L’analyse statistique territorialisée des actes de soins pris en charge par l’Assurance maladie permet de constater un fait majeur et alarmant : déjà surexposés au risque sanitaire hors phase épidémique du fait de leurs conditions sociales d’existence, les habitants des quartiers populaires risquent d’être, de façon dramatique, les premières victimes du Covid-19 et de la saturation des capacités de prises en charge hospitalières. Ils sont en effet ceux qui, à l’échelle urbaine, sont les plus fréquemment atteints de pathologies chroniques telles que l’asthme, le diabète ou les affections dites « longue durée ».

Ils font également partie de ceux pour lesquels les conditions du confinement sont les plus contraignantes dans la mesure où les logements y sont plus souvent exigus et où la mixité des âges accroît les risques de contamination des personnes âgées et/ou à risques.

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À cela s’ajoute, de surcroît, un facteur aggravant lié au fait que les actifs occupés des quartiers populaires constituent le gros du corps des « soldats de l’ombre » de la République aujourd’hui au front de « l’état de guerre » déclaré au virus et ses réquisitions : éboueurs, caissières, chauffeurs-livreurs, conducteurs et agents de maintenance des transports en commun, ouvriers et employés des entreprises logistiques et d’approvisionnement, personnels de des services sanitaires et d’hygiène, etc. Toutes professions particulièrement exposées aux risques professionnels, et aujourd’hui au coronavirus, et qui n’ont quant à eux droit ni au confinement ni au travail à distance ni même aux protections élémentaires.

Ces éléments soulignent, d’après nous, l’urgence d’une action ciblée d’ampleur en direction des quartiers populaires dans la lutte contre le Covid-19, au regard de la double pénalité que subissent leurs habitants. Il nous semble qu’il est plus qu’impératif de mobiliser des moyens humains, techniques et médicaux à la mesure des cumuls de vulnérabilité constatés, au risque de devoir ensuite dresser des cartes de la mortalité du coronavirus selon les conditions sociales d’existence. Cela apparaît d’autant plus crucial que la pandémie est amenée à s’inscrire dans la durée et que la stratégie de confinement nécessitera d’être complétée par d’autres moyens (tests de dépistage, masques, etc.).

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L’avis du Conseil scientifique du coronavirus publié le 23 mars 2020 marque, de ce point de vue, une avancée importante dans la prise en compte de la géographie sociale des vulnérabilités dans les politiques de lutte contre la pandémie, en insistant sur « la nécessité de prêter une attention particulière aux zones d’habitation les plus vulnérables ». De surcroît, l’avis souligne également l’enjeu de mieux connaître les effets du confinement, à travers des travaux de recherches pluridisciplinaires dont « l’attention devra être portée aux aspects non seulement sanitaires mais aussi plus largement sociaux, à toute échelle pertinente ». Enfin, en soulignant l’importance d’impliquer, à cette fin, « l’ensemble des acteurs pertinents de la recherche ainsi que d’autres acteurs » dont les associations et les sciences citoyennes, l’avis met explicitement en avant la nécessité d’une production démocratique des connaissances.

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Cet enjeu apparaît d’autant plus important que les données territorialisées à l’échelle infracommunale sur lesquelles reposent nos analyses ne sont publiquement disponibles, à ce jour et à notre connaissance, que sur le territoire de la métropole de Lyon pour l’année 2017. Il importe en ce sens, de manière urgente, que la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) et les agences régionales de santé publient ces données pour l’ensemble du territoire, sans quoi perdurera l’invisibilité de la situation sanitaire des quartiers populaires.

Dans l’immédiat, il importe également d’appuyer toutes les actions de solidarité mises en œuvre localement, comme le souligne aujourd’hui avec justesse la coordination des Pas sans nous.