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Jean Castex lance le plan d'investissement hospitalier et médicosocial à 19 milliards

Le deuxième volet du Ségur de la Santé est lancé. Ce plan de relance des investissements dans les hôpitaux et les Ehpad – qui inclut les crédits du précédent plan "Investir pour l'hôpital" – comprend cinq enveloppes budgétaires : nouveaux investissements (plusieurs projets sont déjà dans les tuyaux), nouvelles marges de manoeuvre financières pour les hôpitaux, places en Ehpad, numérique, offre de soins côté handicap. Les trois-quarts des crédits seront délégués aux ARS pour une prise de décisions déconcentrée associant les élus locaux et prenant en compte l'ensemble des problématiques d'un territoire.

A l'occasion d'un déplacement ce 9 mars à Cosne-Cours-sur-Loire et à Nevers (Nièvre), Jean Castex a lancé officiellement le plan de relance des investissements dans les hôpitaux et les Ehpad. Il s'agit, en l'occurrence, du second volet du Ségur de la Santé (voir nos articles du 21 et 22 juillet 2020), qui complète le premier volet, jugé prioritaire, consacré à la revalorisation de la rémunération et des statuts des personnels soignants. Si les grandes lignes de ce second volet sont connues depuis juillet dernier, les précisions apportées par le Premier ministre ont porté surtout sur la répartition des enveloppes, le phasage des opérations et les modalités de mise en œuvre.

Un plan sans précédent, mais pas sans antécédent 

Comme l'a rappelé Jean Castex dans son intervention, le montant de ce plan de 19 milliards d'euros sur dix ans est "sans précédent". Pour mémoire, le plan Hôpital 2007 avait mobilisé 6 milliards et le plan Hôpital 2012, 2,7 milliards. Le volet 2 du Ségur représente donc le double de ces deux plans réunis.
Si cet effort est effectivement sans précédent, il n'est cependant pas sans antécédent. Comme l'a précisé l'entourage du Premier ministre, les 19 milliards annoncés englobent en effet les 13 milliards d'euros prévus dans le plan "Investir pour l'hôpital", présenté par Édouard Philippe et Agnès Buzyn en novembre 2019. Celui-ci prévoyait déjà, entre autres, 10 milliards d'euros pour alléger la dette des hôpitaux et relancer l'investissement (voir notre article du 20 novembre 2019). Le Ségur de la santé ajoute à cette somme – qui n'était encore que très partiellement engagée – 6 milliards d'euros, qui seront financés notamment par un apport de même montant de l'Union européenne, dans le cadre du plan de relance. Ce "choix très volontariste", selon l'entourage du Premier ministre, que traduit le montant exceptionnel de 19 milliards d'euros est aussi une reconnaissance du rôle central qu'a joué et que joue encore le système de santé – et plus précisément les établissements de soins – dans la solidarité et le pacte républicain durant toute la crise sanitaire.

Au-delà de cette reconnaissance, le plan entend aussi accompagner un certain nombre d'évolutions du système de santé : poursuite de la modernisation et de la gradation de l'offre de soins, désendettement des hôpitaux pour restaurer leur capacité d'investissement, maintien d'une offre de proximité dans son aspect sanitaire comme médicosocial, coordination des réponses, développement du numérique...

Personnes âgées : "une évolution profonde de l'offre"... et un retour de la loi Autonomie ?

Dans son intervention, le Premier ministre a également évoqué la prise en charge des personnes âgées, en affichant l'ambition d'"une évolution profonde de l'offre de nos établissements pour personnes âgées, pour les ouvrir davantage sur leur environnement, créer les conditions de vie où les personnes se sentent davantage chez elles, favoriser le maintien à domicile par des accueils de jour, de répit, d'animation". Il a également indiqué qu'"il nous faut, et il y aura aussi un chantier législatif", ce qui peut passer pour une allusion à une relance du projet de loi Grand âge et autonomie, qui semble pourtant aujourd'hui au point mort (voir notre article du 19 janvier 2021).

De façon très symbolique, le déplacement de Jean Castex à Cosne-Cours-sur-Loire a initié le lancement de trois projets d'investissement pour ce territoire peu favorisé en termes d'offre de soins : la reconstruction complète, sur un nouveau terrain, du centre hospitalier de Cosne-Cours-sur-Loire (244 lits, dont 40 de médecine, 30 de moyen séjour et 179 lits de long séjour et maison de retraite), la rénovation de l'Ehpad, la création – sur le site de l'ancien hôpital – d'une maison de santé pluridisciplinaire, mais aussi des mesures pour renforcer l'attractivité médicale du territoire : logement des internes et des jeunes médecins, mise en réseau avec les facultés de médecine les plus proches pour faciliter une installation durable... Une façon d'affirmer l'approche transversale du plan, même si la médecine ambulatoire y occupe une part réduite au regard de l'hôpital et, dans une moindre mesure, des Ehpad.

Plus de 15 milliards pour l'investissement courant et la transformation de l'offre de soins

En pratique, les 19 milliards du plan vont se répartir en cinq enveloppes budgétaires, présentant chacune des temporalités différentes. La principale, d'un montant de 9 milliards d'euros étalés sur dix ans, doit assurer le financement direct de nouveaux investissements "dans les établissements de santé et en ville". Cette première enveloppe se répartit elle-même en trois ensembles distincts : 1,5 milliard pour financer "l'investissement courant" des établissements (équipements, petit matériel, lutte contre les irritants du quotidien qui perturbent le fonctionnement des services...), 6,5 milliards pour "appuyer des projets de transformation de l'offre de soins" (la reconstruction de l'hôpital de Cosne-sur-Loire entrant, par exemple, dans ce cadre) et 1 milliard mis en réserve "pour pallier les aléas sur dix ans qui pourraient survenir pendant l'exécution du plan".

La seconde enveloppe va mobiliser 6,5 milliards d'euros sur dix ans. Il s'agit en l'occurrence du volet spécifiquement dédié à l'allègement de la dette des hôpitaux et à la restauration de leur capacité financière. Cet allègement va permettre aux établissements concernés de dégager des marges de manœuvre, d'améliorer leur fond de roulement, de rétablir leur capacité d'autofinancement et d'emprunt et, par conséquent, de relancer leurs investissements.

1,5 milliard pour les Ehpad et 2 milliards pour le numérique

Troisième enveloppe : 1,5 milliard d'euros, programmés sur cinq ans, pour rénover ou créer des places dans les Ehpad. Comme l'a indiqué le Premier ministre (voir plus haut), ces investissements devront favoriser une approche innovante de la prise en charge en Ehpad, plus ouverte sur l'extérieur.

La quatrième enveloppe – 2 milliards d'euros sur trois ans – sera entièrement consacrée à l'investissement numérique. Il s'agit en l'espèce de rattraper le retard accumulé depuis des années et de développer l'interopérabilité et la portabilité. Les Ehpad – particulièrement à la traîne dans ce domaine – sont directement concernés, puisqu'une sous-enveloppe de 600 millions leur sera consacrée à ce titre dans les trois ans. L'objectif ambitieux affiché pour ce volet numérique est de parvenir, au 1er janvier 2022, à la mise en œuvre de l'espace numérique de santé, prévu par la loi du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé (dite "Ma santé 2022"). 

Enfin, une dernière enveloppe de 300 millions d'euros sur dix ans sera affectée à la modernisation de l'offre de soins pour les personnes en situation de handicap. Il s'agit en l'occurrence de faciliter l'accès aux soins hospitaliers des personnes handicapées, qui rencontrent aujourd'hui de nombreuses difficultés, bien au-delà des seuls problèmes d'accessibilité physique. 

Une programmation pour la fin de l'année et des projets déjà dans les tuyaux 

Pour l'instant, ces 19 milliards d'euros ne font pas encore l'objet d'une programmation, au sens global et budgétaire du terme. Les agences régionales de santé (ARS) sont en effet chargées de procéder à la programmation des projets dans leur ressort territorial et à élaborer une véritable "stratégie transversale", incluant le volet sanitaire, le volet social et le numérique. Selon l'entourage du Premier ministre, ce travail de programmation devrait être finalisé avant la fin de cette année.

Cette étape préalable n'empêche pas que plusieurs projets hospitaliers sont d'ores et déjà dans les tuyaux, au-delà de celui de Cosne-sur-Loire. Jean Castex en a d'ailleurs cité plusieurs, présentés comme "déjà validés", dans son intervention : la rénovation des urgences du centre hospitalier de Nevers, la restructuration de l'hôpital d'Avallon, la modernisation de la réanimation à Lons-le-Saunier ou encore la plateforme logistique des hôpitaux de Haute-Saône à Vesoul. Dans le domaine médicosocial, il a évoqué des projets à Nancy, Tours, Reims et Argenteuil.

En termes de phasage, une enveloppe de 650 millions d'euros doit être déléguée "sans délai" aux hôpitaux pour financer des actions "d'amélioration concrète de leur quotidien". Et une autre enveloppe de 355 millions sera allouée "la semaine prochaine" aux ARS pour soutenir l'investissement dans les Ehpad. Selon l'entourage du ministre de la Santé, la mise en œuvre du plan devrait se traduire sur un apport de 3,3 milliards dès 2021 et de 3,2 milliards en 2022.

Déconcentration tous azimuts, les ARS au premier plan

La principale nouveauté dans les annonces du Premier ministre se situe toutefois dans la méthode, présentée comme "en rupture avec les principes déployés depuis dix ans". Il s'agit en l'occurrence de répondre aux critiques formulées lors des négociations sur le Ségur de la santé : manque de transparence, centralisation, lenteur, application trop dogmatique de critères nationaux...

Pour sortir de cette situation, le plan prévoit d'appliquer quatre grands principes. Le premier consiste en une déconcentration – quasi – tous azimuts. Sur les 19 milliards d'investissement, 14,5 milliards (76%) seront ainsi "intégralement délégués" aux ARS. Le dossier de présentation du plan montre d'ailleurs une répartition régionale de cette enveloppe déconcentrée. Au passage, les ARS, décriées par de nombreux élus locaux et nationaux durant la crise sanitaire, se trouvent ainsi confirmées dans un rôle central. Il est toutefois précisé que "les ARS associeront plus étroitement les élus ainsi que les acteurs de santé locaux, dans toutes les composantes du système de santé, en ville, à l'hôpital et dans le secteur médicosocial".

Cette déconcentration prolonge une décision prise directement dans la foulée du Ségur : la suppression du Copermo (comité interministériel de la performance et de la modernisation de l'offre de soins hospitaliers), dont les décisions tombaient comme des oukases. Dorénavant, seuls les projets d'un coût supérieur à 150 millions (ce qui correspond à peu près à la construction d'un hôpital de 600 lits) remonteront officiellement au ministère. Le seuil était jusqu'alors de 50 millions. En l'état, le projet d'investissement le plus important semble être celui de la reconstruction du CHU de Caen, pour un montant estimé de 500 millions.

Pour des "projets d'aménagement du territoire de santé"

Second principe : une approche plus proactive, avec la volonté affichée d'accompagner et de pousser les projets, dans le cadre de la stratégie générale de relance post Covid-19. Le gouvernement demande ainsi aux ARS d'accompagner les projets le plus en amont possible. Elles pourront, pour cela, faire appel à des experts nationaux afin de "valider les bons choix au fur et à mesure de l'avancement du projet", comme cela a été le cas pour ceux de Cosne-sur-Loire.

Le troisième principe consiste à promouvoir fortement des "projets d'aménagement du territoire de santé". Par cette expression, il faut comprendre la volonté de ne pas se cantonner à des projets purement hospitaliers, mais de prendre en compte l'ensemble des problématiques d'un territoire (sanitaires et sociales, hospitalières et ambulatoires, publiques et privées), dans une approche transversale. Là aussi, l'exemple de Cosne-sur-Loire n'a pas été pris au hasard. Dans cet esprit, les projets devront "intégrer étroitement l'ensemble des acteurs, les acteurs de santé comme les élus locaux", avec une possible matérialisation par le biais d'un protocole d'accord. Le Premier ministre a d'ailleurs affirmé savoir "que nombre de collectivités territoriales, régions, départements, établissements de coopération intercommunale souhaiteront contribuer directement ou indirectement au financement de ces projets dans le domaine de la santé". Le projet de loi 4D devrait fournir le cadre de cette participation, en élargissant les compétences des collectivités en matière de santé.

Enfin, le quatrième principe consiste à "introduire plus de transparence et plus d'expertise médicale et soignante dans l'évaluation des projets". En d'autres termes, il s'agit de se doter d'un référentiel plus médicalisé et plus soignant sur les projets. Cette orientation va se traduire par la création d'un "conseil scientifique". Celui-ci réunira l'ensemble des métiers requis pour un projet d'investissement : médecins, soignants, ingénieurs, financiers, directeurs de projet... A priori – mais cela méritera d'être précisé –, le conseil scientifique devrait être amené à intervenir sur les projets faisant appel à des experts nationaux. Les représentants institutionnels du secteur participeront, pour leur part, à un conseil national plus classique. Le président du conseil scientifique est déjà choisi, en la personne du professeur François-René Pruvot, président de la conférence médicale d'établissement (CME) du CHU de Lille et de la conférence nationale des présidents de CME.

Vers un Ségur phase 3

La lancement du plan d'investissement ne clôt pas le Ségur de la santé. Pour Jean Castex en effet, "l'investissement que va faire l'État doit s'accompagner d'un effort de réforme et d'une efficacité toujours plus grande du système de soins". "Cet effort collectif n'est pas optionnel ; l'efficacité, l'efficience ne sont pas des gros mots", a-t-il insisté. Le gouvernement en appelle pour cela à "une gestion la plus territorialisée possible". Il s'agit de "garantir un retour sur investissement", en améliorant l'efficience du système, et de "concevoir la bonne réponse aux besoins de santé du territoire". Le Premier ministre est toutefois resté assez vague sur les contreparties attendues en termes de gestion et d'efficience des établissements, en échange de cet effort considérable d'investissement.

Selon Matignon, les réponses passeront notamment par la proposition de loi "visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification" (dite aussi proposition de loi "Ségur"), déposée par la députée (LREM) du Loiret Stéphanie Rist. Mais ce texte, qui a souffert dès l'origine d'un manque de concertation, connaît un parcours parlementaire chaotique et se trouve déjà pour partie vidé d'une bonne part de ses dispositions initiales (voir nos articles du 8 décembre 2020 et du 22 février 2021). Il pourrait toutefois servir de véhicule à quelques amendements gouvernementaux.

L'entourage du Premier ministre évoque également un projet d'ordonnance sur la gouvernance et la simplification hospitalières, en cours d'examen par le Conseil d'État. Ce texte, dont la présentation est annoncée pour la fin du mois de mars, s'inspire largement du rapport sur le même thème remis en juin dernier par le professeur Olivier Claris, président de la CME des Hospices civils de Lyon (voir notre article du 22 juin 2020). Cette ordonnance devrait s'accompagner de plusieurs textes réglementaires, plus techniques, sur les modalités de reprise de la dette hospitalière.

 

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