui permet de s’oublier, de ne pas plaquer une idée préconçue sur un rôle. Et c’est sans doute ce qui évite de trop psychologiser les personnages. Le plaisir, pour moi, vient de savoir à quelle forme j’appartiens, à quel tableau je participe ».

Aujourd’hui, elle est Lady Macbeth, la maléfique, sous la direction de Silvia Costa, qui fut l’assistante de Romeo Castellucci. Un choix qui pourrait paraître à contre-emploi, selon les critères classiques. Mais la vision forte de la jeune metteuse en scène italienne appelait justement une actrice qui ne soit pas dans le cliché du personnage. Et c’est le projet d’ensemble, là encore, qui a séduit Julie Sicard, plus que le rôle stricto sensu.

« Tout, dans l’optique de Silvia Costa, tourne autour du couple que forment Macbeth [incarné par Noam Morgensztern] et sa femme, détaille-t-elle. Elle voit ce couple comme un corps à deux têtes, et cherchait donc à former un duo qui puisse raconter la fusion et la gémellité. Dans une perspective psychanalytique, Macbeth devient une pièce sur le désir et sur le manque, et l’adaptation rebascule une bonne partie du texte de Macbeth dans la bouche de Lady : ce qui manque chez lui, elle le lui apporte, et vice versa. Ils se complètent. »

 

Le recadrage opéré par la metteuse en scène consiste à rapprocher Lady Macbeth des trois sorcières de la pièce, dont elle serait une sorte de sœur. « C’est comme si elle convoquait ces créatures magiques pour l’aider à investir le cerveau et la personnalité de Macbeth, observe Julie Sicard. Pour agir sur lui. En un drôle de passage lacanien, il y a de la magie pour voir ce qui “m’agit”, quand, comme Macbeth et sa Lady, on n’enfante que le meurtre, dans une forme de stérilité qui engendre le mal plutôt que la vie. »

Le métier « comme un artisanat »

Comment se rapprocher d’un personnage pareil ? Peut-on, faut-il la comprendre, ou être touchée par elle, pour pouvoir la jouer ? « Elle me fascine plus qu’elle me touche, répond Julie Sicard. Elle me fait penser à l’héroïne de Saint Omer [2022], le film d’Alice Diop : quelqu’un qui est agi par des forces obscures, souterraines, que personne ne peut comprendre. C’est pour cela qu’elle est du côté des sorcières, des spectres, des fantômes : elle touche au surnaturel parce qu’elle est habitée par quelque chose qui l’emmène au-delà de l’humain. Un peu comme Médée, également. C’est pourquoi je n’ai ni envie de la prendre dans mes bras, ni l’intention qu’on la comprenne. Elle doit rester une énigme, pour que les spectateurs puissent actionner leurs propres fantasmes, leurs propres projections. »

 

Pétillante et pêchue dans la vie, Julie Sicard ne craint pas les éclaboussures du mal, souvent suspectées avec Macbeth. Elle n’est pas de ces comédiens et comédiennes qui laissent s’installer une porosité entre les rôles et leur existence, elle qui vit son métier « comme un artisanat ». Outre Catherine Hiegel, dont elle est la digne héritière, elle admire l’immense comédienne britannique Fiona Shaw, qui a notamment incarné le Richard II de Shakespeare sous la direction de Deborah Warner. On sent bien que l’idée la séduit de se glisser dans la peau d’un des grands héros shakespeariens, sans considération de genre. Sans compter qu’elle n’a toujours pas joué Phèdre.

« Macbeth », mise en scène de Silvia Costa. Comédie-Française, salle Richelieu, Paris 1er. Du 26 mars au 20 juillet. Comedie-francaise.fr

 

 

Fabienne Darge / Le Monde 

Julie Sicard, sur les toits de la Comédie-Française, à Paris, le 20 mars 2024. AUDOIN DESFORGES/PASCO POUR « LE MONDE »
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Appel de 3 570 artistes et créateurs : « Quand une société perd les moyens de se comprendre et de s’imaginer avec vitalité, c’est la démocratie qui s’effondre »

Appel de 3 570 artistes et créateurs : « Quand une société perd les moyens de se comprendre et de s’imaginer avec vitalité, c’est la démocratie qui s’effondre » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Tribune publiée dans Le Monde le 22 mars 2024

 

 

Un collectif de dramaturges, comédiens, metteurs en scène, parmi lesquels Maguy Marin, Stanislas Nordey, Judith Chemla, alerte dans une tribune au « Monde » sur les coupes budgétaires annoncées par Bruno Le Maire, ministre de l’économie, qui touchent la culture. Et plus particulièrement la création, au risque de voir disparaître de nombreux établissements culturels et, avec eux, ceux qui les font vivre.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/03/22/appel-de-3-570-artistes-et-createurs-quand-une-societe-perd-les-moyens-de-se-comprendre-et-de-s-imaginer-avec-vitalite-c-est-la-democratie-qui-s-effondre_6223409_3232.html

 

Nous artistes, créateurs, créatrices, interprètes, auteurs, autrices du spectacle vivant avons appris le vaste plan d’économie du ministère de l’économie et des finances qui attaque gravement différents secteurs de notre société. Ces secteurs représentent pourtant des piliers de notre démocratie, sa capacité à l’intelligence collective pour imaginer un futur vivable et digne, l’importance et la qualité de ses services publics, sa culture.

C’est cela qui fait l’identité de la démocratie française, le rayonnement de son modèle unique envié partout dans le monde. Cette démocratie que nous avons construite avec la démocratie culturelle à travers les temps les plus sombres, et à laquelle nous tenons comme à notre corps public, a un cœur : la création. Elle a des vaisseaux : le lien, la transmission, le partage. Nous savons d’expérience que ce sont des remparts fondamentaux contre ce qu’il faut bien appeler le « fascisme » – qui progresse quand l’absence d’horizon s’installe, quand la pensée recule, quand l’imaginaire se referme.

 

La culture vient d’être attaquée violemment comme les autres services publics avec 200 millions d’euros d’économie. Mais elle a été attaquée en son cœur même : c’est la création artistique qui se voit amputée à elle seule de 100 millions d’euros.

 

 

 

Ce chiffre n’est à comparer à rien : il a une réalité claire et nette. Cela signifie la disparition rapide pure et simple de la plupart des créateurs, des créatrices, des interprètes qui participent à nos spectacles, des auteurs, autrices.

Il y a aujourd’hui une urgence

Hormis les aides exceptionnelles de la crise du Covid-19 qui nous ont permis de survivre face à une cessation totale d’activité, nous sommes réduits à la marge d’ajustement des budgets culturels depuis plusieurs années. Cette marge est aujourd’hui un étau, une cisaille qui est en train de nous priver de nos moyens de créer et de présenter nos spectacles. La baisse d’activité est colossale pour tous, en chute libre pour beaucoup. Pourtant, aujourd’hui, nous sommes vivants, et nous ne voulons pas être forcés à l’abandon de nos professions, de nos ouvrages, et à la désertion des lieux de culture alors privés de sens.

 

Nous faisons aujourd’hui résonner l’alarme, car notre silence face au péril entraînerait aussi la mort programmée de tous les établissements de culture. La portée politique et sociétale est grave. Il y a aujourd’hui une urgence. Avec les annonces, ce n’est pas dans dix ans que la majorité des compagnies du spectacle vivant va disparaître, c’est demain.

 

Dès cette année 2024, une grande partie des compagnies, même les plus importantes, ont vidé leurs réserves et engagé des dettes pour assurer leur création, face à l’érosion massive de la part qui leur est allouée par les théâtres. La plupart n’auront presque pas de diffusion la saison prochaine. Avec ce couperet, beaucoup n’existeront plus d’ici à trois ans, emportant dans leur chute une quantité considérable d’interprètes et d’auteurs, d’autrices.

Les établissements culturels continuent de fonctionner aujourd’hui en amputant parfois leur saison, mais à quel prix ? Celui d’un dumping des spectacles, faible coût, peu d’interprètes. Ces coûts peuvent aujourd’hui être si réduits que beaucoup de compagnies qui absorbaient la crise depuis des années ne peuvent simplement plus payer décemment le travail des interprètes, masquant le travail réel et proposant donc des salaires qui passent en dessous du smic.

Refuser les logiques libérales dévastatrices et la marchandisation

Lors des tournées qui se réduisent là encore drastiquement, il faudrait encore trancher, et compenser de sa poche. Un paradoxe inacceptable et totalement inédit dans le monde du travail s’installe : il faudrait payer pour travailler. Ce phénomène touche aujourd’hui l’ensemble des compagnies indépendantes de théâtre, de danse, de cirque, de marionnettes quelles que soient les forces qui leur restent actuellement.

 

Enfin, les pressions politiques et financières qui pèsent sur les établissements culturels deviennent telles que, dans beaucoup de lieux, les contenus des spectacles sont contraints à être de plus en plus contrôlés, standardisés, de plus en plus éloignés de la création, de la nouveauté et du trouble que provoque l’art qui défriche des impensés, des non-dits, des inédits pour aider l’humain à se connaître, aider une société à se regarder.

Quand la pensée et l’imaginaire ne progressent pas, c’est la vie publique qui recule. Quand une société perd les moyens de se comprendre et de s’imaginer avec vitalité, c’est bel et bien la démocratie qui s’effondre.

 

 

 

 

Face à ces responsabilités, nous sonnons cette alarme pour notre profession, mais aussi pour l’ensemble de notre société. Ce pourquoi, loin de céder à la fragilité que nous impose la logique de survie, nous unissons aujourd’hui clairement nos voix.

Nous sommes vivants et vivantes, et nous refusons la progression de l’obscurantisme, nous refusons la misère qui s’installe, nous refusons les logiques libérales dévastatrices et la marchandisation qui cassent la plupart de nos concitoyens, concitoyennes et nous touchent ici au cœur. Nous exigeons des choix au service de notre vitalité.

 

 

 

Premiers signataires : Samuel Achache, metteur en scène, théâtre musical ; Laure Calamy, comédienne ; François Chaignaud, chorégraphe, interprète, danse ; Rebecca Chaillon, metteuse en scène, autrice, performeuse, transdisciplinaire ; Judith Chemla, actrice, chanteuse ; Philippe Decouflé, chorégraphe ; Lorraine de Sagazan, metteuse en scène, théâtre ; Tamara El Saadi, autrice, metteuse en scène, théâtre ; Julien Gosselin, metteur en scène ; Bérangère Jannelle, autrice, cinéaste et metteuse en scène, théâtre ; Alice Laloy, autrice, metteuse en scène, transdisciplinaire ; Maguy Marin, artiste créatrice danse ; Stanisla Nordey, Metteur en scène et acteur ; Phia Menard, artiste créatrice, interprète, transdisciplinaire ; Chloé Moglia, artiste suspensive, transdisciplinaire ; Antoine Rigot, artiste créateur interprète, cirque.

 

 

Liste complète des signataires

 

 

Collectif

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« Le milieu du spectacle vivant vit dans la crainte des conséquences des coupes budgétaires »

CHRONIQUE

Guillaume Fraissard

Le « mieux produire pour mieux diffuser » est au cœur de la réflexion avec son corollaire : à qui couper les aides ?, interroge, dans sa chronique, Guillaume Fraissard, chef du service Culture au « Monde ».

Publié le 22 mars 2024

 

Lire l'article sur le site du "Monde" 
https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/03/22/le-milieu-du-spectacle-vivant-vit-dans-la-crainte-des-consequences-des-coupes-budgetaires_6223514_3232.html

Avec l’arrivée du printemps s’annonce déjà le temps des prochaines saisons pour les salles de spectacle, les théâtres, les manifestations estivales ou les opéras. L’occasion de dévoiler les temps forts de leurs futures programmations et d’aiguiser la curiosité du public au moment où sont lancées les campagnes d’abonnement. Opéra de Paris, Théâtre des Champs-Elysées, Festival d’Avignon… toutes les institutions se plient au rituel offrant au passage un état des lieux de la création en France et, en creux, un bilan de santé de leur fonctionnement.

 

 

 

Côté bonnes nouvelles, le retour du public, constaté à peu près partout, conjugué, pour certains lieux, à celui des bénéfices comme à l’Opéra de Paris, qui, pour la première fois depuis 2017, affiche un résultat positif de 2,3 millions d’euros. Côté mauvaises, le milieu du spectacle vivant vit désormais dans la crainte des conséquences des coupes budgétaires annoncées par le ministre de l’économie Bruno Le Maire le 18 février dans le cadre d’un vaste plan d’économies de 10 milliards d’euros de crédits ministériels.

 

Pour la culture, ce sont 204 millions d’euros qui vont manquer à l’appel. Un effort qui portera en grande partie sur la création. Le Pass culture, lui, pourtant gourmand en subsides d’Etat (251 millions d’euros de budget en 2024), passe ainsi entre les gouttes, ce qui au passage ne manque pas d’agacer au regard de son efficacité contestée. Cette somme, la ministre de la culture, Rachida Dati, s’engage à la compenser pour plus des « deux tiers » en puisant dans les réserves de précaution de son ministère. Et de répéter, notamment devant les membres de la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale, qu’il n’y aura « pas un euro de moins pour le spectacle vivant ».

« Dumping des spectacles »

Ce volontarisme ne semble pas de nature à calmer les inquiétudes. Dans une tribune publiée dans Le Monde, plus de 3 500 professionnels, directeurs de scène, de compagnies, artistes, metteurs en scène, estiment que ces coupes aboutiront dans un délai de trois ans à un « dumping des spectacles » et « signifi[ent] la disparition rapide, pure et simple de la plupart des créateurs, des créatrices, des interprètes (…), des auteurs, autrices ».

 

 

 
 

En janvier, Stéphane Braunschweig a été l’un des premiers à sonner l’alerte dans nos colonnes. Le directeur du Théâtre de l’Odéon ne briguera pas de troisième mandat à la tête de cette grande scène nationale, faute de marge artistique suffisante pour mener à bien son projet. « A zéro, je ne sais plus comment faire », dit-il. Il n’est pas le seul. Hortense Archambault, directrice de la Maison de la culture de Seine-Saint-Denis, à Bobigny, résume bien la situation actuelle (Le Monde daté du 22 mars). « Tous les lieux, aujourd’hui, sont au bout d’un processus, mené depuis plusieurs années, pour rationaliser leur gestion et leur fonctionnement. Nous sommes pris en étau entre un besoin d’activité, un désir social très fort, et des moyens limités. » Que deux dirigeants de lieux aussi essentiels à l’écosystème culturel français portent une même parole montre que le constat va bien au-delà du jeu classique des revendications sectorielles pour toujours plus de subventions.

 

Après les aides massives qui ont permis au secteur de sortir sans trop de casse de la crise liée au Covid-19 et des longs mois de fermeture des salles, la fin généralisée du « quoi qu’il en coûte » annonce des temps plus incertains. Avec des conséquences, pas toutes négatives, déjà perceptibles. Une ou deux productions de moins par-ci (comme à l’Opéra du Rhin) ; une rentrée décalée de quelques jours par-là. Ou encore la multiplication des « petites formes », ces spectacles avec un ou deux comédiens sur scène, et, effet inverse, une plus grande difficulté à monter et faire tourner des pièces avec un plateau bien garni. Mais aussi, et cela va dans le sens du « mieux produire pour mieux diffuser » prôné Rue de Valois, plus de reprises et des efforts pour allonger le nombre de dates par spectacle. Pas encore de quoi véritablement parler de « dumping » ni de moins-value artistique mais une tendance s’esquisse.

Appétit pour la création

Le cœur du problème est sans doute ailleurs. Dans ce manque de vision à long terme des politiques culturelles – ce n’est ni nouveau ni une exclusivité de la culture – et dans une somme d’injonctions contradictoires que dénoncent artistes et dirigeants de lieu. Exemple parmi d’autres ? Entre 2018 et 2022, le nombre de compagnies ou d’équipes aidées par le ministère de la culture dans les domaines de la musique, de la danse et du théâtre n’a cessé de croître. Un bond de 23 %, selon les chiffres de la direction générale de la création artistique, encouragé par la croissance du nombre des festivals, d’une événementialisation de la culture et d’un appétit pour la création sur tout le territoire.

 

Pour enrayer un mouvement, hérité de la décentralisation mais aujourd’hui à bout de souffle, la stricte doxa économique serait donc de fermer le robinet. Sauf que les deux priorités de la ministre sont la ruralité et l’accès à la culture pour tous. Alors où couper et avec quel message derrière, la valse des ministres ayant eu tendance à reléguer au second plan les considérations artistiques au profit de choses plus techniques et structurelles ? Chez les grandes institutions, celles qui ont pour l’instant les capacités de financer, de coproduire des spectacles qui ensuite partent en tournée et irriguent tout un réseau de salles ? Ou bien chez les petites compagnies dont le fourmillement, gage de vitalité culturelle, est d’ores et déjà menacé ?

 

 

 
 

L’exercice d’équilibriste s’annonce périlleux et méritera un débat autre que purement comptable. D’autant que le prochain coup de rabot sur les finances publiques qui se profile mettra un peu plus la pression sur des collectivités locales… fortement impliquées dans le soutien aux scènes et aux artistes. Avec le printemps s’annonce aussi une saison chaude pour la culture.

 

Guillaume Fraissard / LE MONDE

 

Lire l’enquête | Article réservé à nos abonnés Le spectacle vivant subventionné en panne de temps long
 

 

 

 
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« 1 200 Tours », au Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis, une rappeuse face aux dérives du pouvoir politique, de la justice et du journalisme d’opinion

« 1 200 Tours », au Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis, une rappeuse face aux dérives du pouvoir politique, de la justice et du journalisme d’opinion | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 20 mars 2024

 

 

Au Théâtre de l’Union à Limoges qu’elle dirige, Aurélie Van Den Daele a mis en scène une fresque ambitieuse de Sidney Ali Mehelleb, présentée actuellement au TGP de Saint-Denis.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/03/20/1-200-tours-au-theatre-gerard-philipe-de-saint-denis-une-rappeuse-face-aux-derives-du-pouvoir-politique-de-la-justice-et-du-journalisme-d-opinion_6223005_3246.html

 

 

Pour sa première grande création au Théâtre de l’Union à Limoges dont elle a pris la direction en 2021, Aurélie Van Den Daele n’y est pas allée de main morte : 1 200 Tours est une fresque ambitieuse d’une durée de trois heures quinze qui convoque une troupe de douze comédiens, conjugue théâtre et cinéma avec la diffusion, sur grand écran, de vidéos filmées en direct, se revendique du rap, en appelle à la danse ou au graffiti et développe un propos critique sur les dérives du pouvoir politique, la faillite de la justice ou l’absence d’éthique des journalistes d’opinion.

 

La metteuse en scène porte au plateau une saga signée par un comédien de son équipe : Sidney Ali Mehelleb. L’auteur livre le premier volet d’un triptyque en gestation, dont le sous-titre, Fable militante, naïve et pleine d’espoir, est démenti par le sort subi par l’héroïne de l’histoire.

 

X, une rappeuse noire, est emprisonnée à la suite d’un concert donné le 14 juillet. Les autorités lui reprochent d’avoir provoqué une émeute. Tandis qu’elle se morfond au fond de son cachot où lui rend visite une avocate aussi compatissante qu’impuissante, la vie se poursuit à l’extérieur : les journalistes du magazine La Franchise s’activent pour trouver des « unes » racoleuses.

Quatre espaces de jeu

Une députée se démène à l’Assemblée sous les quolibets racistes de collègues qu’elle cherche, en vain, à convaincre de faire en sorte de faire libérer la rappeuse. Une kiosquière surnommée Mère Courage disserte sur les « trouducs » qui peuplent le monde devant une adolescente rêvant de trous noirs intergalactiques. Le théâtre se déploie en long, en large et en travers sur la scène aménagée en quatre espaces de jeu : dans une cage de verre, la salle de rédaction ; l’appartement de la députée et son tapis de course ; le kiosque de Mère Courage ; et enfin, suspendu dans les airs, l’écran qui surexpose la cellule sinistre où X passe le temps comme elle peut.

Enfermée dans la vidéo comme elle l’est dans sa geôle, la rappeuse n’a qu’une porte de sortie : la poésie. Et quelle poésie ! Alors que Sidney Ali Mehelleb gâche ses facilités d’écriture en délayant certaines de ses scènes, il ne rate pas la partition de la prisonnière. Son verbe est haut, son rythme superbe, son leitmotiv obsédant : « Nous ne sommes rien. » Un rien qui vaut de l’or grâce à la comédienne Benicia Makengele. Elle ravage les cœurs dans un rôle quasi hugolien qui la voit basculer de la splendeur à la détresse.

 
Figure de l’innocence et de l’utopie, elle offre à la bassesse humaine le contrepoint d’une dignité exemplaire. Magnifique héroïne qui hisse la représentation vers des sommets de subtilité quand ce qui se trame sur le plateau (journalistes sans morale et politiques sans droiture) relève d’une déprimante trivialité. La superposition géographique de X (à l’écran) et du reste du monde (sur la scène), donc de l’imaginaire et du prosaïque, est l’idée phare et inspirée de 1 200 Tours.
 

Souvent passionnant mais inégalement joué (les acteurs hommes manquent de jus et les séquences entre journalistes sont brouillonnes), ce spectacle fleuve doit trouver son tempo. Ni trop rapide ni trop lent, « pas en retard sur la vie », aurait pu spécifier René Char dont le sublime poème Commune présence devient pour X et son comité de soutien un manifeste poétique. « Hâte-toi de transmettre ta part de merveilleux de rébellion de bienfaisance », écrivait-il. Une feuille de route qui est, c’est certain, le mantra d’Aurélie Van Den Daele.

 

Joëlle Gayot / LE MONDE 

 

 

1 200 Tours. Mise en scène : Aurélie Van Den Daele. Avec Adélaïde Bigot, Grégory Corre, Maly Diallo, Hiba El Aflahi, Grégory Fernandes, Coline Kuentz, Julie Le Lagadec, Benicia Makengele, Sidney Ali Mehelleb, Adil Mekki, Fatima Soualhia Manet et Nima. Théâtre Gérard-Philipe. Jusqu’au 29 mars.

 

 

 

Légende photo : Répétition du spectacle « 1200 Tours », mise en scène par Aurélie Van Den Daele, en mars 2024. THIERRY LAPORTE

 

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Hortense Archambault, directrice de la MC93 : « Le secteur du spectacle vivant est pris dans un étau »

Hortense Archambault, directrice de la MC93 : « Le secteur du spectacle vivant est pris dans un étau » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Fabienne Darge dans Le Monde - 20 mars 2024

 

 

Dans un entretien au « Monde », la directrice de la Maison de la culture de Seine-Saint-Denis, à Bobigny, expose les menaces qui pèsent sur son milieu et ses missions, à la suite de l’annonce de l’amputation du budget du ministère la culture.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/03/20/hortense-archambault-directrice-de-la-mc93-le-secteur-du-spectacle-vivant-est-pris-dans-un-etau_6223129_3246.html

Après avoir codirigé le Festival d’Avignon, avec Vincent Baudriller, de 2004 à 2013, Hortense Archambault, 53 ans, est à la tête de la Maison de la culture de Seine-Saint-Denis (MC93), à Bobigny, depuis 2015. Présidente de l’Association des scènes nationales de 2020 à 2023, elle revient sur les menaces qui pèsent sur le secteur de la création dans le spectacle vivant, à la suite de l’annonce, fin février, du coup de rabot de plus de 200 millions d’euros sur le budget du ministère de la culture – annonce tempérée, quelques jours plus tard, par celle que 70 % de l’effort demandé seraient pris sur les crédits mis en réserve, sans que les arbitrages aient, à ce jour, été rendus.

L’annonce gouvernementale, fin février, des coupes budgétaires à la culture a semblé faire déborder un vase déjà bien plein. Quel est l’historique de cette fragilité du secteur du spectacle vivant ?

Comme l’ensemble des services publics, ceux de l’art et de la culture font face, depuis une dizaine d’années, à une situation de moyens stagnants, qui n’augmentent pas du tout au même niveau que l’inflation. Devoir réussir la quadrature du cercle était déjà notre lot. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que l’on ne peut pas gagner beaucoup d’argent avec nos recettes propres (billetterie ou mécénat). Si l’on augmente le prix des billets, on faillit à notre mission de service public, qui est de rendre le théâtre accessible à tout le monde. Et le spectacle attire peu le mécénat, qui se développe davantage dans les arts visuels ou la musique, domaines plus facilement envisagés comme permettant la communication de personnalités. On se retrouve face à un hiatus de plus en plus criant.

Que voulez-vous dire ?

Parallèlement à cette érosion des moyens, on constate un développement incroyable sur tout le territoire du nombre de compagnies et de lieux, du désir de culture et de spectacles. Il y a soixante-dix-huit scènes nationales en France, et les élus en demandent toujours plus. Mais, concrètement, les moyens n’ont pas du tout été à la hauteur de ce développement. Tous les lieux, aujourd’hui, sont au bout d’un processus, mené depuis plusieurs années, pour rationaliser leur gestion et leur fonctionnement. Nous sommes pris en étau entre un besoin d’activité, un désir social très fort, et des moyens limités. Les collectivités territoriales, qui à une époque ont beaucoup subventionné la culture, ont elles aussi des problèmes, et ont gelé voire diminué leurs financements. Ici, à Bobigny, nous avons le même financement qu’il y a neuf ans, quand je suis arrivée, ce qui est déjà un effort notable. Mais ce qui implique une érosion mécanique, puisqu’il n’y a pas d’indexation des subventions publiques sur l’inflation, comme c’est le cas en Belgique, par exemple.

Pourquoi est-il si difficile de rationaliser les coûts dans ce secteur ?

La difficulté, c’est qu’on est dans une économie de prototypes. C’est aussi la beauté de ce qu’on fait : chaque nouvelle aventure est spécifique, unique. La tentation à l’œuvre, ce serait de normer le travail de création, tant dans la durée que dans le nombre d’acteurs, les décors, etc., et de nous pousser vers un travail en série, en totale contradiction avec l’art qui est le nôtre. Evidemment, on pourrait ne faire que des solos d’une heure faciles à produire, mais cela n’aurait pas grand intérêt. Les gains de productivité sont extrêmement limités dans nos métiers en raison de ce travail de recherche, de tâtonnement, qui essaie de réinterroger les formes, et de faire en sorte que notre art soit réellement vivant, en phase avec la société.

Quel rôle la crise due au Covid-19 a-t-elle joué dans ce tableau ?

Le Covid a été une sorte de parenthèse, avec des effets divers. J’ai été très angoissée par cette période, et j’ai vécu comme une violence la fermeture de nos lieux et la désignation de la culture comme non essentielle. Mais, de ce fait, nous nous sommes fortement mobilisés, ici, à Bobigny, comme ailleurs, pour continuer à remplir nos missions de service public, avec beaucoup d’inventions pour aller à la rencontre du public. Et cela a porté ses fruits : on a un vrai retour des spectateurs. La SACD [Société des auteurs et compositeurs dramatiques] a sorti des chiffres très fiables, qui attestent qu’il y a eu nettement plus de spectateurs dans les salles en 2023 qu’en 2019, ce qui est aussi le cas, très largement, à la MC93 : 43 795 spectateurs en 2019 et 71 552 en 2023, soit une augmentation de 60 %.

A vous entendre, la crise sanitaire aurait donc été presque positive…

Ce n’est évidemment pas si simple. Pendant la crise, on a bénéficié d’aides importantes, qui nous ont permis d’indemniser les spectacles et de les reprogrammer. Ce qui a impliqué des saisons théâtrales plus denses qu’auparavant, et ce qui a donné des résultats, puisqu’on y a gagné des spectateurs, et notamment des jeunes, chez qui je constate un intérêt plus grand qu’avant le Covid pour le théâtre et la danse.

 

Une fois refermée la parenthèse des allègements de charges pendant l’épidémie de Covid, on s’est retrouvé avec les mêmes problèmes, amplifiés. Nous avons donc eu un discours très clair, depuis un an, sur le besoin de refinancement, en tirant la sonnette d’alarme pour dire que le service public du spectacle était mal en point. La plupart d’entre nous n’ont pas de fonds de réserve, puisque nous sommes souvent dans des statuts associatifs, à but non lucratif. Lors d’une réunion avec Rima Abdul Malak [la précédente ministre de la culture], à l’automne 2023, nous lui avons fait part d’un besoin de refinancement, uniquement pour les scènes nationales, estimé entre 30 millions et 40 millions d’euros. Quelques mois plus tard tombe l’annonce des coupes budgétaires, de 96 millions pour la création. Même si ces coupes ne sont pas confirmées à ce jour, on voit bien que c’est une ligne qui se dessine : cela s’appelle une impasse. Je ne vois pas comment on va pouvoir en sortir, et j’avoue que je suis en colère.

La culture n’est pas le seul service public à souffrir. Où trouver l’argent ? Vous êtes suspectés d’être déjà très aidés…

Eh bien, déjà, on n’est pas très aidés, non. La proportion du budget de la culture par rapport au reste, elle est dérisoire, puisqu’elle représente 0,8 % du budget de l’Etat.

La question de l’argent est centrale, évidemment. Je ne veux pas entrer dans des débats de politique fiscale, ce n’est pas mon endroit. Je regarde juste le budget du ministère de la culture. Dans ce budget, un nouveau programme, lancé sur le désir d’Emmanuel Macron, le Pass culture, a été doté de 251 millions d’euros pour 2024. C’est le seul poste qui ne soit pas touché par les coupes. Et ce, alors qu’il n’a pas fait l’objet d’une évaluation sur la manière dont il aurait changé en profondeur les habitudes des jeunes et le niveau culturel de la France. Il s’agit donc d’un choix politique, qui nécessiterait pour le moins de faire l’objet d’un débat.

Le Pass culture était-il une fausse bonne idée, selon vous ?

C’est un vrai choix politique de la demande, et pas de l’offre. Un choix qui n’a pas pris en compte l’existant, sur la question de la médiation et de la curiosité. Si le Pass culture permettait à des jeunes d’avoir une consommation culturelle qu’ils n’auraient pas eue sans le Pass, ce serait formidable. Mais cela impliquerait un travail colossal, qui ne peut pas se résoudre à travers une application. Un travail qui pourrait s’appuyer sur la réalité que la France est un pays précurseur, avec ses mouvements d’éducation populaire.

 

C’est comme si on n’avait pas pris en compte cette historicité qu’incarne le Festival d’Avignon, dont l’ADN est d’être dans cette logique de l’animation, de la médiation, de la rencontre avec le public, tout en étant un endroit de création et des avant-gardes. Cette question est sans cesse à réinterroger, parce que les sociétés changent : comment pousser le public à aller vers des formes qu’il ne connaît pas ? A lui faire aimer des œuvres dont il ne savait pas qu’il les aimerait, comme le disait Jean Vilar ? C’est notre mission. Or je pense que le Pass culture ne fait ce travail-là que de manière très marginale. Et, dans tous les cas, cela ne peut pas être l’unique réponse, au détriment du reste.

Cette situation est-elle le résultat d’un désintérêt de plus en plus marqué du personnel politique pour la culture et de l’affaiblissement de son ministère ? En dix ans, six ministres se sont succédé à sa tête…

Cette valse des ministres de la culture dénote en effet qu’il n’y a pas de vision, de considération des politiques publiques de la culture à moyen et à long terme. Et cela date d’avant Emmanuel Macron. Pour les politiques, la culture n’est pas pensée comme un endroit structurant des politiques publiques. A quelques exceptions près, comme Stéphane Troussel, le président du département de Seine-Saint-Denis, qui envisage la culture non pas comme un segment de l’action publique, mais comme un élément qui traverse et irrigue tous les autres.

 

C’est une réflexion intéressante, porteuse d’avenir, notamment sur les enjeux d’interculturalité auxquels nous allons devoir faire face de plus en plus. Il ne s’agit pas de revendiquer un endroit pour privilégiés, tout ce discours que l’on nous ressasse depuis longtemps déjà, celui de l’élitisme qui a bon dos, et de l’autocentrage. Qui ne correspond en rien à ce que j’observe : les artistes sont sur le terrain, les institutions aussi. On continue à nous opposer des arguments frelatés pour ne pas rentrer dans le vif du sujet : celui d’un sursaut politique où la culture serait envisagée comme le poumon ou le cœur d’une société, c’est-à-dire la manière dont elle se représente elle-même et se projette. C’est quand même par l’art que la société se donne une image d’elle-même et nous permet de nous penser. On le voit bien, ces temps-ci, avec la représentation de la banlieue ou de la ruralité, et les conséquences qu’entraîne ce sentiment éprouvé par une partie de la population d’être invisibilisée. Tout cela vaut plus que 0,8 % du budget de l’Etat, à mon avis.

Diriger une maison comme la MC93 est-il devenu un sacerdoce ?

Honnêtement, oui. Mais en même temps cela apporte une joie incroyable. Le sentiment d’être utile est très porteur, et je n’ai aucun doute sur notre utilité. A la MC93, 30 % des abonnements sont souscrits par des jeunes de moins de 30 ans. C’est bien qu’ils éprouvent la nécessité de ce qu’on leur propose. Je mets beaucoup d’espoir dans la jeunesse, dans sa capacité à comprendre qu’elle a besoin d’outils pour être en mesure de transformer la société.

 

Fabienne Darge / Le Monde 

 

Légende photo : Hortense Archambault, directrice de la MC93, à Bobigny, le 14 mars 2024. LAURA STEVENS/MODDS POUR « LE MONDE »

 

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Je n'ai pas le don de parler d'Agathe Paysant

Je n'ai pas le don de parler d'Agathe Paysant | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Vincent Bouquet dans Sceneweb - 19 mars 2024

 

Avec Je n’ai pas le don de parler, la jeune metteuse en scène grimpe sur les épaules du poète suisse Robert Walser et fracture le conte des frères Grimm autant que l’art du théâtre.

 

Avec leur allure un peu gauche, deux êtres s’avancent, sans autre forme de procès, pour rejoindre, dans un silence de cathédrale, le coeur du proscenium. Engoncés dans des costumes faits de bric et de broc qui, pour l’heure, ne disent rien de leur identité, cette femme et cet homme, tous deux mutiques, scrutent le public avec un regard malicieux et un léger sourire en coin, comme s’ils ne le découvraient pas tout à fait pour la première fois. Sont-ils déjà des personnages ou encore des comédiens ? Nul ne le sait vraiment. Et c’est dans cet interstice trouble, dans cet espace où les ambiguïtés font recette, qu’Agathe Paysant trouve la source de son théâtre expérimental. Alors qu’en fond de scène un jeune homme dort, couché sur le flanc, l’un des deux individus s’empare du programme de salle de Je n’ai pas le don de parler et se met à lire, dans un geste aussi hésitant qu’intimement guidé, Le paysage de Robert Walser. « C’était l’épouvante. Pas un morceau de ciel et la terre était mouillée. J’allais, et tandis que j’allais, je me posais la question de savoir si je ne ferais pas mieux de rebrousser chemin et de rentrer chez moi. (…) Il me sembla qu’il était désormais impossible d’espérer encore quoi que ce fût. Puis, à l’inverse, il me semble qu’un doux bonheur, exquis, indicible bonheur, s’insinuait dans le paysage endeuillé (…) ».

 

Ces mots, l’homme ne les saisit pas, ne les empoigne pas, mais les accueille, en toute humilité, se laisse traverser par eux et transcender par leur pouvoir, jusqu’à faire de l’espoir de guérison, inexpliqué autant qu’inexplicable, d’un monde apparemment condamné son imperturbable force motrice, celle qui, justement, irrigue le Blanche-Neige du même Robert Walser auquel il ne tarde pas, avec la femme qui l’accompagne, à prendre part.

 

Sorte de suite offerte par l’écrivain et poète suisse à l’œuvre des frères Grimm, ce Blanche-Neige là se plaît à décomposer et à recomposer le conte d’origine pour mieux le fracturer. Pour ce faire, Walser ne reprend pas exactement là où les frères Grimm s’étaient arrêtés. La Reine n’a, visiblement, pas eu le droit à son ultime châtiment – cette danse à mort avec des chaussures en fer chauffées à blanc aux pieds –, et se retrouve en compagnie de Blanche-Neige, du Prince et même du Chasseur, élevé au rang de personnage principal. Revenue saine et sauve, quoique traumatisée, de la maisonnette des sept nains, extirpée de son cercueil de verre, la jeune Blanche-Neige est prête à demander des explications à la Reine, devenue sa « mère », sur la tentative d’homicide dont elle a été victime. Sans égard particulier pour le Prince, ce « petit garçon », dit-elle, qui « n’a pas de poil au menton », et qui, dans une versatilité extrême, se laisse séduire par les feux de la monarque plutôt que par la froideur de la jeune femme, elle met au jour la relation adultère entre le Chasseur, qui a finalement renoncé à la tuer, et la Reine, commanditaire de cette tentative d’assassinat. Au lieu de se venger, Blanche-Neige cherche alors une issue de secours, une voie de sortie plus féconde que celle, stérile, dans laquelle l’enfermait le conte, et qui va progressivement conduire tout ce beau monde vers le chemin, aussi sinueux que joyeux, de la réconciliation.

 

À travers ce « dramolet », tel qu’il le décrivait lui-même, Robert Walser fait du conte d’origine l’objet du discours et de la parole la clef pour sortir de l’impasse définitive à laquelle ce genre littéraire condamne traditionnellement ses personnages. À cet égard, l’auteur opère deux transmutations : celle du conte en drame et celle de la prose en vers. Car c’est bien par l’entremise singulière de la poésie, et sa capacité transcendantale, qu’il opère une fracturation de l’oeuvre des frères Grimm. Par touches successives, on l’observe, avec facétie et un brin de religiosité, remettre à l’heure les pendules du Bien et du Mal, renverser la charge du « pêché » et emprunter la voie d’une réconciliation aussi soudaine qu’improbable. En réinterrogeant les actes qu’ils ont perpétrés, en sondant le halo moralisateur qu’ils ont produit – ce « mensonge empoisonné / qui s’emplit de ses propres dires », écrit Walser –, tout se passe comme si les personnages se débarrassaient de leurs oripeaux, se libéraient du carcan du conte, et de ses codes, et trouvaient les moyens de s’émanciper du crime originel pour permettre l’avénement d’une guérison collective, fondée sur une humanité retrouvée, y compris dans ses facettes les plus sombres.

Humaine, trop humaine, cette tentative d’infiltration du conte en vue de son implosion sert de fil rouge à Agathe Paysant pour mener une étonnante recherche théâtrale, où les fragilités assumées se mêlent à une profonde et prometteuse acuité. Dans les pas de Robert Walser qui ne cesse de reconfigurer l’oeuvre d’origine – à commencer par le leitmotiv du baiser salvateur qui revient tel une antienne alors qu’il n’a jamais eu lieu chez les frères Grimm, mais reste bien présent dans l’imaginaire populaire –, Agathe Paysant ose jouer avec l’art théâtral pour mieux en interroger les capacités, et bousculer les attendus. Consciente que les personnages de Walser sont bel et bien des figures, la jeune metteuse en scène s’adonne à une forme de pantomime, qui sied parfaitement à leur esprit et à leur fonction littéraire. Aux commandes d’une direction d’acteurs aux accents clownesques dans sa manière de grossir les traits de personnages, elle déstabilise son monde, s’enferme sans doute un peu trop dans le système qu’elle instaure, mais parvient, malgré tout, à faire reluire la beauté de l’esprit walserien, et sa formidable capacité à réenvisager le monde, aussi fictif soit-il, pour en expurger le mal. Loin de faire ronfler la poésie de Walser, elle se plaît, à la manière de l’auteur suisse, à faire preuve d’une économie de moyens à toute épreuve. En peu de signes, comme l’auteur le fait en peu de mots, elle instaure une ambiance à part, où la scène tendue de noir est le lieu de tous les possibles, et de l’audace sans coups d’éclat.

 

 

Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr

Je n’ai pas le don de parler
d’Agathe Paysant
d’après les textes de Robert Walser
Traduction Hans Hartje, Claude Mouchard, Nicole Taube
Avec Marc Bertin, Camille Duquesne, Alban Gérôme, Nathalie Pivain, Marc-Antoine Vaugeois
Scénographie Simon Restino
Lumières Philippe Ulysse
Regard costumes Elise Garraud
Création sonore Camille Lacroix
Regard dramaturgie Juliette de Beauchamp
Regard chorégraphique Vincent Dupuy
Couture décor Valentine Calot

Production Compagnie de la Décision
Coproduction Studio-Théâtre de Vitry-sur-Seine, La Commune – CDN d’Aubervilliers
Soutiens Théâtre de l’Echangeur de Bagnolet, Collectif 12 de Mantes-la-Jolie, Théâtre Antoine Vitez d’Ivry-sur-Seine, CDN des Quartiers d’Ivry, Nouveau-Gare au Théâtre à Vitry-sur-Seine
Projet soutenu par le ministère de la Culture – Direction régionale des affaires culturelles d’Île-de-France et financé par la Région Île-de-France
Avec la participation artistique du Jeune Théâtre National

Durée : 1h40

La Commune – CDN d’Aubervilliers
du 6 au 9 décembre 2023

Théâtre L’Échangeur, Bagnolet
du 18 au 23 mars 2024

 

Autre critique de Véronique Hotte dans Hottello

 

 

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«Le Consentement» de Vanessa Springora porté sur scène par Ludivine Sagnier : juste au corps 

«Le Consentement» de Vanessa Springora porté sur scène par Ludivine Sagnier : juste au corps  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Sonya Faure dans Libération - 19 mars 2024

 

La comédienne incarne seule sur les planches du Théâtre du Rond-Point la jeune Vanessa Springora, dans une mise en scène de Sébastien Davis fidèle au texte et aux questionnements soulevés par l’œuvre originale .

 

«Quelle preuve tangible avais-je de mon existence ? Etais-je bien réelle ?» demandait Vanessa Springora dans son livre le Consentement, qui déclencha lors de sa parution en 2020 un salutaire débat sur l’emprise sur les mineurs. Elle avait 14 ans, l’écrivain Gabriel Matzneff en avait 50 et le récit qu’il faisait de leur relation et de leur quotidien dans ses livres passait il y a peu encore pour de gracieuses scènes de mœurs. «Quelle preuve tangible avais-je de mon existence ? Etais-je bien réelle ?» demande aujourd’hui, en écho, Ludivine Sagnier face au public du Théâtre du Rond-Point. Et comment transposer sur les planches un livre qui a changé les mots et les regards posés sur la pédocriminalité ? En lui restant fidèle, répond le metteur en scène Sébastien Davis, qui signe cette version scénique qui intervient après la sortie du film de Vanessa Filho avec Kim Higelin. Il n’a pas changé le texte, ni son ton, le coupant seulement (la pièce dure une heure vingt en tout).

Sébastien Davis et Ludivine Sagnier parviennent à rester sur un fil ténu qui fait entendre parfaitement le texte de Springora, sans jamais ou presque ajouter d’affèteries de mise en scène, et sans jamais non plus oublier le corps, au cœur de l’histoire. Ce corps de jeune fille qui désirait, ce corps qui bientôt ne désirera plus du tout, un trop vieil homme ayant tout aspiré, la joie, l’envie, la vie, tel un vampire. Un corps qui connaît le manque (manque physique de père, et bientôt manque de drogues et de médicaments) et qui, grâce à la performance de Ludivine Sagnier, devient cette «preuve tangible» de ce qui a existé.

Happée par les pages

Et comment incarner l’autre, le salaud, «G», comme le nomment le livre et la pièce ? Ici le choix est fait – très différent de celui de Stanislas Nordey pour son adaptation du Voyage dans l’Est d’Angot dans lequel Pierre-François Garel est remarquable dans les habits du père incestueux –, de laisser Ludivine Sagnier raconter. La Vanessa Springora enfant, puis jeune fille, qu’elle incarne joue tous les autres personnages : le pédophile, le policier, la mère, le prof ou le psy. Ce qui donne à toutes ces figures d’autorité, qui dans cette histoire n’ont jamais su représenter la raison et qui n’ont jamais protégé, un air un peu ridicule, comme quand, enfant, on imite les «grands».

 

«Tout était faux autour de moi et je ne faisais pas exception.» Un mur translucide est érigé sur scène, Ludivine Sagnier passe parfois derrière, elle devient trouble, flottante. Sur le côté de la scène, le batteur Pierre Belleville accorde son tempo à la pièce. «Mon corps était fait de papier, dans mes veines ne coulait que de l’encre, mes organes n’existaient pas», écrit Vanessa Springora (et dit Ludivine Sagnier) qui souffrira d’une telle dépersonnalisation qu’elle fera un séjour à l’hôpital. Le mur translucide, c’est peut-être aussi la page qui bientôt happera la jeune Vanessa, devenue à jamais l’une des jeunes filles en fleur des livres de Gabriel Matzneff. En prologue de son livre, Vanessa Springora écrivait avoir voulu à son tour «prendre le chasseur à son propre piège, l’enfermer dans un livre». Le théâtre n’a pas vocation à fixer les choses, bien au contraire. Mais Matzneff restera dans la mémoire de ceux qui auront vu ce Consentement, épinglé sur scène comme un funeste papillon de nuit.

Le Consentement, de Sébastien Davis, jusqu’au 6 avril au Théâtre du Rond-Point, Paris (75008).
 
Légende photo : Sébastien Davis et Ludivine Sagnier parviennent à rester sur un fil ténu qui fait entendre parfaitement le texte de Springora. (Christophe Raynaud de Lage)

 

 

 

 

Sonya Faure / Libération

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Hassane Kassi Kouyate : "Les Franco, c'est un endroit où on aimerait faire entendre plusieurs points de vue"

Hassane Kassi Kouyate : "Les Franco, c'est un endroit où on aimerait faire entendre plusieurs points de vue" | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Julia Wahl dans cult.news - 17 mars 2024

 

Hassane Kassi Kouyate, directeur du festival de théâtre francophone Les Zébrures du printemps, nous présente l’édition 2024, qui commence le 19 mars.

Quelles sont les spécificités de cette édition des Zébrures de printemps ?
 
Son originalité, c’est de combiner l’accompagnement de jeunes autrices et d’autrices féminines un peu plus confirmées. Je dis « féminines », parce que nous sommes très attentifs à l’écriture théâtrale féminine, avec les dispositifs « Découverte » et « Terminer un texte » qui sont dédiés aux écritures théâtrales féminines. Nous avons également la présentation de textes primés comme les prix RFI, SACD et ETC Caraïbe. Pour nous, c’est à l’image de la dynamique qui se développe autour de l’accompagnement des écritures, aussi bien au niveau des résidences et de l’écrit que de l’accompagnement vers la scène que nous essayons de favoriser. Donc, vous découvrirez des textes qui vont vers la scène dès le mois de septembre et d’autres en automne 2025. On met l’accent dans cette édition-là sur ces écritures féminines et cet accompagnement vers la scène.

 

Est-ce que ça signifie que l’idée, c’est d’avoir un travail pérenne en fonction spécifiquement des autrices ?
 
Oui, on se rend compte de l’importance de cette question par les statistiques : les Franco ont 41 ans maintenant et, quand on prend le nombre d’autrices qui y sont passées, la présence féminine ne fait même pas 20%. Alors que, je dis une banalité, mais il y a plus de femmes sur terre que d’hommes ! On sait aussi que voir le monde de plusieurs fenêtres, c’est important. Les Franco, c’est un endroit où on aimerait faire entendre plusieurs points de vue. Donc le point de vue des femmes sur le monde à travers l’expression théâtrale est très important pour nous. On voudrait vraiment développer cela. Pour cela, on est un peu limité par nos moyens. L’idéal, pour nous, ce serait d’avoir au moins huit bourses par an. Il y a une vraie demande. Il y a beaucoup de femmes qui voudraient écrire du théâtre dans le monde. Il faudrait les encourager, déjà en leur disant qu’elles ont le droit de le faire. Ça paraît simple de dire ça, mais la question de la légitimité passe par des programmations dans des lieux comme le nôtre.

 
Au vu de cette profusion de femmes écrivaines ou aspirantes écrivaines, comment faites-vous la sélection ?
 
On voyage beaucoup. On travaille beaucoup avec des relais sur le territoire. On a des amis « veilleurs » (on les appelle des « veilleurs ») qui nous mettent au courant d’une autrice potentielle, de gens qui ont un talent caché ou dont ils remarquent qu’il y a quelque chose à faire pour les pousser un peu plus. On nous parle de gens de partout, de tous les continents. L’avantage de Limoges, c’est qu’il y a un savoir-faire depuis plus de 40 ans et donc il y a un carnet d’adresses qui a été créé par les différentes directrices et directeurs. Et le bouche-à-oreille marche beaucoup par rapport aux Franco : on a donc aussi des candidatures spontanées et ce n’est pas à négliger. Les Franco ont une superbe réputation à l’étranger : quand on parle de théâtre dans beaucoup de pays, c’est Limoges et Avignon.


Pour en revenir aux écritures féminines, ce qui est intéressant, c’est que ce ne sont pas uniquement des textes écrits par des femmes, mais des textes qui explorent la condition féminine et notamment des choses assez violentes.
 

C’est ça : on veut aussi qu’on parle des femmes. Je ne cherche pas forcément à n’avoir que des femmes, mais je cherche à ce qu’on aborde aussi les questions autour des femmes. Des fois, je suis tombé sur des hommes qui parlaient mieux de la condition des femmes que des femmes. Mais, je souhaite aussi que, quand on raconte des histoires de chasse, ce ne soit pas que les chasseurs qui racontent leur histoire, mais que les lions aussi puissent parler.


Il y a aussi dans la programmation beaucoup de textes qui s’intéressent à d’autres questions de société, y compris un peu anciennes comme les mines du Pas-de-Calais avec le texte de Penda Diouf [Noire comme l’or, programmé le 21 mars au Vieux Château], la question de la liberté de la presse [À cœur ouvert, d’Éric Delphin Kwégoué, programmé le 22 mars au CCM Jean Gagnant] ou celle de l’écologie [Dictionnaire de la rouille, de Mélissa Mambo Bangala, programmé le 24 mars au CCM Jean Gagnant]. Ce sont des choses qui sont importantes pour vous aussi ?
 
Je pense qu’on est obligé de mettre un zoom sur les faits de notre société. Et ces questions contemporaines doivent être le lieu de débats. Si le théâtre ne crée pas un débat entre les uns et les autres, il doit créer un débat intérieur. Il faut que ce soit des choses au plus près de notre quotidien. On parle beaucoup du passé, de l’avenir, mais on ne parle pas assez du passé qui crée le présent qui va préparer l’avenir. Par exemple, les mines du Pas-de-Calais ont des conséquences aujourd’hui. C’est ce qui m’intéresse : comment on explique aujourd’hui par hier ?

 

A propos du dispositif « Vers la scène », comment se passe le développement de partenariats avec les théâtres dans lesquels les pièces sont diffusées ?
 
Nous, nous ne sommes pas porteurs de projets, nous accompagnons les projets. Les compagnies sont autonomes, mais on essaie d’être catalyseurs, d’abord en accompagnant l’écriture, mais aussi en parlant à d’autres collègues, à d’autres directeurs. Des fois, on fait des lettres avec des compagnies pour dire qu’elles ne sont pas seules, qu’elles sont accompagnées. Nous, on aimerait de plus en plus être porteurs de certains projets pour gérer ces aspects-là, mais nos équipes ne sont pas encore armées pour ça, parce qu’on est en sous-effectif. Mais ça fait partie du projet à moyen terme.


Un autre partenariat de longue date, c’est le rectorat de Limoges dans le cadre du PREAC…
 
Je parlerai d’abord de dynamique territoriale. On parle de nous, les êtres humains, à tous les niveaux, et l’enseignement en particulier est un endroit où on prépare les hommes et les femmes de demain. Donc, travailler avec l’éducation nationale, pour nous, c’est prioritaire, pour les raisons que je viens d’évoquer, mais aussi au niveau de l’école du spectateur. On forme aussi les spectateurs d’aujourd’hui et de demain et peut-être les dirigeants d’aujourd’hui et de demain. Et comme on parle aussi des choses du monde et de ses complexités, ses richesses, c’est bien que l’on travaille en collaboration avec l’éducation nationale. Au-delà de la dynamique territoriale, c’est donc vraiment le projet qui le veut. Le théâtre a plusieurs fonctions : il y a la fonction de distraction et la fonction d’enseignement ; il y a la fonction aussi de lieu de rencontre. L’éducation nationale ne peut pas ne pas être au cœur de ces réflexions-là.

 

Vous parliez tout à l’heure de dynamique territoriale : il est très intéressant aussi de constater comment les Franco infusent dans un territoire, avec des événements et des spectacles qui sont programmés à l’extérieur de Limoges même. Comment se sont construits ces multiples partenariats ?
 

Ça a commencé dès le départ de ce projet à Limoges. Le territoire s’est ouvert à ça. Il y a plus de 200 associations à travers les activités francophones dans la région. C’est devenu une vraie région francophone : à travers le festival, il y a eu la création de la bibliothèque multimédia [Bibliothèque francophone multimédia de Limoges], qui a généré aussi d’autres actions et d’autres partenariats. Maintenant, on a Angoulême, on a pas mal d’endroits autour de ces questions-là. Mais je pense qu’il y avait des dynamiques territoriales politiques qui étaient en place et qui ont favorisé ces rencontres-là. Maintenant, c’est devenu presque dans l’ADN de la région, ces questions francophones. Il y a pas mal de structures qui ont établi des rapports, des liens associatifs avec des pays, des ONG francophones, suite au festival, parce qu’au début les comédiens et les artistes habitaient chez l’habitant et ils ont créé des liens. C’est devenu presque automatique.

 

Après, comme vous l’avez dit, nous, on essaye de plus en plus de faire que les premières de certains spectacles se fassent ailleurs qu’à Limoges. C’est là que la Scène nationale d’Aubusson intervient. Avec aussi la région Nouvelle Aquitaine, nous avons essayé de réunir toutes les structures artistiques qui sont sensibles à ces questions de la création francophone. On s’était réuni à la maison Maria Casarès et on était près de 26 structures.

 

J’aimerais aussi dire que c’est un lieu de rencontre entre auteurs qui sinon ne se rencontrent pas et de professionnels de théâtre qui rencontrent des auteurs, parce qu’il y a le dimanche matin un petit-déjeuner de rencontres entre les professionnels et les autrices et les auteurs. Ce petit-déjeuner nous paraît aussi important : c’est aussi important de se parler en dehors d’une salle que dans une salle.

 

Propos recueillis par Julia Wahl / cult.news

 


Le festival a lieu du 19 au 24 mars à Limoges et aux alentours. Programmation ici.

Légende photo : Hassane Kassi Kouyate – crédit : Christophe Péan

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Les chorégraphes Adrien M & Claire B proposent une immersion dans un océan de pixels

Les chorégraphes Adrien M & Claire B proposent une immersion dans un océan de pixels | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Rosita Boisseau dans Le Monde - 16 mars 2024

 

Le duo d’artistes Adrien Mondot et Claire Bardainne présente aux visiteurs de la Philharmonie de Paris une installation numérique participative, « En amour ».

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/03/16/les-choregraphes-adrien-m-claire-b-proposent-une-immersion-dans-un-ocean-de-pixels_6222397_3246.html


On y pénètre en chaussettes, à petits pas tant le courant est doux. Chaque mouvement de nos pieds dégage un nuage de minuscules poissons blancs qui filent à toute vitesse devant nous. Les yeux baissés, on progresse tranquillement dans ces bancs rapides et mouvants qui métamorphosent le sol en rivière de diamants.

 

 

Lire le portrait (en 2020) : Article réservé à nos abonnés A la Gaîté-Lyrique, Adrien M & Claire B, chorégraphes de pixels
 

Cette expérience illusionniste, bientôt multipliée par une floraison d’images aquatiques nous enveloppant totalement, est la nouvelle installation numérique participative des « chorégraphes de pixels » Adrien Mondot et Claire Bardainne. Elle s’intitule En amour et elle baigne dans un récit sur la rupture amoureuse. A l’affiche de la Philharmonie de Paris, elle accueille pendant quarante minutes sur 400 mètres carrés une quarantaine de personnes dont des enfants qui se régalent de se rouler dans les remous et de s’éclabousser sans se mouiller au cœur des vagues qui déferlent.

 

En amour est la sixième installation de ce duo d’artistes à la tête, depuis 2011, de la compagnie Adrien M & Claire B. Travaillant également sur le terrain du spectacle vivant avec, notamment, la danseuse et acrobate Satchie Noro dans Hakanaï (2013), ainsi que le chorégraphe Mourad Merzouki pour Pixel, créé en 2014, ils tentent de fondre l’humain dans le numérique pour faire palpiter nos peaux électroniques dans des mondes intangibles. Et c’est parce que le public rêvait de vivre l’expérience des interprètes sur scène qu’ils ont commencé à inviter les spectateurs dans leurs paysages virtuels.

Un outre-monde insaisissable

Doux et ensorcelant, ludique au sens le plus magique et inventif du terme, En amour, qui nécessite seize vidéoprojecteurs et six ordinateurs pour gérer les caméras infrarouges captant les déplacements des visiteurs, décline le motif de l’eau, cher à ces passionnés du philosophe Gaston Bachelard que sont Claire Bardainne et Adrien Mondot. Ruisseaux, océans, bouillons d’écume, tourbillons se recouvrent, mélangeant leurs flots et leurs rythmes. Scandé par quatre écrans de tulle, entre lesquels les participants se faufilent pour activer, qui un vortex impressionnant ici, qui une simple bulle là, l’espace devient un aquarium géant en permanente transformation.

 

 

Lire le reportage (en 2018) : Article réservé à nos abonnés Adrien M & Claire B font danser les pixels

 

 

Ce poème visuel qu’est En amour conjugue l’individu et le groupe dans une très fine articulation. Chacun se risque solo en pinceau vivant pour générer des volutes de pixels mais peut également s’allonger ou s’asseoir pour contempler cet outre-monde insaisissable. Chacun est aussi sans le vouloir un personnage de cet univers qui fusionne harmonieusement les pixels et les visiteurs. Le plus souvent téléphone portable à la main pour capturer ces mirages incessants, tous composent un spectacle éphémère et fragile, plus ou moins paisible ou dynamique au gré des circulations des uns et des autres. Et c’est le regard qui rassemble cette installation en éclats.

 

 

Mais l’amour alors ? Il irrigue les mots dits par Claire Bardainne, qui raconte d’abord la fin d’un couple. Cette dissolution sentimentale se trouve heureusement un abri et un soutien dans la nature. En voix off, on entend : « Je suis amoureuse de la rivière qui coule à côté de la maison, de ses reflets dorés l’automne, de son courant que je remonte l’été, avec mes petites sandales en plastique, de sa surface d’argile l’hiver après les pluies, de son débit agité à la fonte des neiges, qui lui donne cette couleur glacier où le regard se perd. » En amour se partage comme un jeu, un tableau immersif, mais aussi une œuvre de consolation. Ressac de l’amour dans un cœur tendre numérique.

 

 

Voir le teaser vidéo

 

 

En amour, d’Adrien M & Claire B. Philharmonie de Paris, 221, avenue Jean-Jaurès, Paris 19e. Jusqu’au 25 août. A partir de 6 ans. Réservation conseillée. De 6 € à 11 € avec entrée au Musée de la musique incluse. Gratuit pour les moins de 12 ans.

 

 

Rosita Boisseau / LE MONDE

 

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Théâtre : les meilleurs spectacles à Paris en mars 2024

Théâtre : les meilleurs spectacles à Paris en mars 2024 | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Emmanuelle Bouchez, Joëlle Gayot, Fabienne Pascaud, Kilian Orain dans Télérama Publié le 14 mars 2024 

 

“À la vie !”, “Nora, Nora, Nora !”, “La Terre”... Découvrez les meilleures pièces qui jouent ce mois-ci à Paris, et ce que “Télérama” en a pensé.

 


Réservé aux abonnés

 

À la vie !

Pour conjurer la mort, rien de mieux que le théâtre. Cette représentation démarre par des comédiens qui se présentent, s’effondrent et trépassent sur scène. Et puis tous se relèvent, car ainsi va le théâtre. Élise Chatauret défie la finitude humaine avec un spectacle dont le titre n’a rien d’ironique puisque parler de la mort, c’est aussi parler de la vie. Cette artiste, dont l’imaginaire se nourrit constamment du réel, pose une question où s’entrecroisent l’intime et le politique : a-t-on le droit de choisir le moment de sa mort ? De l’euthanasie aux agonies subies en passant par l’éthique médicale, elle multiplie les pistes de réflexion et fait un détour magistral en évoquant le dernier souffle de grandes figures du répertoire. Ce spectacle qui ose traiter la mort comme un jeu la prend aussi très au sérieux. C’est là son paradoxe et son intérêt. — J.G.

TTT  D’Élise Chatauret et Thomas Pondevie, mise en scène d’é. Chatauret. Durée : 1h30. Jusqu’au 16 mars, 20h (du mer. au ven.), 18h (sam.), Théâtre Silvia-Monfort, 106, rue Brancion, 15e, 01 56 08 33 88. (10-26 €).
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L’Art de la joie

Cinq heures durant, sur une musique italienne endiablée, d’éblouissants comédiens incarnent avec une folle audace la traversée du siècle de Modesta, flamboyante héroïne de L’Art de la joie, enchanteresse fresque socio-politico-sentimentalo-féministe de la Sicilienne Goliarda Sapienza (1924-1996), aussi scandaleuse et séduisante que sa très libre Modesta. La metteuse en scène Ambre Kahan fait du livre une ébouriffante œuvre scénique dans des décors que la troupe change à vue sous des lumières comme sculptées sous le soleil et la nuit. Rarement spectacle, qui s’amuse aussi de jolis clins d’œil au public, aura été pareille fête de théâtre et sur tous les tons, de la farce à la tragédie, du boulevard à la performance, avec des scènes de viol, de sexe, d’accouchement et de crime. La divine Noémie Gantier (Modesta) l’illumine, pauvre et aristocrate, bisexuelle, jeune et vieille. Magnifique. — F.P.

 

TTTT D’après Goliarda Sapienza, mise en scène d’Ambre Kahan. Durée : 5h30. Les 16 et 17 mars, 15h, l’Azimut – Théâtre la Piscine, 254, av. de la Division-Leclerc, 92 Châtenay-Malabry, 01 41 87 20 84. (10-20 €).
 
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Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe

Hervé Briaux, acteur d’expérience, est le spécialiste des monuments littéraires. Après sa vision fortement habitée des Essaisde Montaigne, il s’immerge maintenant dans le monde des Mémoires d’outre-tombe. Une œuvre au long cours, introspective elle aussi, mêlant impressions d’un siècle tourmenté (Ancien Régime, Révolution, Empire, Restauration) et souvenirs d’expériences intimes. Endossant la redingote d’un vieux Chateaubriand rassemblant ses forces pour écrire, l’acteur fait chanter cette langue fugueuse et fougueuse, riche d’images, d’accents tristes et sombres, d’évocations sensibles ou de portraits perfides de ses contemporains. Son chemin dans cette matière foisonnante est gourmand, rythmé d’imprévisibles traverses. On l’y suit d’emblée, en se laissant peu à peu émouvoir, dans un délicat contre-jour, par la silhouette d’un homme s’apprêtant à tirer sa révérence. — E.B.

 

TTT Adaptation d’Hervé Briaux. Durée : 1h. Jusqu’au 13 avril, 21h (du mar. au sam.), Théâtre de Poche-Montparnasse, 75, bd du Montparnasse, 6ᵉ, 01 45 44 50 21. (10-28 €).
 
 
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Contes et légendes

L’inquiétude qui gagne le spectateur s’apaise à la fin du spectacle, lorsque deux adolescents s’enlacent le temps d’une bouleversante danse, qui réinsuffle de l’humanité dans un monde désensibilisé. Fascinante fiction où l’homme cohabite avec le robot, à qui il délègue aussi bien les tâches ménagères que l’expression de ses émotions, cette pièce futuriste cogne aux portes du présent. Alors que la violence guette une jeunesse en quête de sens, les adultes saccagent ce qui reste en elle de vrais sentiments. Comment vivre dans une société qui ne sait plus ce qu’aimer veut dire ? À coups de dialogues nerveux et de séquences promptement enchaînées, sur un plateau dénué de couleurs, neuf actrices et un comédien font surgir avec une netteté incroyable une angoisse menaçante. Car, quoi qu’il nous en coûte, on se sait concerné par ce futur pas si lointain que nous soumet Joël Pommerat. C’est édifiant. — J.G.

 

 

TTTT De et par Joël Pommerat. Durée : 1h50. Jusqu’au 31 mars, 20h (du mer. au ven.), 20h30 (sam.), 16h (dim.), Théâtre de la Porte-Saint-Martin, 18, boulevard Saint-Martin, 10e, 01 42 08 00 32, portestmartin.com (13-46 €).
 
 
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En travers de sa gorge

Le motif du fantôme traverse les créations de Marc Lainé. En travers de sa gorge, deuxième volet de sa trilogie fantastique, n’y déroge point. Dans un chalet cerné par les montagnes — le décor n’est pas sans rappeler fortuitement celui du film Anatomie d’une chute — se déroule l’étrange trajectoire d’une cinéaste en proie au deuil après la mystérieuse disparition de Lucas (Bertrand Belin), son compagnon. Recluse dans le Vercors, Marianne (Marie-Sophie Ferdane) se trouve soudainement nez à nez avec Mehdi (Yanis Skouta). Le jeune homme apparaît dans son salon, parlant avec la même voix que Lucas, avant de redevenir lui-même. L’esprit du compagnon de Marianne aurait-il infiltré le corps de cet artiste médium ? Alliant théâtre et cinéma, ce spectacle construit en trois chapitres nous porte aux frontières du réel et de la fiction dans un ballet de personnages et d’univers renversants...

 

TTT De et par Marc Lainé. Durée : 2h25. Jusqu’au 16 mars, 20h30 (du mer. au ven.), 19h30 (sam.), Théâtre du Rond-Point, salle Renaud-Barrault, 2 bis, av. Franklin-Roosevelt, 8e, 01 44 95 98 21. (14-40 €).
 
 
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L’Enfant brûlé

Théâtre qui retourne, jette le trouble, laisse des traces, que cet Enfant brûlé signé Noëmie Ksicova. La metteuse en scène s’empare du roman du Suédois Stig Dagerman (1923-1954), ici remanié pour mieux transmettre la sombre substance de son propos. L’enfant brûlé, c’est Bengt, 20 ans. Comme dans le livre, le spectacle commence le jour de l’enterrement de sa mère, dont la disparition semble insurmontable pour le jeune homme. Dans une ambiance souvent morose, imprégnée de faux-semblants, le mépris, les silences, les soupçons, les jalousies pèsent. Aux côtés de Bengt, Knut (Vincent Dissez), Gun et Bérit tentent de cohabiter. Saluons d’ailleurs les quatre interprètes, le jeune Théo Oliveira Machado en tête, impeccablement dirigés. Ce dernier épate dans la peau de Bengt, personnage convoquant notre part la plus sombre.

 

TTT De Stig Dagerman, mise en scène de Noëmie Ksicova. Durée : 2h15. Jusqu’au 17 mars,
20h (du mar. au sam.), 15h (dim.), Odéon – Théâtre de l’Europe aux Ateliers Berthier, 8, bd Berthier, 17ᵉ, 01 44 85 40 40. (8-36 €).
 
 
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L’Événement

Sur le plateau noir, elle est vêtue de noir. Seuls sa chevelure blonde, son visage pâle éclairent la scène, comme ils évoquent les traits d’Annie Ernaux, qu’incarne ici Marianne Basler via le récit de son terrible avortement en 1963, à 23 ans. à l’heure où le droit d’avorter est remis en question dans certains pays, la comédienne a voulu adapter pour le théâtre un texte auquel sa présence sculpturale, son jeu épuré apportent une puissance inédite. Il faut avoir du courage pour endosser, face au public, ce sidérant et froid témoignage, ou comment Annie Ernaux a frôlé la mort après l’intervention d’une « faiseuse d’anges ». Elle clame pourtant sa fierté d’être allée au bout de son refus. Marianne Basler a le regard impérial. Ni dans la colère ni dans le pathos. Juste femme. Comme il faut qu’existent les femmes. — F.P. 

 

TTT D’Annie Ernaux, mise en scène de Marianne Basler. Durée : 1h10. Jusqu’au 27 mars, 19h (mer., mar.), Théâtre de l’Atelier, 1, place Charles-Dullin, 18e, 01 46 06 49 24. (10-30 €).
 
 
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Incandescences

Dernier volet d’une trilogie qui a propulsé sur scène une bande d’hommes, dans Illumination(s), puis une troupe de femmes, dans F(l)ammes, Incandescences déploie une tribu mixte où garçons et filles font jeu égal sur une scène transformée, pour eux, en un confessionnal théâtral. Rien de liturgique pourtant dans ce spectacle marqué par l’urgence de vivre et l’intensité du présent. Il faut bien que le corps exulte, surtout lorsqu’on a la vingtaine et qu’on sent peser sur son destin le poids d’enfermements sociaux, familiaux, religieux, géographiques. Autant de cases (métaphoriques, mais qu’un travail vidéo rend concrètes) auxquelles ces jeunes veulent et tentent d’échapper. Le théâtre est leur porte de sortie. Ils y pleurent, dansent, crient, rient, s’enlacent. Ils y sont, c’est évident, d’une folle et joyeuse liberté. — J.G.

 

TTT De et par Ahmed Madani. Durée : 1h45. À partir du 29 fév., 20h (du jeu. au sam., mar.),
16h (dim.), Cartoucherie – Théâtre de la Tempête, route du Champ-de-Manœuvre, 12e, 01 43 28 36 36. (10-24 €).
 
 
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Je suis la maman du bourreau

Les larmes coulent sur son visage, et ne s’arrêtent plus. Seule sur la scène, Clémentine Célarié, bouleversante, ne fait qu’un avec son personnage, épousant jusque dans les moindres détails la douleur d’une femme trahie dans sa chair et dans son âme. Bourgeoise tirée à quatre épingles, mère de trois grands enfants, Gabrielle est une fervente croyante à qui la religion a légué de solides convictions. Son fils adoré, devenu prêtre, dévoué tout entier à l’Église et à Dieu, est l’incarnation même de la vertu. Que faire, que dire lorsque soudain sa paroisse est accusée par le quotidien local d’avoir abrité les pires horreurs ? Le journaliste dit-il la vérité ? Et qu’en pense le fils de Gabrielle ? Un monologue impressionnant servi par une remarquable performance d’actrice !

 

TTT De David Lelait-Helo, mise en scène de Clémentine Célarié. Durée : 1h15. Jusqu’au 4 mai, 19h (mer., mar.), 21h (du jeu. au sam.), 15h (dim.), la Pépinière Théâtre, 7, rue Louis-le-Grand, 2ᵉ, 01 42 61 44 16. (12-48 €).
 
 
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Neandertal

À la fin du XXe siècle, à Berkeley, deux spécialistes de l’ADN, Rosa et Lüdo, se retrouvent dans le noir. Entre eux commence alors un amour caché, et l’on rit beaucoup de son préambule. Mariée à Luca, généticien (interprété par le metteur en scène David Geselson), Rosa travaille en Californie ; Lüdo se voue, de son côté, au génome de Néandertal dans son labo de Munich. Tous cherchent à démontrer la parenté des gènes d’hominidés pour mieux déjouer les prétentions millénaristes invoquant le droit du sang dans les territoires disputés. Inspiré par les travaux du Suédois Svante Pääbo (Nobel de médecine 2022), ce spectacle dessine de façon brillante, mais très mélancolique aussi, les passions intimes comme les fureurs collectives. Les guerres fratricides du Proche-Orient comme celles de l’ex-Yougoslavie sont perçues ici à travers le voile du temps long, au beau milieu des os millénaires. Et le vertige est grand. — E.B.

 

 

TTT De et par David Geselson. Durée : 2h15. Du 15 au 17 mars, 20h30 (ven.), 18h (sam.), 16h (dim.), Théâtre-Sénart, scène nationale, 8/10, allée de la Mixité, Carré Sénart, 77 Lieusaint,
01 60 34 53 60. (15-28 €).
 
 
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Nora, Nora, Nora ! De l’influence des épouses sur les chefs-d’œuvre

Une relecture féministe offensive d’Une maison de poupée, d’Ibsen, déjà considérée à la création, en 1879, comme un brûlot prônant la libération des femmes. Elsa Granat n’y va pas de main morte dans son spectacle brillant et survolté, à la scénographie décapante ! De jeunes comédiens turbulents, frais émoulus de l’école supérieure d’art dramatique (et tous d’une étonnante maturité artistique), y revisitent avec insolence, humour et énergie, l’histoire de leur mère, Nora, mais côté enfants… à la mort du papa et mari, quitté par elle, les trois rejetons la retrouvent en effet dans un Ehpad et la questionnent sur son départ. Et finissent par la comprendre. Avec sa joyeuse bande iconoclaste, Elsa Granat regarde en 2024, après Metoo, un texte phare de la relation homme-femme. Et le déconstruit, le réinvente encore dans l’allégresse, en imaginant des scènes, des situations jubilatoires. Saisissant ! — F.P. 

 

TTT De et par Elsa Granat. Durée : 2h. Jusqu’au 31 mars, 20h30 (du jeu. au sam., mar.), 16h30 (dim.), Théâtre de la Tempête, Cartoucherie, route du Champ-de-Manœuvre, 12e,
01 43 28 36 36. (10-24 €).
 
 
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Prima Facie

Le droit est-il juste ? C’est la question soulevée par ce seule-en-scène écrit en 2019 par l’ancienne avocate australo-britannique Suzie Miller. Devant un mur-miroir, sur lequel se reflète une partie du public, évolue Tessa, brillante avocate qui enchaîne les acquittements dans les affaires d’agressions sexuelles, ne faisant qu’une bouchée des victimes au profit de ses clients, les bourreaux. Sauf qu’un jour Tessa se retrouve à son tour sur le banc des femmes abusées, à son tour soumise à l’interrogatoire sournois d’un confrère, à la remise en cause de sa parole… Seule au plateau pour faire vivre tous les personnages, Élodie Navarre livre une remarquable performance d’actrice, capable d’alterner le sérieux froid d’un tribunal et l’état de choc qui suit un traumatisme.

 

 

TTT De Suzie Miller, mise en scène de Géraldine Martineau. Durée : 1h30. Jusqu’au 6 avr., 21h (du mar. au sam.), 16h30 (sam.), Théâtre Montparnasse, Petit Montparnasse, 31, rue de la Gaîté, 14ᵉ, 01 43 22 77 74. (10-34 €).
 
 
 
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La Terre

Comme une artiste peintre qui composerait un tableau, la metteuse en scène Anne Barbot esquisse un monde paysan à la vraisemblance déroutante. Adaptée du roman de Zola, cette pièce propulse les spectateurs dans la seconde moitié du XIXe, celle du second Empire, à travers le destin d’une famille d’agriculteurs en proie aux bouleversements générés par la révolution industrielle. Cinq séquences rythment cette fresque où fusent les échanges musclés entre deux frères et une sœur, qui se partagent les terres léguées par leur père. Lequel leur demande une rente en contrepartie. Un chambardement pour cette famille, qui doit aussi répondre à la dure loi du marché dictant désormais ses revenus. Des préoccupations faisant écho à notre actualité brûlante, pourtant écrites il y a plus d’un siècle déjà…

 

TTT D’Émile Zola, mise en scène d’Anne Barbot. Durée : 2h30. Jusqu’au 21 mars, 20h (du mer. au ven., lun.), 18h (sam.), 15h30 (dim.), Théâtre Gérard-Philipe, 59, bd Jules-Guesde, 93 Saint-Denis, 01 48 13 70 00. (6-23 €).
 
 
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Un tramway nommé Désir

Stella, mariée au tonitruant ouvrier Stanley Kowalski, accueille sa sœur, Blanche DuBois, prof de français se rêvant en « lady », dans son studio de La Nouvelle-Orléans… La célèbre pièce du dramaturge américain Tennessee Williams, qui a fourni Hollywood en nombreux scénarios (dont ce Tramway… réalisé en 1951 par Elia Kazan), n’avait pas été montée en France depuis longtemps. La metteuse en scène Pauline Susini installe d’emblée un climat oppressant, gangrené par la souffrance de Blanche, dont les défenses cèdent sous la perspicacité brutale de son beau-frère. Dans ce rôle, Cristiana Reali incarne toutes les tensions au fil d’une traversée impressionnante, avant de s’avouer vaincue, voix vacillante et corps cassé. Et Nicolas Avinée, dans le rôle de Stanley, creuse, face à elle, sa place. Grâce à ce théâtre bien vivant, on en oublierait presque Vivien Leigh et Marlon Brando, le fracassant duo du 7e art ! — E.B.

 

 

TTT  De Tennessee Williams, mise en scène de Pauline Susini. Durée : 2h15. Jusqu’au 28 avr., 20h (du mer. au sam.), 15h30 (sam., dim.), Théâtre des Bouffes-Parisiens, 4, rue Monsigny, 2ᵉ, 01 86 47 72 43. (15-75 €).
 
 
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Le Voyage dans l’Est

Christine Angot a écrit quatre livres sur son inceste et même réalisé un film. Mais si c’était l’éphémère théâtre qui chahutait le plus fort ? Parce que vécu en direct avec des acteurs qui jamais ne trichent mais semblent s’offrir en sacrifice. Tels Pierre-François Garel, admirable de morgue et d’élégance en père monstre, et ces trois saisissantes comédiennes incarnant l’autrice à trois âges : Carla Audebaud, Charline Grand, Cécile Brune. L’inceste y est cette fois décrit côté Christine, qui revisite sa relation au père et fouille jusqu’à la souffrance ses réactions face aux viols. Un espace abstrait, à la dimension hiératique d’une archaïque tragédie, porte la quête héroïque de celle qui refuse d’être victime et rejette les lâchetés, hypocrisies et mensonges subis. Nordey fait ténébreux et éblouissant théâtre d’une écriture qui refuse les illusions du théâtre. Magie pure. — F.P.

 

TTTT De Christine Angot, mise en scène de Stanislas Nordey. Durée : 2h30. Jusqu’au 15 mars, 19h30 (mer.), 20h30 (jeu., ven.), Nanterre Amandiers, 7, av. Pablo-Picasso, 92 Nanterre, 01 46 14 70 00. (5-32 €).
 
Légende photo : « Nora, Nora, Nora ! De l’influence des épouses sur les chefs-d’œuvre. » À voir au Théâtre de la Tempête. RAYNAUD DE LAGE Christophe / Photo Christophe Raynaud de Lage.

 

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«Les Cavalières», seules en selle 

«Les Cavalières», seules en selle  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Laurent Goumarre dans Libération - 15 mars 2024

 

Isabelle Lafon met en scène une histoire extraordinaire de femmes qui se tiennent debout et manient le verbe avec une maladresse touchante.

 

Elles se coupent la parole, digressent comme pas possible, bafouillent de parler vite… Elles ont vraiment le goût du verbe les formidables cavalières d’Isabelle Lafon, quatre femmes d’âge, de milieux différents, en colocation dans un immense appartement avec un minimum de meubles – c’est une des trois règles à respecter. Sur le plateau, ça se limite à une table basse invisible contre laquelle elles ne cessent de buter, et trois tabourets. Voilà pour la scénographie. Impeccable : trois tabourets pour quatre femmes ? Ça veut dire qu’elles ne vont pas s’installer, qu’il n’y a pas la place de le faire à moins de vouloir prendre le pouvoir, ce qui n’est pas le cas de Denise, Saskia, Jeanne et Nora, qui se poseront seulement quelques secondes, parce qu’ici tout se joue debout. Stand Up. Ce sont des femmes verticales qui parlent face public, sans arrêt ; il y a tant de choses à dire.

 

Denise d’abord, propriétaire de l’appartement, dont on apprend qu’elle viendrait de Roumanie, qu’elle est passionnée de chevaux – références biographiques au passé de l’actrice metteuse en scène Isabelle Lafon. Denise, caractère bien trempé, qui longe ses sentiments – ce sera la seule métaphore cavalière qu’on s’autorisera – s’est s’imposée dans l’univers masculin des courses : d’abord premier garçon – il n’y a pas de féminin –, puis garçon de voyage – toujours pas de féminin –, avant de devenir une sacrée entraîneuse. C’est une femme avec enfant, Madeleine, qui lui a été confiée après la mort d’une amie : une enfant qui demande «une attention particulière», pour ne pas dire «avec handicap». Trois autres femmes ne seront pas de trop pour en assurer la garde – deuxième règle de fonctionnement pour la colocation.

Lieu de paroles chaotique

La troisième, c’est d’entretenir un rapport quel qu’il soit avec les chevaux. C’est le cas de Jeanne – Sarah Brannens – la plus jeune, serveuse dans un bar, écrit de la poésie, parieuse expérimentée au turf. C’est aussi l’histoire de Saskia, ex-cavalière de trek – Johanna Korthals – et qui a quitté le Danemark, son mari, son fils, et son boulot d’ingénieure dans le ciment, après un épisode de burn-out version aphasie. Nora – Karyll Elgrichi – fait exception, elle ne pige rien à l’équitation, l’odeur de la sellerie la révulse ; les règles sont faites pour être enfreintes, ce ne sont pas des impératifs catégoriques. Nora a une autre histoire, liée à son métier d’éducatrice auprès d’enfants délinquants ; manifestement il y a eu un gros problème, qu’elle racontera. Ou pas.

 

Parce que chacune a son temps de parole, mais systématiquement  coupé, commenté par les trois autres. Résultat : personne s’installe dans un discours – et qu’est-ce que ça fait du bien au théâtre. Personne ici n’est maître de ses mots, qui ont parfois du mal à venir : Jeanne a tellement à dire qu’elle n’en finit pas ses phrases. Denise a la parole construite, trop, va falloir qu’elle explose. Nora est bouffée par son secret, quant à Saskia, elle reste traumatisée par son «trou» en pleine réunion de travail. Les Cavalières, c’est l’histoire extraordinaire de ces femmes qui se tiennent debout, qui se tiennent tout court, après avoir toutes connu la chute… de cheval, déclassement social, perte d’emploi, crise existentielle, et qui partagent un lieu de paroles chaotique, jamais cadré, qui déborde de partout. Oui les mots les dépassent, mais au moins ça fait une langue avec des motifs qui passent de l’une à l’autre. Et elle est tellement intelligemment travaillée par Isabelle Lafon et ses comédiennes, qu’on a le sentiment que tout s’invente devant nous et pour nous dans un présent absolu. C’est ça être contemporain d’un spectacle. Alors on comprend ce qui peut se jouer de plus spirituel dans la course entre le cheval et la cavalière : ce n’est pas faire corps avec l’animal, mais un jeu de prolongement réciproque quand personne ne guide, que ça avance, et que parfois on gagne. Au théâtre de la Colline, les Cavalières montent leur texte, et lâchent les rênes. Comme on lâche les chevaux.

Les Cavalières au Théâtre de la Colline à Paris, jusqu’au 31 mars.
 
Légende photo : Personne ne s’installe dans un discours. Personne ci n’est maître de ses mots, qui ont parfois du mal à venir. (© Laurent Schneegans)
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