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Décryptage

Index égalité professionnelle : dernier jour pour les entreprises

Sommées de calculer leur niveau en matière d'inégalités entre femmes et hommes, toutes les entités de plus de 50 salariés ont jusqu'au 29 février minuit pour publier leurs résultats. Une obligation qui vire, pour certaines, à l'exercice de communication.
par Amandine Cailhol
publié le 29 février 2020 à 16h04

Il y a ceux qui fanfaronnent, comme le groupe Sigvaris, dans le secteur médical, qui se félicite de son résultat : 98 sur 100 à l'index de l'égalité professionnelle entre femmes et hommes pour l'année 2019. «Bien au-dessus du seuil minimal de 75 points», souligne l'entreprise. Ou encore la société informatique Webnet qui affiche un index égalité de 90 sur 100. Un «très bon score», s'empresse de commenter la boîte. Et il y a les autres, pour l'heure silencieuses. D'ici le 29 février à minuit, toutes les entreprises de plus de 50 salariés devront toutefois avoir calculé leur index de l'égalité professionnelle. Pour celles entre 50 et 250 salariés, il s'agira de la première fois. Les plus grosses, qui ont déjà rendu leur copie courant 2019, devront la réactualiser. A quelques jours de la date butoir, tout est fait pour les rappeler à leurs obligations. «Chefs d'entreprise, avez-vous déjà publié votre index de l'égalité professionnelle ?» questionne le ministère du Travail sur Twitter. Mais certains doutent de la capacité de cet outil à régler le problème des inégalités de carrière et de salaires. Or l'enjeu est de taille : 9% d'écart de rémunération est toujours constaté entre un homme et une femme à poste et carrière égaux.

Quel est le principe ?

Mis en place en mars 2019, d'abord pour les entreprises de plus de 1 000 salariés, l'index a ensuite été étendu à celles de plus de 250 salariés en septembre, puis de plus de 50. Son calcul se fait sur 100 points autour de quatre ou cinq critères : l'écart de rémunération femmes-hommes, l'écart dans les augmentations annuelles, les augmentations au retour de congé maternité, la présence de femmes parmi les plus gros salaires de l'entreprise et – uniquement pour les entreprises de plus de 250 salariés – l'écart dans les promotions. L'index obtenu, qui fonctionne sur la base de l'autoévaluation, doit être publié sur le site internet de l'entreprise et le détail par critère doit être précisé à l'inspection du travail et au comité social et économique (CSE). Ensuite ? En cas d'index inférieur à 75 points, précise le ministère du Travail, «l'entreprise doit mettre en place des mesures correctives» pour atteindre au moins ce seuil, en trois ans. Si elle ne le fait pas, ou si elle ne prend même pas la peine de publier son index, elle s'expose à une pénalité financière jusqu'à 1% de sa masse salariale annuelle.

Les entreprises jouent-elles le jeu ?

Plus ou moins. En septembre, la ministre du Travail avait indiqué que 99% des entreprises de plus de 1 000 salariés avaient publié leur index, avec un résultat moyen de 83 sur 100. En revanche, seules 68% de celles ayant un effectif entre 250 et 1 000 salariés avaient répondu à l'appel, pour une moyenne de 82/100. Au total, toutes catégories confondues, 17% étaient en «alerte rouge», en dessous des 75 points, selon Muriel Pénicaud. Reste à savoir comment vont réagir les plus petites entreprises à ce que certaines n'ont pas manqué de critiquer comme une nouvelle «contrainte» administrative. Pour les convaincre, l'administration a redoublé d'attention, avec une campagne de communication et des outils pour leur faciliter la tâche (tableur de calcul en ligne, assistance téléphonique…) L'exercice n'est par ailleurs pas très compliqué, d'autant que, précise le ministère, «la plupart des données à prendre en compte figurent dans la base de données économiques et sociales des entreprises.» «Certaines entreprises avaient peur de devoir y consacrer trop de temps, mais grâce aux outils en ligne et aux logiciels de paye qui ont intégré la mesure, cela s'est plutôt bien passé», note Anne Nectoux, responsable de paye associée du cabinet d'expertise comptable XO Conseil. A tel point que certains repartent convaincus. «Des entreprises ne voient que le côté obligation, mais d'autres, en cours de route, ont une révélation sur le sujet, cet outil les renseigne sur leurs pratiques et elles découvrent les vertus de l'égalité, explique Pascale Moisset, fondatrice du cabinet de conseil en égalité professionnelle Ni+Ni-. L'actualité et la communication autour du sujet les poussent aussi à s'en emparer.»

Vers un « name and shame» ?

Lors du dernier point d'avancement, la ministre du Travail avait insisté sur les marges d'amélioration. «Toutes les entreprises ont des efforts à faire car rares sont celles qui affichent un score de 99 ou 100 qui doit être l'objectif vers lequel tendre», avait-elle précisé. «Certaines mettent en avant leur chiffre de 90 ou 95, mais quand on a un tel résultat c'est qu'il y a encore des inégalités», abonde un spécialiste des questions d'égalité salariale. Plus encore, Muriel Pénicaud attend des efforts de la part de celles en dessous de 75/100. Pas sûr en revanche que le dispositif s'accompagne d'une logique de name and shame consistant à mettre en lumière les mauvais élèves, notamment ceux qui auraient tout fait pour camoufler leurs mauvais résultats. En septembre, la ministre a d'ailleurs préféré donner le nom des meilleurs éléments que des bonnets d'âne. Car elle ne veut pas regarder «la photo», mais «le film». C'est donc au regard des avancées que les entreprises seront jugées. De quoi laisser du temps aux sociétés dans le rouge, afin de se présenter sous un meilleur angle.

Un outil efficace ?

Dès la mise en place de l'index, nombre de syndicats en avaient pointé les lacunes. A commencer par sa formule de calcul qui risquait, selon eux, de camoufler, par des effets de pondération notamment, une partie des inégalités. «Quand la ministre a indiqué qu'il y aurait enfin une obligation de résultat, nous étions très satisfaits. Mais le plan d'action ne suffit pas et cet indicateur risque de masquer les inégalités plutôt que de les mettre en lumière», explique Céline Verzeletti, de la CGT. En juin, le syndicat a d'ailleurs lancé une action de groupe pour discrimination salariale contre la Caisse d'épargne Ile-de-France. Les élus cégétistes y dénoncent des différences de salaire de l'ordre de 18%. Et ce alors que l'entité régionale de la banque, qui réfute ces chiffres, affichait au même moment un index de 94 sur 100. Ironie du sort, pointent certains : si les entreprises réussissent à afficher un bon résultat, elles pourraient aussi se servir de ce chiffre pour justifier leur refus de négocier vers du mieux-disant en termes d'égalité. Pour Anne Nectoux, du cabinet XO Conseil, cet index «ne reste qu'une note». Et d'ajouter : «On voit des inégalités au quotidien dans les boîtes que l'on suit, mais là elles sont noyées dans la masse.» Un risque accru pour les très petites entreprises : «Certaines inégalités passent au travers, lorsque les échantillons sont très faibles, par exemple si un métier n'est représenté que par trois salariés ou par un seul genre», note un spécialiste de ces enjeux. Résultat, conclut Anne Nectoux : «Toutes les entreprises ont eu des index presque parfaits. Même les chefs d'entreprise sont surpris de leurs résultats…»

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