La voix est claire, le ton incisif. Ce vendredi 3 avril, en fin de matinée, Claude Le Pen, 72 ans, considéré comme le meilleur économiste de la santé du pays, nous livre, lors d’un échange vidéo, les clés du « désarmement » sanitaire national, autrement dit la manière dont la France, dans les années passées, a baissé la garde face aux risques d’épidémie. Le 1er avril, déjà, pour Le Monde, il avait publié une tribune remarquée. Comment imaginer que, trois jours après cet entretien, le docteur en économie, rongé par un cancer, décéderait brutalement ? Emouvantes, ses confidences posthumes n’en prennent que plus de poids. « La crise de la grippe H1N1, en 2009, a joué un rôle tout à fait délétère, c’est devenu une terreur de ministre », nous avait alors expliqué Claude Le Pen, souriant et concentré.
Pour en avoir trop fait afin de contrer cette pandémie potentielle, la ministre de la santé de l’époque, Roselyne Bachelot, a été mise au ban. Et avec elle, toute la politique sanitaire… Pour bien comprendre les rouages de ce processus, il faut revenir treize ans plus tôt, au mois de mai 2007. Nicolas Sarkozy referme alors brutalement la page des années Chirac. Encouragé par son premier ministre, François Fillon, il propulse au ministère de la santé la pétulante Roselyne Bachelot. Ministre de l’écologie entre 2002 et 2004, cette docteure en pharmacie est une personnalité chaleureuse, connue pour son langage fleuri et ses tenues qui ne le sont pas moins. Plans cancer et Alzheimer, réforme de l’hôpital, sans compter la gestion du déficit abyssal de la « Sécu » (de 10 milliards d’euros en 2008, il atteindra le plafond record de 27 milliards en 2010)… Sa feuille de route est bien remplie.
Au printemps 2009, un événement imprévu s’ajoute au programme et va changer le cours de l’histoire. En effet, le 24 avril, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) lance une alerte internationale au sujet de l’arrivée, en provenance du Mexique, d’un redoutable virus de la grippe A, baptisé H1N1. Dès le départ, Roselyne Bachelot s’empare de l’affaire avec sérieux : « On a pris toutes les initiatives nécessaires, contrôles aux frontières avec prise de température, équipement des Ehpad en masques, confinement total des malades, placés à l’isolement, ce qui d’ailleurs fait déjà ricaner certains. »
À en croire Bachelot, « ce virus sournois préparait insidieusement la prédominance des préoccupations d’ordre public sur les exigences sanitaires… »
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