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Baisser son salaire pour garder son emploi ? Le gouvernement dénonce un «chantage» que ses lois ont permis

par Frantz Durupt
publié le 2 juin 2020 à 17h09

Ça se passe comme ça chez Ryanair : le 15 mai, la filiale de la compagnie irlandaise low-cost opérant en France a envoyé un mail aux élus représentant ses hôtesses et stewards pour les menacer de «licencier 27 personnes» si le SNPNC-FO, syndicat majoritaire, «ne s'engag[eait] pas rapidement à accepter des baisses de salaires». Soit un «chantage aux licenciements» caractérisé, et dénoncé comme tel non seulement par le syndicat concerné, mais aussi au sein du gouvernement. Ce mardi, les ministres de l'Economie et du Travail, Bruno Le Maire et Muriel Pénicaud, ont ainsi condamné le procédé de la compagnie.

Dimanche, l'ambiance était pourtant bien différente. Sur LCI, la même Muriel Pénicaud vantait les «alternatives» aux licenciements, rappelant l'existence d'un dispositif portant le nom poétique d'«accord de performance collective». Son principe ? La ministre du Travail l'a bien rappelé sur BFM Business ce mardi : «Quand une entreprise passe un passage difficile, en général la seule solution c'est le PSE [plan de sauvegarde de l'emploi, ndlr] [...]. L'accord [de performance collective] permet de dire : "On va discuter le temps de travail, ou les rémunérations, ou l'organisation du travail…" en contrepartie de ne pas licencier.» On serait naïvement tenté, en écoutant cette explication, d'y voir une définition assez parfaite d'un «chantage aux licenciements». Mais à en croire la ministre, cela n'aurait rien à voir et Ryanair trahirait «l'esprit» qui présida à l'adoption du dispositif en 2017.

Rembobinons donc un instant : cette année-là, tout juste élu président, Emmanuel Macron avait fait adopter une batterie d'ordonnances réformant le code du travail. Leur «esprit» était alors limpide : il s'agissait de renvoyer à la négociation d'entreprise, c'est-à-dire au tant vanté «dialogue social», un maximum de sujets. En l'espèce, les accords de performance collective sont venus remplacer d'autres dispositifs, comme les accords de maintien de l'emploi, en assouplissant considérablement, pour les employeurs, les possibilités d'y recourir. Selon la loi, un accord de performance collective doit ainsi «répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l'entreprise ou en vue de préserver ou de développer l'emploi». La formulation, très floue, rend les motifs de la chose nettement plus difficiles à contester devant un juge. Et peut placer de fait les élus dans une situation intenable quand un patron décide de recourir à l'un de ces «accords» où tout est négociable, de la durée des concessions sociales au fait même de ne licencier personne en contrepartie.

Bref, sur le papier, on ne voit pas bien ce qui pourrait empêcher Ryanair, qui réalise pourtant un bénéfice net de plus d'un milliard d'euros chaque année, d'y recourir. Tout comme Derichebourg Aeronautics, qui en 2019 réalisait un profit de 5,8 millions d'euros et qui a proposé à ses équipes de réduire leurs indemnités de transports et de repas. Que pèse donc l'«esprit» revendiqué d'une loi quand sa lettre, elle, a pour effet direct de renforcer le pouvoir patronal ? La question risque de se poser très concrètement à de nombreux salariés dans les prochains mois. Pour eux, en vertu de la loi, l'alternative sera simple : accepter les sacrifices, ou être licenciés pour les avoir refusés. Mais ça n'est pas du «chantage».

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